Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Watership Down, de Richard Adams

Richard Adams © Gaston Sloan
Eric Swennen
Eric Swennen Journaliste livres

ROMAN | Le toujours audacieux Monsieur Toussaint Louverture se fait plaisir en sortant de l’ombre un classique de la littérature d’aventure ayant pour héros… des lapins.

Comme une poignée de fois par an, Dominique Bordes, taulier des éditions Monsieur Toussaint Louverture, a encore frappé. C’est d’autant plus appréciable que c’est une fois de plus là où on ne l’attendait pas. Car les esprits tatillons qui auraient trop vite cantonné la maison toulousaine à la mise en lumière de romans souvent noirs et désabusés (le phénomène Karoo, Mailman, Le Dernier Stade de la soif) ou de textes relativement exigeants (Enig Marcheur, Vilnus Polker… ), en seront ici pour leur frais. Au regard du reste du catalogue, on était effectivement en droit d’être carrément perplexe avant d’entamer ce Watership Down au CV aussi lourd que particulier.

Sur base d’une histoire imaginée pour faire plaisir à ses deux filles pendant un voyage en voiture un peu trop long, il s’agit là du premier roman d’un certain Richard Adams alors âgé d’une cinquantaine d’années.

Une rudement bonne histoire

[Le livre de la semaine] Watership Down, de Richard Adams
© DR

Paru pour la première fois en 1972 en Grande-Bretagne chez un modeste éditeur, il finira par atteindre les 50 millions d’exemplaires vendus dans le monde à ce jour. Soit bien plus que les best-sellers que sont toujours 1984, Dracula ou encore Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur et autant que la plus contemporaine trilogie Millenium… Mais hormis une bande d’amateurs éclairés ayant lu et vénéré la première traduction française en 1976 sous le titre Les Garennes de Watership Down chez Flammarion, le succès ne sera jamais au rendez-vous de ce côté-ci de la Manche… Ayant bénéficié d’une nouvelle traduction et de la présentation toujours aussi soignée des livres Monsieur Toussaint Louverture, cette édition pourrait aujourd’hui changer la donne, pour autant qu’on laisse tomber certaines de nos oeillères. Car si ses premières pages ont des allures d’innocent conte animalier pour enfants, Watership Down a ensuite la capacité de happer le lecteur dans un récit qui a du coffre, aussi ambitieux qu’impeccablement mené. Petit exploit, Richard Adams parvient à solliciter tous nos sens pour nous faire vivre les aventures pas toujours roses d’une bande de lapins fugitifs, celles de Hazel et de ses amis en quête d’un monde meilleur suite aux visions du chétif Fyveer. Cet Eldorado, ce sont les collines de Watership Down. L’atteindre est une chose, mais le préserver en est une autre car -ce n’est pas un scoop- le monde est sombre et violent.

Moins dans la lignée du mignon Le Vent dans les saules que dans celle d’un Kipling qui aurait décidé de revisiter L’Iliade et L’Odyssée à la lumière de La Vie Secrète des lapins de R. M. Lockley, le livre a donné naissance à des multiples grilles de lecture. Adams, lui, s’est toujours farouchement défendu des interprétations, préférant réduire son oeuvre à une simple « histoire mais une rudement bonne histoire« . Et s’il est vrai qu’il est tentant d’y voir une ode à la liberté et à la solidarité doublée d’une volonté d’en découdre avec certains régimes politiques, laissons le bénéfice du doute à son auteur, trop heureux d’avoir perpétué la tradition orale dans sa plus simple expression en un succès qu’on n’est pas prêt de remettre en cause. Un coup du lapin en or.

DE RICHARD ADAMS, ÉDITIONS MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR PIERRE CLINQUART, 544 PAGES. ****

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