Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Poison Florilegium d’Annalena McAfee: parfum de scandale

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Fabrice Delmeire Journaliste

Avec Poison Florilegium, Annalena McAfee compose un thriller acerbe, bouquet d’observations vénéneuses sur le monde de l’art contemporain.

À 60 ans, malgré son apparent succès, Eve Laing souffre d’un manque de reconnaissance et ne supporte plus le monde de l’art. Peintre spécialisée dans la reproduction florale, elle vit à Londres avec Kristof, son mari architecte aussi célèbre qu’elle. Bien décidée à prouver que ses oeuvres ne sont pas d’inoffensives natures mortes, Eve se lance dans la confection de panneaux gigantesques -son Poison Florilegium– où fleurs vénéneuses et carnivores deviendront son chef-d’oeuvre. Dans son atelier gagné par l’effervescence, l’apparition de Luka, assistant de 30 ans son cadet, entraîne Eve dans un tourbillon « pour envoyer valser sa vie sans lui dire où elle atterrirait. Si elle atterrissait. » Journaliste littéraire du Financial Times et fondatrice du supplément culturel du Guardian, Annalena McAfee construit ses romans à la manière d’une rétrospective. Le temps d’une marche entre son ancien foyer et le repaire de son atelier, Eve revient sur son parcours de femme. Procédant par touches, elle évoque sa jeunesse dans le New York de Warhol, ses rivalités, son rôle de muse pour un peintre célèbre. Le ton s’affiche volontiers mordant, désabusé, parfois vénère. Une tendance qui se précise dans la peinture des moeurs d’une époque, au travers d’observations piquantes sur le rôle de l’art, le capitalisme et la place des femmes au panthéon artistique.

[Le livre de la semaine] Poison Florilegium d'Annalena McAfee: parfum de scandale

La revanche des muses

Après avoir oeuvré dans la littérature pour enfants, la Britannique affûtait ses armes dans Le Doux Parfum du scandale, croquant les manigances et coups bas dans la presse des tabloïds. Ici encore, McAfee distribue les coups de griffes sur les masques de ses contemporains: « Dans un monde inégalitaire, l’ascension sociale requiert un certain degré de discrétion – plus on a de quoi se vanter, plus on a de raisons de murmurer. » Épouse du non moins célèbre écrivain Ian McEwan, McAfee plonge dans le milieu de l’art pour en faire grincer tous les rouages. À l’instar du film The Square de Ruben Östlund, qui décrocha la Palme d’or à Cannes en 2017, le livre entend jouer les poils à gratter. Exaspérée par le mouvement #MeToo, Eve veut être reconnue pour son talent, quitte à se comporter aussi mal que les artistes masculins qui l’ont précédée. Soif de réputation, simulacres, mépris, cruauté, twittosphère sont épinglés comme autant de spécimens sur le tableau de la critique sociétale, tandis qu’hommage est rendu aux femmes peintres oubliées par l’Histoire.

Comment se regarde-t-on entre gens du même monde, entre classes différentes dans le métro, que provoque la vue d’un sac abandonné dans une rame, la promiscuité d’une bande un peu ivre? Une peur diffuse gagne peu à peu l’héroïne. Enfin, dans un second temps qui sera celui de l’action, McAfee dévoile sa composition d’ensemble: un thriller à la mécanique implacable -qu’on imaginerait volontiers filmé par David Fincher. « La rancune accumulée au fil des décennies, grossissant dans l’obscurité, avait donné un fruit monstrueux. »

Poison Florilegium

D’Annalena McAfee, éditions Belfond, traduit de l’anglais par Sarah Tardy, 304 pages. ***(*)

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