Critique | Livres

Le livre de la semaine: Le Fils, de Philipp Meyer

Philipp Meyer © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

FRESQUE | Entre Faulkner et Steinbeck, Philipp Meyer réinvente le grand roman américain en 680 pages, 160ans et trois personnages. Brillant.

Le livre de la semaine: Le Fils, de Philipp Meyer

« Les Américains… Ils croyaient que personne n’avait le droit de leur prendre ce qu’eux-mêmes avaient volé. Mais c’était pareil pour tout le monde: chacun s’estimait le propriétaire légitime de ce qu’ils avaient pris à d’autres. » Ainsi, selon Philipp Meyer, s’est écrite l’Histoire américaine « moderne », donc blanche, depuis le milieu du XIXe siècle, celle qui façonne les Etats-Unis d’aujourd’hui, et le Texas en particulier: les Espagnols y ont pillé les Indiens, les Mexicains y ont chassé les Espagnols, et les Blancs y ont pillé les Mexicains. Une confiscation des terres sans fin mais à chaque fois légitimée, charriant son lot de violences, d’exactions et de meurtres… La face sombre mais inévitable du rêve américain, selon lequel tout est possible pour celui qui le veut vraiment… « C’est toute l’Histoire de l’humanité. De la terre au sable, du fertile au stérile, des fruits aux épines. On ne sait faire que ça. » Ça, mais aussi, parfois, de grands romans portés par un souffle que l’Europe leur envie, capables de décrypter mieux que beaucoup l’âme de leurs contemporains. Le Fils de Philipp Meyer, son deuxième roman après Un arrière-goût de rouille, est définitivement de ceux-là.

Un arrière-goût de pétrole

Il y a, dans Le Fils, une seule famille -les McCullough- présente depuis sept générations sur le sol texan, et trois personnages principaux, dont les récits, les époques et les narrations vont s’entremêler de chapitre en chapitre. Eli d’abord, alias « Le Colonel », fondateur, figure tutélaire, père castrateur qui fut enlevé par les Comanches à l’âge de onze ans (les plus belles pages du livre, les plus terribles aussi). Peter ensuite, son fils, son exact opposé, qui n’arrivera jamais à « n’être qu’un animal, comme mon père, libre de toute mauvaise conscience -de toute conscience, en fait ». Peter sera témoin, et partie prenante, d’un crime dont l’écho se fera sentir jusqu’au dernier souffle de sa petite-fille, Jeanne Anne, devenue l’une des plus grosses fortunes pétrolières et immobilières du Texas. Eli, Peter et Jeanne Anne: le premier se raconte, centenaire, à un journaliste; le deuxième tient un journal; la dernière fait l’objet d’une narration à la troisième personne. Eli est un roc (« Dormir profondément, rempli de certitudes tranquilles, toute vie humaine ne pesant que son poids de viande »), Peter n’est pas à sa place (« J’attends du monde qu’il soit bon. Comme un chiot. Et c’est ainsi que, tel Prométhée, jour après jour je suis défait. ») Leur dernière descendante soldera, ou pas, les comptes d’une histoire et d’une Histoire formant une toile impressionnante et incomplète jusqu’aux ultimes lignes de ce pavé, passionnant de bout en bout.

  • LE FILS, DE PHILIPP MEYER, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR SARAH GURCEL, 676 PAGES.

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