Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Chance, de Kem Nunn

Kem Nunn © Ulrike Nunn
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

THRILLER | Kem Nunn délaisse le surf qui a fait son succès pour le thriller psychologique. Un exercice de style et de fausses pistes dignes de Hitchcock, bientôt dans le poste.

Kem Nunn est comme les patients du docteur Eldon Chance: on ne sait jamais où ses mots vont nous conduire. Culte en Californie et connu de par chez nous par les lecteurs les plus pointus pour ses polars prenant le surf et la plage comme décor (entre autres Surf City écrit en 1984, et réédité en français, en 1995 puis 2003), Kem Nunn se révèle un écrivain aussi discret qu’insaisissable: à peine six romans publiés en 30 années d’écriture, pour, à chaque fois, l’ascension du genre polar par une face différente. Le dernier -c’était en 2011, déjà chez Sonatine- s’appelait Tijuana Straits, polar toujours californien, violent et volontiers politique. Mais cette fois, rien de tout ça: Kem Nunn s’essaie au pur thriller psychologique, porté par des personnages très propres sur eux mais qui se putréfient de l’intérieur. Et font sans cesse planer le doute, à l’instar de ce que savaient si bien faire les anti-héros de Chandler, de Hitchcock ou de De Palma dans ses meilleures années.

Dr Chance ou Dr House?

[Le livre de la semaine] Chance, de Kem Nunn

Eldon Chance est donc docteur et porte, on s’en doute, bien mal son nom. Neuropsychiatre de San Francisco attaché aux tribunaux et spécialisé dans les stress post-traumatiques, quinquagénaire récemment divorcé, notre Chance s’ennuie un peu, égrène les notes sur ses patients, mais bloque soudain sur la belle Jaclyn Blackstone, à la fois patiente souffrant d’un dédoublement de la personnalité, et épouse maltraitée d’un flic violent et particulièrement jaloux. Une passion soudaine du vieux docteur qui va lui faire perdre le sens des conventions, des priorités et bientôt toute la tête. Est-elle folle? Son mari est-il vraiment dangereux? Ou est-ce lui le fou, sous le double coup de son divorce et de l’adolescence de sa fille? Et que viennent faire dans cette histoire étrange ses nouveaux amis, mi-brocanteurs, mi-escrocs? Ne comptez ni sur Eldon Chance pour vous répondre -il ne raconte, dans Chance, que ce qu’il peut voir et appréhender, autant dire pas grand-chose- ni sur votre serviteur, qui ferait bien mal son boulot en vous dévoilant une vérité qui a mis plus de 300 pages à se dessiner sans se laisser deviner -un pur exploit. Non, il faudra vraiment lire Chance jusqu’au bout. Ou attendre, pour les feignants, que la série qui en a été tirée, avec Hugh « Dr House » Laurie dans le rôle-titre, ne débarque chez nous. Kem Nunn, déjà scénariste sur les séries Deadwood ou Sons of Anarchy, s’est en effet chargé lui-même de l’adaptation de son thriller en mini-série, diffusée depuis octobre sur le site de VOD Hulu. On espère qu’en chemin, il n’aura rien perdu de sa subtilité -qui fait tout le sel de ce jeu de miroirs, de doubles vies et de faux- semblants.

DE KEM NUNN, ÉDITIONS SONATINE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR CLÉMENT BAUDE, 380 PAGES. ****

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