Le dessinateur René Hausman est décédé

René Hausman © renehausman.be
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le dessinateur verviétois René Hausman est décédé ce jeudi matin à l’âge de 80 ans. Bien connu pour ses personnages de BD, c’est dans le magazine Spirou, avec la BD Saki et Zunie, que l’illustrateur et auteur s’est fait connaître. Il a également signé plusieurs centaines d’illustrations consacrées au règne animal.

Cohérence et dispersion ne sont pas toujours des notions opposées. Surtout quand il s’agit de dessin, et surtout, surtout, lorsqu’on se nomme René Hausman. Rares sont en effet les auteurs à pouvoir se targuer d’être à la fois de fabuleux artisans de l’illustration et de la bande dessinée, toujours en mouvement, et pourtant toujours en phase avec eux-mêmes. René Hausman était de ceux-là. Le roi des bestiaires et empereur des fabulaires a mené sa carrière comme il a dirigé sa vie: à l’enthousiasme et aux rencontres, sans calculs, et sans jamais se défaire d’un humour et d’un humanisme reconnaissables entre tous, et pourtant impossible à ranger dans une case, fut-elle dessinée.

René Hausman naît en 1936 à Verviers et passe ses premières années entre la Westphalie, région d’origine de son père Jean, et les terres ardennaises de ses mère et grand-mère, Gilberte et Philomène. Des racines à la fois latines et germaniques, transfrontalières, qui lui donneront très tôt le goût des légendes et faits-divers des campagnes, des clairières secrètes et des forêts ombragées telles que contenues dans les dessins de Wilhem Busch ou les histoires que lui raconte sa grand-mère Philomène. C’est elle, essentiellement, qui s’occupera du petit garçon, déjà force de la nature, entre un père souvent absent, emporté par les aléas de l’Histoire tragique des années 40, et une maman trop tôt disparue. Jeunesse précaire, mais heureuse, baignée de contes et légendes, comme René l’évoquera bien des années plus tard, en 2007, dans une de ses bandes dessinées les plus récentes et les plus personnelles, Le Camp-Volant (Dupuis). Le petit garçon solitaire, déjà hors-norme et rêveur, achève d’y croiser son destin dans les emballages de barres de chocolats qu’il aime tant dévorer; ceux-ci sont remplis de « chromos » d’animaux, qu’il se met à recopier. Un terrain d’expression et d’évasion qu’il ne quittera plus jamais.

Pendant ses études secondaires, à Verviers, il parvient à s’offrir de rares cours de dessin, qui le mettent d’abord en contact avec Maréchal, le papa de Prudence Petitpas, puis avec Macherot, qui n’a pas encore inventé Chlorophylle. C’est Macherot qui introduit le jeune René dans le journal de Tintin, pour ses premiers dessins et commandes, après quelques travaux publicitaires réalisés dès 1955. Mais c’est en 1958 qu’il entre chez Spirou, et les éditions Dupuis, avec une première série destinée au jeune public, Saki et Zunie, deux enfants évoluant dans une préhistoire imaginaire, où les animaux, déjà, tiennent une grande place. Cette série mythique, au succès pourtant modeste, René y reviendra régulièrement au fil des décennies, et de manière de plus en plus libérée et de moins en moins enfantine – Zunie, au fil des retrouvailles, se fera à chaque fois plus gironde et sensuellement potelée, comme la plupart des personnages animés par René.

René Hausman faisait montre dans Saki et Zunie d’un sens du détail remarquable, et d’une aisance rare pour figer en une image le règne animal. Le rédacteur en chef de l’époque, Yvan Delporte, décide alors de lui confier en parallèle à ses planches, les illustrations de son Bestiaire, la rubrique animalière du journal, alors très présente. Une approche pédagogique qui lui fera visiter et dessiner à peu près tous les animaux du monde dix ans durant, et imposera son talent d’illustrateur, d’une incroyable richesse, mais qui l’obligera aussi à délaisser les planches et, comme René le souligne lui-même, à se disperser, loin de tout plan de carrière. Jusqu’au milieu des années 70, René assurera d’innombrables illustrations en tout genre, qui feront les belles heures des collections Carrousel et Terre entière de Dupuis. A la fin des années 70, pourtant, le journal de Spirou décide de se recentrer sur la bande dessinée. René s’y fera plus rare, exerçant alors son talent d’illustrateur pour d’autres éditeurs et clients. Une période moins faste, qui permettra pourtant à René Hausman de s’affranchir définitivement de la bande dessinée purement enfantine et du dessin pédagogique.

Son goût de la vie et des coquineries s’exprimera d’abord dans l’iconoclaste supplément Le Trombone Illustré, dès 1977 – il y fait revivre une Zunie plus gironde que jamais, et se verra même confier par Franquin le soin d’une couverture! – puis dans A suivre, mais aussi dans les pages encore moins politiquement correctes du mensuel Fluide Glacial, où ses amis Gotlib, Lucques, Yann, Binet ou encore Delporte lui feront dessiner des bêtes parfois à deux dos dans la rubrique Allez coucher, sales bêtes!.

Mais c’est aussi l’époque ou le roi du Bestiaire, désormais affranchi, va renouer avec ses autres amours de jeunesse que sont les contes et légendes, via une rencontre déterminante, celle de Pierre Dubois. Cet éminent elfologue entamera avec lui Le fabulaire du petit peuple, qui reste aujourd’hui encore la référence absolue en terme d’univers féériques et d’odes aux gnomes de tout poil. Leur collaboration, fructueuse, donnera naissance en 1985 à la superbe et érotique Laïyna, fille des gnomes et des elfes qui connaîtra deux albums remarquables dans la jeune collection Aire Libre, à savoir La forteresse de pierres, en 1985, et Le crépuscule des Elfes en 1988.

Chez Aire Libre toujours, René créera ainsi deux de ses albums dont il est le plus fier, magnifiques contes immoraux et cruels dont le scénariste Yann a le secret, Les trois cheveux blancs et Le prince des écureuils, respectivement en 1993 et 1998.

Si bestiaire et fabulaire ont marqué sa carrière et ses lecteurs, ce sont pourtant d’abord les qualités d’artisan du dessin qui ont fait de René Hausman une référence pour beaucoup. Son goût insensé du détail s’est toujours exprimé via différentes techniques. Peaux, poils, matière… René a testé toutes les manières, parfois expérimentales, pour les emprisonner. La plume bien sûr, mais aussi la gouache, l’écoline, l’encre grattée à la lame de rasoir, les chiffons imbibés d’eau de javel pour travailler ses encres de couleur, et même l’usage des allumettes pour brûler certaines zones de ses dessins ! Plus récemment, René Hausman était passé à l’aquarelle sans « serti », soit sans encrage préliminaire, comme dans l’album réalisé avec le dramaturge Rodrigue, dans l’album Le chat qui courait sur les toits, paru en 2010 dans la prestigieuse collection Signé aux éditions du Lombard.

Ses recherches graphiques ont longtemps souffert de piètres impressions. Une des raisons pour laquelle il a fondé en 2008 en compagnie de son épouse sa propre petite maison d’éditions, Luzabelle (du nom de Bernique et Luzabelle, personnages inventés à la fin des années 60) et qui s’attache à réaliser des rééditions de grande qualité, à la démesure de cet auteur inclassable.

Son dernier album était paru il y a 2 mois à peine aux éditions Le Lombard. Une superbe réinterprétation, sur scénario de Jean-Luc Cornette, de Chlorophylle, le célèbre lérot anthropomorphe inventé par son ami Raymond Macherot. D’autres projets étaient en cours de réalisation.

Extraits d’une biographie publiée dans Mémoires d’un pinceau, une monographie de René Hausman aux éditions Le Lombard.

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