Critique | Livres

[La BD de la semaine] Jirô Taniguchi – La forêt inachevée

© Rue de Sèvres
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

RÉCIT | Le dernier récit du mangaka Jirô Taniguchi restera inachevé. On y retrouve, certes en couleurs et à l’italienne, la substantifique moelle de son art.

De Jirô Taniguchi, Éditions Rue de Sèvres, 72 pages. ****

Ce devait être un récit en cinq tomes; il n’y en aura jamais qu’un. L’immense Jirô Taniguchi s’est en effet éteint en février dernier; il avait achevé ses 42 premières planches, réalisées « à l’italienne » (à l’horizontale plutôt qu’à la verticale) et surtout en couleurs, entièrement à l’aquarelle, et avait largement entamé le découpage du deuxième tome, avant de succomber, beaucoup plus vite qu’attendu, à la maladie qui le rongeait. « Si Jirô Taniguchi a continué de travailler sur cette histoire jusque dans les derniers jours de sa vie, c’est parce qu’il conservait l’espoir d’avoir le temps de la mener à son terme, explique ainsi son agent et traductrice dans l’imposante postface de ce qui restera donc le dernier livre du sensei. Mais aussi parce que parmi ses ouvrages « possibles », c’est à celui-ci qu’il tenait le plus: une histoire susceptible d’éveiller les consciences à la nécessité d’instaurer une relation harmonieuse avec son environnement naturel. » Un testament en somme, dont la beauté n’a effectivement d’égal que l’émotion -et la frustration- qu’elle procure.

Humaniste et écolo

La Forêt millénaire est donc, comme son nom l’indique, le récit d’une forêt, immense et imposante, dans la région de San’in dont Taniguchi était originaire, et dont le vert occupe presque la totalité des planches. Sauf quand l’image du petit Wataru apparaît: un gamin de dix ans débarqué de Tokyo, dont le père a disparu, dont la mère a dû être hospitalisée et que le grand-père a pris en charge, tentant de le rassurer: « La Montagne te consolera. La forêt t’accueillera. » Et peut-être même plus vite qu’il ne le pense: en grimpant à un des plus hauts arbres de cette forêt millénaire, pour impressionner et s’intégrer à la « Bande du Grand Arbre », Wataru se met à entendre des voix: « La voix des arbres. La voix des oiseaux. La voix des insectes. La voix de la forêt. » Nous par contre, on n’entendra plus jamais la voix de Taniguchi, qui murmure ici une magnifique petite musique mêlant homme et nature, faisant directement penser à de précédents ouvrages comme La Montagne magique,Skyhawk voire Le Sommet des Dieux, tout en offrant un regard mélancolique et débordant de tendresse sur l’enfance, comme dans Quartier lointain. La suite de cette Forêt millénaire s’annonçait riche en émotions et en images superbes -on devine ici, entre les arbres, quelques créatures chimériques qui devaient évidemment y tenir un rôle. Son premier tome fut en tout cas directement pensé pour le marché européen -en usant de couleurs, d’un format et de cadrages qui n’entraient pas dans les codes des éditeurs japonais. Des éditeurs qu’il comptait quand même bien convaincre après parution en France. Taniguchi aurait alors bouclé la boucle qui a fait de lui, un peu par facilité, beaucoup par dévotion, « le plus européen des auteurs japonais ».

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