Critique | BD

[la bd de la semaine] Irène, de Hideki Arai: Bigmouth strikes again

© Hideki Arai/Black Box Éditions

Le plus gueulard des mangakas nous revient en français avec l’impudique Irène, chef-d’oeuvre qui confronte tristesse contemporaine et élans solaires.

On ne s’est jamais remis du drame social(iste) Ki-itchi!!, traduit il y a bientôt 20 ans, où un orphelin sauvage cognait fort sur tout ce qui le révoltait en ce bas monde. « Notre époque est d’une laideur abjecte et, à travers mes mangas et les situations extrêmes que j’y dépeins, je veux l’interroger, et sonder cette vulgarité, cette décadence« , expliquait son créateur Hideki Arai en 2017 à la revue Atom. En cela, Arai, dans nombre de ses oeuvres, correspond au sens de l’auteur « réaliste » donné par Houellebecq dans sa récente apparition à la Sorbonne, c’est-à-dire un auteur ni pessimiste, ni optimiste, mais entre les deux; quelqu’un qui représente le monde tel qu’il est mais ne l’accepte pas pour autant. Le manga Irène possède d’ailleurs des accents houellebecquiens. Dessiné entre 1995 et 1996, il met en scène, en milieu rural, l’impasse affective du gros ours quadra Iwao, onaniste compulsif, toujours chez ses parents -le père est sénile et la mère captative- et prisonnier d’un job plombant dans la salle de jeu du coin, où un collègue prédateur lui raconte comment il a « mis la misère à une petite prostituée » avec un mépris pervers et tous les détails (non) nécessaires. En somme, Iwao est un perdant des libéralismes économique et sexuel. Après l’humiliation de trop, il disparaît de la circulation et revient accompagné d’une étrangère de 18 ans. Irène. C’est son épouse, qu’il est parti chercher aux Philippines par le biais d’une obscure entreprise de mariages arrangés…

La Possibilité d’une idylle

La comparaison avec Houellebecq s’arrête là. Chez Arai, la peinture cynico-naturaliste se confronte à un expressionnisme d’une vitalité infinie. Ça crie, ça grimace, ça explose. Irène déborde de vie. Une bondissante ingénue, rieuse, tornade de spontanéité qui souffle des bourrasques d’humour slapstick. Elle parle difficilement la langue de son pays d’accueil mais son langage corporel est universel. Évidemment, l’arrivée de la jeune immigrée dans le récit crée aussi le malaise et soulève des thèmes acides (racisme, impérialisme, misogynie), mais Arai n’étouffe jamais les lecteurs, sans pour autant négliger la pesanteur de ses sujets. Il trouve un ton miraculeusement juste, suscitant rires sincères et légère nausée.

Si Irène scrute le rapport à l’étranger et au sexe opposé, son véritable sujet est au fond la tension entre pessimisme et optimisme. L’usé Iwao et la solaire Irène sont les incarnations respectives de ces deux polarités, ils illustrent la façon dont elles coexistent, déteignent l’une sur l’autre, se détruisent, se régénèrent. Un yin et yang complexes, ambigus, aux contours sans cesse redéfinis. Hideki Arai déteste le monde dans lequel il vit, c’est certain. Mais entre pessimisme et optimiste, ce réaliste porte un regard bouleversant et sans pareil sur ceux qui tentent d’y trouver du beau.

Irène

Drame satirique. De Hideki Arai, éditions Black Box, trois tomes parus sur six. *****

[la bd de la semaine] Irène, de Hideki Arai: Bigmouth strikes again
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