Laurent Raphaël

L’édito: L’imagination au pouvoir

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

C’est la question à un million de dollars: d’où vient l’inspiration des artistes? À quelle source s’abreuvent-ils pour sublimer l’ordinaire? Ou plutôt à quelleS sourceS. Leonard de Vinci et Jackson Pollock ont beau utiliser le même média, la peinture, on devine au premier coup d’oeil qu’ils n’ont pas été visités par les mêmes muses… À la sortie d’un film, d’une expo, d’un concert ou en refermant un roman ou une BD nous défrisant les neurones, on s’est tous posé la question de l’étincelle qui a mis le feu aux poudres dans la tête de l’artificier. Mais comme pour la théorie du Big Bang, il manque toujours une pièce au puzzle. On peut rembobiner le scénario mais jamais jusqu’à son point de départ.

Si certains artistes ouvrent volontiers les portes de leurs cuisines, ce n’est pas pour autant qu’ils parviennent à identifier tous les ingrédients qui entrent dans la composition de leurs petits plats. Heureusement, sinon on aurait déjà un algorithme qui nous pondrait des Ulysse ou des Moby Dick à la chaîne. Prudents, la plupart des musiciens, cinéastes et autres évitent d’ailleurs le sujet, se retranchant derrière la part de mystère de la création. Ou refusant tout simplement d’analyser, de décortiquer un processus spontané, notamment pour ne pas en briser la magie. Quand d’autres, comme l’écrivain japonais Haruki Murakami, qui disserte longuement sur son métier dans son nouveau Profession romancier (lire la critique), s’intéressent davantage au comment qu’au pourquoi, évoquant les rituels d’écriture, les pièges, les obstacles, mais jamais un hypothétique secret de fabrication jalousement gardé par les créateurs de tout poil. « Lorsqu’on descend au fond de sa conscience, expliquait-il au Monde en juillet dernier , il y a des choses que l’on voit, des bruits que l’on entend, et c’est tout ce matériel qu’on rassemble pour le remonter à la surface. Une fois que l’on dispose de ces éléments, il suffit de les agencer. Moi-même je ne sais pas comment se fait ce travail, c’est mystérieux. Si on écrit dans la logique, ce n’est plus une histoire qu’on raconte, mais une suite d’affirmations. Une histoire est belle parce qu’elle n’est pas explicable. »

Il y aurait donc du lâcher-prise dans le processus créatif. Un étrange mélange de rigueur, de discipline, de ténacité, d’abnégation, de souffrance même parfois, et de saut dans le vide, dans l’inconnu. À part quelques illuminé(e)s qui entendent des voix, il est d’ailleurs frappant de constater que le labeur, pourtant une variable terriblement terre-à-terre et à la portée de tous, est l’une des composantes les plus souvent citées par les auteurs pour expliquer la différence entre le talent et le génie. Un axiome qui vaut pour la culture comme pour le sport d’ailleurs.

Faute de pouvoir modéliser avec précision la mécanique de l’inspiration, on peut tenter d’identifier les grands thèmes qui lui servent de carburant. Au hasard, le dernier Astérix. Même si Conrad et Ferri jurent leurs grands dieux qu’ils l’avaient imaginée avant que Greta Thunberg ne fasse une entrée fracassante dans l’espace médiatique, Adrénaline, l’ado rebelle au coeur de l’intrigue de La Fille de Vercingétorix, fait furieusement penser à l’icône suédoise. D’autres ritournelles de l’époque -l’écologie, le féminisme, la faillite du modèle consumériste…- nourrissent également ce nouvel épisode très politique des aventures gauloises. Un cas non isolé, l’imagination s’imprégnant plus qu’à son tour de l’air du temps. Une paille cependant à côté de l’éventail des passions universelles, coeur palpitant de la création artistique. De l’amour à la mort en passant par la nature ou la religion. Kanye West, visiblement en pleine phase mystique, vient d’ailleurs de dévoiler un album prosélyte attendu comme le messie par les fans.

Cela se corse quand l’influence est cachée dans la botte de foin des références passées. Hommage ou plagiat? Après tout, Picasso a bien puisé allègrement dans le vivier africain. Pourquoi accabler les rappeurs qui jonglent avec les samples? Quant à Dalí et Magritte, ils n’ont cessé de se manifester leur admiration par emprunts interposés. Et que dire de l’histoire de la veste en jean bariolée de ce gamin des rues de Los Angeles, immortalisée en 1989 par le photographe de l’agence Magnum Jim Goldberg, et que l’on retrouvera en 2006, copiée quasi à l’identique, dans une collection de fringues de Kanye West, encore lui. Un geste punk, désespéré qui devient un emblème commercial cool. Une chose est sûre: l’inspiration n’a pas d’odeur…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content