Julien Lambert et sa VilleVermine

© Éditions Sarbacane
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le Belge Julien Lambert confirme l’essai avec un deuxième album qui ne sera pas le dernier: son univers aux inspirations allant de Gotham City à Jean Ray se révèle d’une infinie richesse.

Une ville-monde, rétro-futuriste, grouillante, sale et au béton suintant, marquée par la prolifération de bestioles et l’apparition d’événements surnaturels; un savant (vraiment) fou entouré d’un frère également dingo et d’hommes-insectes habillés en grooms, prêt désormais à « arracher l’ego aux êtres humains et à le fondre dans un immense esprit commun » aux allures de larve géante; un gang de gamins de rue aussi impitoyables que bavards, qui marquent leurs règles à suivre scrupuleusement sur les murs de la ville; un chat; des gangsters; des innocents; et surtout, Jacques Peuplier, privé franchement taciturne, brutal et solitaire qui n’exprime son humanité… qu’avec les objets: il les retrouve, les répare, leur parle et les entend. Et c’est fou ce que les vieux objets ont à raconter à ce privé, dans cette ville: bienvenue à VilleVermine, la ville-monde en question, qui donne son nom à cette formidable série de fantasy urbaine ou de polar fantastique, menée depuis deux albums par le jeune auteur belge Julien Lambert. Les références apparaissent évidentes, mais hybrides comme rarement. Né en 1986, Julien Lambert n’en est qu’à son troisième album. Mais les deux premiers ont déjà eu l’art de se faire remarquer: Edwin, le voyage aux origines (Le Lombard) avait entre autres remporté le Prix Raymond Leblanc en 2013, quant au premier volume de VilleVermine (Sarbacane), sous-titré L’Homme aux babioles, il avait remporté au début de cette année le Fauve Polar SNCF du festival d’Angoulême, récompense prestigieuse et a priori synonyme de nouveau tremplin, que l’auteur n’a pas encore eu le temps de savourer: « En réalité, je terminais le deuxième tome (intitulé Le Garçon aux bestioles, NDLR) quand le premier a reçu le prix, nous a expliqué cet originaire de la région de Beauraing désormais installé dans le Var. C’était une grande émotion sur l’instant, mais j’ai encore du mal à voir l’impact d’une telle récompense. Il donne en tout cas beaucoup de visibilité à mon travail et à la série, ce qui devrait faciliter les choses, parce que j’ai toujours envisagé VilleVermine ainsi, comme une série si possible populaire, où chaque volume contient une histoire différente. Il m’en a fallu deux pour installer les choses, mais je sais déjà qu’il y en aura un troisième; j’ai plein d’idées. »

Julien Lambert et sa VilleVermine
© ALAIN FRANÇOIS

Carrefour d’influences

L’idée et l’envie de VilleVermine lui viennent de loin, et plus exactement de la fin de ses études en bande dessinée à l’Institut Saint-Luc de Liège, il va y avoir onze ans: « Il fallait réaliser une histoire courte: dans la mienne, il y avait déjà une ville sale, des bestioles, des méchants zombies et un Jacques Peuplier qui ne s’appelait pas encore comme ça. Des insectes, une ville… Je retombais souvent sur ce cadre-là. Par ailleurs, j’avais écrit une ou deux histoires dans Exhibition, un fanzine lié à Saint-Luc, autour d’objets qui se parlent. Ça m’a plu tout de suite, mais j’ai voulu traiter le principe au premier degré. J’ai retravaillé le dossier plusieurs fois, jusqu’à obtenir ce premier diptyque. Cette affection pour les objets, j’ai ça en moi depuis longtemps, mais je n’ai par contre pas d’obsession particulière pour les insectes. J’aime juste les observer. » Un sens de l’observation qui a également nourri sa ville de fiction, véritable personnage de son récit fantastique, lui-même nourri à de multiples influences: « Pour la ville et son architecture, le point de départ était Liège et aussi Montréal, deux villes où j’ai vécu quelques années. Mais j’ai aussi beaucoup pensé à des villes de fictions comme le Gotham City de Batman, mais surtout dans le dessin animé, Sin City, ou encore Wondertown, de Vehlmann et Feroumont, que je lisais dans Spirou. Mon travail dans l’animation m’a aussi beaucoup aidé à imaginer et dessiner VilleVermine. » Le jeune trentenaire, décidément plein de ressources, a en effet travaillé quelques années durant, alors qu’il séjournait cette fois à Angoulême, sur des dessins animés comme Le Magasin des suicides ou Loulou, « mais toujours sur des images fixes ou en stéréoscopie, et beaucoup de décors« . De quoi dénicher d’autres influences encore dans ses atmosphères et dessins, allant de Nicolas de Crécy au duo Caro et Jeunet. « Et j’ai aussi beaucoup étudié les mangas, la manière dont ils font du personnage le centre de leurs histoires et la manière dont ça influence les découpages, les rythmes. Mais ma plus grande influence, je crois que ça reste Jean Ray et ses Harry Dickson, et des bandes dessinées comme Adèle Blanc-Sec de Tardi ou Professeur Bell de Sfar et Tanquerelle; que j’imagine des récits post-apocalyptiques, des récits pour enfants ou des fictions contemporaines, c’est vraiment le fantastique qui lie à chaque fois toutes mes histoires, presque malgré moi. »

Du fantastique belge, du comics, du manga, du franco-belge, de l’animation… On retrouve de fait toutes ces influences dans le VilleVermine de Julien Lambert, sans qu’elles n’étouffent jamais l’auteur singulier et réellement original qui les utilise et les réinvente sans se répéter: L’Homme aux babioles et Le Garçon aux bestioles proposent ainsi deux ambiances et deux rythmes volontairement très différents; un des nombreux tours de force de ce début de série enthousiasmant.

VilleVermine – t. 2: Le Garçon aux bestioles, de Julien Lambert, éditions Sarbacane, 92 pages. ****

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