Il était une fois… Walt Disney

© 2016 DISNEY ENTERPRISES, INC.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Après Bergman, Chaplin et Kubrick, les Éditions Taschen consacrent un somptueux volume à l’univers de Walt Disney, dont elles retracent l’évolution des laugh-o-grams des débuts au Livre de la jungle, en 1967.

Monument, mythe…: l’hyperbole est de mise lorsqu’il s’agit d’évoquer Walt Disney, artiste de génie dont l’aura a largement surpassé sa filmographie et même le cinéma, pour s’inscrire dans l’inconscient collectif. Si l’on pensait que le créateur de Mickey n’avait plus guère de secrets, tant sa vie et son oeuvre ont été largement documentées -à la littérature abondante se sont ajoutés les documentaires, archives, expositions et jusqu’au film Saving Mr. Banks qui s’invitait récemment dans les coulisses de Mary Poppins-, la somme que lui consacrent aujourd’hui les éditions Taschen vient éclairer d’un jour fascinant son parcours hors normes.

Dessin préparatoire pour Man in Space.
Dessin préparatoire pour Man in Space.© 2016 DISNEY ENTERPRISES, INC.

Soit un voyage au coeur de l’animation Disney, périple débutant en 1920 à Kansas City avec les Laugh-0-grams pour s’achever 47 ans plus tard à Hollywood sur Le Livre de la jungle, ultime long métrage supervisé par le maître, disparu en 1966. Entre-temps, c’est une aventure sans équivalent que retrace cet ouvrage, traduisant tout autant l’évolution du style maison, attisée par une curiosité artistique jamais prise en défaut, que l’impact de l’oeuvre créée dans l’effervescence des studios Hyperion, à Silver Lake, puis, à compter des années 40, dans ceux, modernistes, de Burbank. À cet effet, les auteurs ont eu accès aux collections de la Walt Disney Company, d’où ils ont notamment ramené une somptueuse iconographie à même de donner le tournis. Soit 1 500 images (story-boards, montages de cellulo, croquis, esquisses, aquarelles, photogrammes…) où s’exprime l’exceptionnel talent des collaborateurs, animateurs, auteurs, dessinateurs, designers et autres associés à la création de ces univers imaginaires. Et la démonstration que, plus que quiconque, Walt Disney sut élever l’animation au rang d’art majeur -il suffit, du reste, de (re)voir Pinocchio, Fantasia ou autre La Belle au bois dormant pour s’en convaincre.

Dans l’intimité des studios

Dessin préparatoire pour Fantasia.
Dessin préparatoire pour Fantasia.© 2016 DISNEY ENTERPRISES, INC.

Confié à divers spécialistes, le texte ne dit d’ailleurs pas autre chose, qui raconte par le menu l’aventure Disney. En l’espèce, il s’agit surtout de célébrer l’imagination à l’oeuvre, si bien, par exemple, que la grève qui devait secouer le studio au printemps 1941, entraînant une ponction des effectifs, n’est évoquée qu’en filigrane. La lecture de l’ouvrage n’en constitue pas moins un pur régal, invitant le lecteur dans l’intimité des lieux, en quelque « behind the scenes » monumental, pour en faire le témoin privilégié du processus de création de chacun des films -sentiment encore renforcé par divers extraits des conférences de rédaction réunissant Walt D. et ses équipes. Si, de Blanche-Neige à Mary Poppins en passant par Bambi ou Alice au pays des merveilles, les grands classiques bénéficient ainsi de chapitres fouillés et généreusement illustrés, l’intérêt de ces archives réside aussi dans l’attention portée aux oeuvres moins connues et aux projets avortés. Ainsi des Laugh-O-grams déjà mentionnés et autres Silly Symphonies des débuts, mais encore des films compilant divers courts métrages, par exemple.

Dessin préparatoire pour La Belle au bois dormant.
Dessin préparatoire pour La Belle au bois dormant.© 2016 DISNEY ENTERPRISES, INC.

Échaudé par l’échec commercial de Pinocchio et Fantasia, accentué encore par la fermeture des marchés européens suite à la guerre qui ravageait le Vieux Continent, Walt Disney devait, au cours des années 40, mettre une sourdine à l’ambition artistique qui l’avait animé jusqu’alors. Brian Sibley, dans l’essai qu’il consacre à The Adventures of Ichabod and Mr. Toad (1949), rapporte cette citation fameuse du maître décrétant: « Le caviar, c’est terminé! À partir de maintenant, ce sera purée au jus de viande! » S’il s’ensuivit une période de (relatives) vaches maigres artistiquement s’entend, il y eut là quelques épisodes tout à fait passionnants. Ainsi, par exemple, des circonstances qui devaient conduire aux miscellanées Saludos Amigos et The Three Caballeros, réalisées entre 1942 et 1944, dans le cadre du « Programme de bon voisinage » mis en place par le gouvernement sous l’égide de la Coordination des affaires interaméricaines pour cimenter les liens d’amitié avec l’Amérique latine, afin d’y combattre l’influence politique des puissances de l’Axe. Ou encore des nombreux courts métrages éducatifs, de propagande ou de divertissement réalisés dans le cadre de l’effort de guerre américain, comme Le Visage du Führer, Soldat Pluto ou Donald à l’armée, et jusqu’à un Raison et émotion dont Pete Docter confiera qu’il compta parmi les inspirations du formidable Vice-Versa.

Sky is the limit

D’autres curiosités figurent encore au sommaire. Et notamment les trois épisodes « sciences-factuels », mêlant données vérifiées, images époustouflantes et séquences animées, réalisés au coeur des années 50 pour la télévision autour de l’aventure de l’espace, avec le concours, notamment, de l’ingénieur en aérospatiale Werhner von Braun. Des émissions visionnaires qui devaient donner un coup de pouce aux projets de ce dernier, responsable de programmes à la NASA qui, le jour où Apollo fit le tour de la Lune pour la première fois, ne manqua pas d’appeler le réalisateur Ward Kimball pour lui annoncer: « Well, on dirait qu’ils suivent notre scénario. » Sky is the limit, et encore…

The Walt Disney Archives, The Animated Movies 1921-1968. Sous la direction de Daniel Kothenschulte. Éditions Taschen. 620 pages
The Walt Disney Archives, The Animated Movies 1921-1968. Sous la direction de Daniel Kothenschulte. Éditions Taschen. 620 pages© DR

Enfin, parmi les projets inaboutis répertoriés dans ces pages, on pointera un Davy Crockett imaginé en collaboration avec le peintre Thomas Hart Benton, un Hiawatha dont on trouvera, plus de 40 ans plus tard, le prolongement dans Pocahontas, ou encore ces suites annoncées à Fantasia, dont le maestro avait envisagé de faire un film au programme changeant et pouvant rester en permanence à l’affiche -espoir douché par une réception décevante. Qu’à cela ne tienne, il y a ici l’aboutissement d’un rêve de cinéma, et ce livre évoque ceux qui, si souvent, ouvraient les classiques Disney, comme autant de promesses d’un enchantement toujours renouvelé.

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