Et si Hergé et Tchang avaient été amants?

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Dans Georges & Tchang, le dessinateur Laurent Colonnier imagine que l’amitié entre Georges Remi et Tchang Tchong-jen a été une vraie histoire d’amour… Interview.

Nouvelle secousse en vue pour tous les amoureux de Tintin! Laurent Colonnier, dessinateur de presse, notamment à Marianne, publie un album prêtant une liaison amoureuse à Hergé et Tchang -le vrai, celui qui fut le modèle du personnage du Lotus Bleu et de Tintin au Tibet! Sacrilège? Ce n’est pas tout: Laurent Colonnier sous-entend également que le créateur belge aurait été manipulé par des communistes chinois au moment du Lotus Bleu. Il s’explique ici.

Comment est née cette idée d’une liaison entre Hergé et Tchang?

Avant tout, je suis un fan de Hergé. Je pense que son oeuvre est inusable et inépuisable, comme celle des Beatles ou d’Hitchcock. Elle est traversée par des courants souterrains, qui en font toute la richesse. Nous savons tous qu’Hergé a rencontré le Chinois Tchang Tchong-jen, en 1934, au moment où il s’attaquait au Lotus Bleu. Etudiant venu de Shanghai, celui-ci lui avait été recommandé par un abbé belge, qui souhaitait qu’Hergé ne véhicule pas les clichés négatifs de l’époque sur les Chinois. Mais très vite, Tchang, lui aussi dessinateur, va donner des conseils à Hergé et aura une grande influence sur son évolution graphique. Ce sont deux grands créateurs -il suffit de regarder le buste que Tchang effectuera de François Mitterrand, beaucoup plus tard, pour s’en apercevoir. Une vraie amitié va unir les deux hommes, qui se voient régulièrement, parfois en compagnie de Germaine, l’épouse d’Hergé.

De là à en faire des amants…

On a l’impression qu’Hergé est de plus en plus fasciné par Tchang au fur et à mesure de l’avancée du Lotus Bleu. Il le représente tout d’abord une première fois, discrètement, en adulte, assis dans une salle de cinéma, non loin de Tintin, venu se cacher là de ses poursuivants. Puis, c’est la scène célèbre où Tintin sauve le jeune Tchang de la noyade. Dans un livre de souvenirs, plus tard, le vrai Tchang racontera, de façon un peu équivoque, je trouve, qu’il avait eu l’impression de connaître Hergé avant même de l’avoir rencontré. Il cite même une prière bouddhique: « Reposez-vous ensemble sous un arbre, allez puiser l’eau à la rivière, passez une nuit ensemble »… Et puis, un jour, je suis tombé, sur le site de l’Ina, sur une interview d’Hergé à Apostrophes. A un moment, il fait un étrange lapsus: « Tintin au Tibet, simplement, c’est une histoire d’amou… d’amitié. » Alors je me suis dit: et s’ils avaient été amants? Il y a évidemment une part de provocation, une envie de bousculer les gardiens du temple.

Mais Hergé était plutôt connu comme un séducteur auprès des femmes et a été marié deux fois. Aucun de ses biographes n’a évoqué de relations homosexuelles. Et puis, avec son éducation très corsetée, croyez-vous vraiment qu’il serait passé à l’acte?

C’est vrai, mais on peut toujours s’amuser à relever certains épisodes de sa vie. Lorsqu’il était scout, il participait à des reconstitutions de Saint Sébastien, avec un camarade presque nu criblé de flèches attaché à un arbre. C’est un grand classique de l’iconographie gay. Un baron belge, qui accueillait ces camps scouts, passait son temps à inventer des jeux, où il fallait se mettre quasiment nu. Et sur la fin de sa vie, Hergé a été entouré d’homosexuels, que cela soit son secrétaire particulier ou encore l’écrivain Gabriel Matzneff. Alors…

L’autre axe de votre intrigue est plus étayé historiquement: il s’agit de la vision très pro-chinoise et anti-japonaise véhiculée par Le Lotus Bleu. Hergé a-t-il été manipulé par Tchang et ses amis chinois?

Oui, il l’a lui-même reconnu devant des journalistes hollandais, dans les années 70. On sait aujourd’hui que c’est Tchang lui-même qui a dessiné tous les idéogrammes des affiches, banderoles et dazibaos du Lotus Bleu. Il y a glissé des slogans engagés, tels que « Abolissons les traités inégaux! » ou « A bas l’impérialisme! » Dans l’album, Hergé attribue aussi aux Japonais le sabotage d’une voie de chemin de fer chinois, épisode directement inspiré de l' »incident de Moukden », en 1931, point de départ de l’invasion de la Mandchourie par le Japon. Les Japonais ont vraiment le mauvais rôle dans Le Lotus Bleu. A telle enseigne qu’un haut-gradé belge, Raoul Pontus, mandaté par l’ambassadeur du Japon, a émis une protestation auprès du Petit Vingtième, le périodique qui publiait les aventures de Tintin. Sans effet. Est-ce pour se rattraper qu’Hergé mettra en scène un Japonais sympathique dans les premières pages du Crabe aux pinces d’Or? Peut-être…

Mais vous allez plus loin! Vous laissez entendre qu’Hergé aurait été manipulé par des agents secrets chinois…

C’est une thèse qui a été défendue par Roger Faligot, spécialiste du renseignement et auteur des Services secrets chinois de Mao aux JO (Nouveau Monde éditions). Il s’est intéressé à un certain Tong Dizhou, qui partageait le logement de Tchang à Bruxelles. A l’époque, c’était un étudiant en biologie -il sera, plus tard, le premier scientifique à parvenir au clonage des carpes. Il deviendra un haut-dignitaire du régime maoïste, vice-président de l’Académie des Sciences, ce qui dénote une certaine proximité avec le Parti communiste. Alors, j’ai fait mon Alexandre Dumas, et j’ai imaginé qu’il avait sciemment manipulé Hergé via Tchang. Je me suis même amusé à introduire dans mon récit le personnage de Willi Münzenberg, le célèbre agitateur du Komintern…

Pourtant, c’est une ennemie des communistes, l’épouse du nationaliste Tchang Kai-chek, qui appréciera beaucoup Le Lotus Bleu et invitera même Hergé en Chine…

Elle a sans doute été sensible à l’ambiance anti-japonaise de l’album…

Et puis, on ne peut pas dire que Tchang avait un profil d’agent communiste, lui!

Non, il a traversé des moments très durs, après son retour en Chine. Pendant la Révolution Culturelle, on lui confisqué tous ses biens et il aurait été contraint, dit-on, de détruire lui-même ses sculptures! Il est devenu balayeur, a été envoyé dans des rizières, brimé, etc. Il a finalement réussi à venir en Europe, où il retrouva Hergé, et à s’installer en France, au début des années 80. Un musée porte son nom, aujourd’hui, à Shanghai.

Vous n’évoquez pas du tout Tintin au Tibet. Or, si l’on voulait vraiment déceler une dimension homosexuelle dans l’oeuvre d’Hergé, ce serait bien plutôt dans cet épisode, où Tintin enlève Tchang des bras du yeti velu, non?

J’ai préféré me concentrer sur l’année 1934, celle de la rencontre de Tchang et d’Hergé. Cela dit, je considère le Tibet comme le chef d’oeuvre de la série. Et puis, c’est vrai, c’est au sujet de cet album qu’Hergé a fait son fameux lapsus à Apostrophes…

Avez-vous eu des difficultés à publier cet album?

Il a été refusé par tous les éditeurs de bande dessinée, des plus gros aux plus petits! Certains étaient offusqués. Finalement, ayant eu vent du projet, les éditions 12bis m’ont contacté pour l’éditer. Parfois, je vois cet album comme une provocation. Mais, à d’autres moments, je me dis que tout cela est vrai…

Jérôme Dupuis (L’Express)

Le Vif/L’Express a contacté la société Moulinsart, gestionnaire des droits de Hergé, qui n’a pas encore réagi à la publication de Georges & Tchang.

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