Laurent Raphaël

Édito: Apocalypse now

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« La France, le futur proche. Si le pays de Balzac fut jadis éblouissant, il évolue désormais en 3e division sur la scène des pays « développés ». Et pour couronner le tout, chaque Noël, c’est la canicule. » Ainsi parlait le futurologue Riad Sattouf en intro d’un épisode des dernières aventures de Pascal Brutal.

Le plus allumé des représentants de la nouvelle vague de la BD française (Les Beaux gosses, c’est lui) nous projette dans une France délabrée, gangrénée par le chômage, la déprime et l’anarchie. Dans ce monde vicié, un homme, autoproclamé roi de la virilité, sorte de Cyrano des banlieues, tire son épingle du jeu en endossant successivement les habits de gros lourdauds, de l’humoriste pétomane au footeux hystérique en passant par le rappeur professionnel bloqué au stade anal… Humour, dérision et baston font bon ménage dans ce récit apocalyptique qui fait se gondoler mais qui, une fois la poussière des vannes retombées, laisse un goût amer: ce que nous dit Sattouf au final, c’est que la vulgarité, la violence et la beaufitude ont gagné la partie.

Il est loin le temps où le futur était une feuille blanche sur laquelle des optimistes dessinaient un avenir radieux, guidés par les progrès de la science et des nouvelles théories sociales. Deux guerres mondiales et quelques crises plus loin, la dystopie a fait la nique à l’utopie. Désormais, l’horizon est couvert de nuages chargés de nos angoisses et de nos incertitudes. Plusieurs projets de fictions vont ainsi nous faire passer l’envie d’être demain. A commencer par une vieille connaissance: Mad Max. Pour ce quatrième volet de la franchise qui devrait débouler sur les écrans en mai 2015, Tom Hardy prend le volant de la Ford Falcon Interceptor à la place de Mel Gibson. Et c’est Charlize Theron, rebaptisée pour l’occasion impératrice Furiosa, qui lui cherchera des poux. Un « survival » pied au plancher qui donnera certainement envie de se pelotonner dans les bras, même cassés, du présent. Car jouer à se faire peur est aussi une façon de dédramatiser l’ici et maintenant, voire de l’enjoliver un peu en lui opposant un double en plus piteux état encore. Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console…

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Cassandre se cache aussi dans la nouvelle série télé que mitonne Arte, qui avait déjà agité l’épouvantail de lendemains qui déchantent en diffusant Real Humans, fable bionique sur les dérives d’une société normative et technovore. C’est le climat socio-économique pourri du moment qui sert de terreau au scénario de Trepalium. Lointain écho au Los Angeles 2013 de John Carpenter ou, plus près de nous, au In Time d’Andrew Niccol, la série confiée à notre compatriote Vincent Lannoo (Au nom du fils) dépeint un monde coupé en deux par un mur séparant les 20% de chanceux qui ont encore un boulot des 80% de chômeurs. Des menaces d’attentats et quelques révoltés vont mettre en péril cette belle mécanique eugéniste.

Comme pour enfoncer le clou et plomber définitivement l’ambiance, l’auteur crypto-mystico-réac Maurice G. Dantec s’invite également au bal de l’anticipation. Encore que l’anticipation de ses Résidents relève plus de l’esprit que de la lettre, le techno-thriller à la noirceur sidérale déployant sa trame mutante dans un temps indéfini.

Signe des temps, la menace ne vient plus nécessairement d’une autre galaxie. Comme si on avait assez de grains à moudre avec nos propres démons et errements pour alimenter le meilleur du pire. Si les frères Dardenne devaient saucer le fond de la casserole prophétique, ils pourraient imaginer le sort d’une employée lambda qui n’arriverait plus à payer sa modeste maison à cause d’un saut d’index décidé par un gouvernement ultra libéral, et encore moins à éponger les frais d’hôpitaux d’un père sidérurgiste victime d’un accident du travail à 66 ans. Ah non, zut, c’est pas de la science-fiction ça! Comme disait cet autre oracle de J.G. Ballard, « le futur, c’est maintenant »…

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