Critique | Livres

Deux comédiens de Don Carpenter, duel au soleil

Jerry Lewis et Dean Martin, circa 1955. © DR
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Don Carpenter emboîte le pas à un duo comique pour dézinguer avec élégance le cirque du showbiz américain. Délicieusement doux-amer.

Deux comédiens de Don Carpenter, duel au soleil

Suicidé dans un anonymat presque total en 1995 au terme d’une longue, mais littérairement féconde, descente dans les abîmes de la dépression, Don Carpenter est l’objet depuis quelques années d’une réhabilitation largement justifiée. A défaut de sauver l’homme, elle sauvera du néant l’oeuvre d’un écrivain à classer sur l’étagère bien garnie des fossoyeurs du rêve américain, à côté d’un John Dos Passos ou d’un John Fante.

Le travail d’exhumation a commencé avec Sale temps pour les braves (1966), récit écrit à l’étuvée retraçant la trajectoire cabossée, de l’orphelinat à la prison en passant par la maison de correction, d’un enfant de la balle, Jack Levitt, tiraillé entre ses aspirations à la liberté, à l’amour et au bonheur, et la rage froide qui le consume de l’intérieur. Au jeu des comparaisons, on pourrait évoquer une version électrique et fébrile du Oliver Twist de Dickens.

Changement de registre ensuite avec La Promo 49 (1985), portrait satiné de la jeunesse middle-class d’après-guerre, égrenant ses rêves et ses hantises pour en extraire le suc tumultueux de l’adolescence. Une enivrante « teen comedy » pressée à froid, l’auteur dévoilant une autre facette de son talent: l’art de cueillir l’écume des émotions qui nimbent la surface d’une époque. Confirmation éclatante ensuite dans un court roman (ou une longue nouvelle) publié l’an passé, Strass et paillettes (1968). Dans une ambiance brumeuse à la Cassavetes, Don Carpenter y dégorge la nuit d’errance et de beuverie d’un scénariste de seconde zone flanqué d’un acteur vedette sur le déclin dans les rues de la Cité des anges. Son écriture élégante suinte le désenchantement et fait remonter des vapeurs fitzgéraldiennes. L’enivrement moite et le désespoir tapissé d’étoiles se mêlent au son d’une mélancolie jazzy ruisselant sur le bitume des faux-semblants de cette ville mirage.

Gatsby version bohème

Cet Hollywood triste, dont l’écrivain connaît tous les rouages pour avoir servi comme scénariste dans ses entrailles -une expérience longue et pénible-, est également au menu du nouveau diamant extrait de l’anonymat, Deux comédiens (1979). Ambiance West Side Story sous Xanax pour cette chronique douce-amère, à cheval sur deux décennies, d’un tandem comique ayant conquis l’Amérique cathodique dans les années 60, et entretenant depuis la flamme de sa notoriété chaque été avec le tournage d’un film et une tournée à Las Vegas. Il y est question d’amitié, de trac, d’influence, de drogues, de doutes, de mondanités, d’excès en tout genre. Les Kennedy, les producteurs tout-puissants, les bouffons, Charles Manson ou encore Hugh Hefner, le patron de Playboy, défilent devant les yeux lucides et fatigués de David Ogilvie, la moitié la moins excentrique d’un tandem qui n’est pas sans rappeler Dean Martin-Jerry Lewis.

Lubitsch aurait pu en faire une comédie grinçante, en gommant la crudité qui lézarde ici et là le vernis policé, relâchement moral des années 70 oblige. Une fois encore, on est troublé par la musicalité de Carpenter, dont les mots sonnent juste pour décrire sans falbalas, sans moralisme, sans effets de manche, une industrie en décomposition. Grandeur et décadence…

  • DE DON CARPENTER, ÉDITIONS CAMBOURAKIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR CÉLINE LEROY, 192 PAGES.

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