Conseils confinés: des livres qui font rire, sans aucune allusion à « la situation »

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Un Crash Test S05E27 confiné, c’est un Crash Test qui regarde autour de soi à la recherche d’idées et comme autour de soi, c’est le salon et le bureau, ça sera forcément des livres. Mais pas des livres qui font réfléchir, rager ou pleurer. Des livres qui font rire. Des livres pour le moment d’utilité publique, donc…

Je ne vous imposerai pas mon journal du confinement. Ceux qui circulent déjà sont carrément obscènes. Je vis bien ce qui se passe, dans des conditions acceptables, relativement serein. C’est une expérience sans grand intérêt, très personnelle, très privée, un dimanche qui n’en finit pas. Disons que j’ai peut-être juste besoin d’un peu m’aérer. La tête, surtout. De parler « d’autre chose », de lire « autre chose ». De décrocher de l’actu et de ses ressemblances avec la science-fiction de jadis. Je n’ai pour le moment pas envie d’écrire sur « la situation », de collectionner et de commenter ce qui s’en dit de bien, ce qui s’en dit de bête et ce qui s’en dit de bien bête. Contrairement à beaucoup de collègues, je n’ai pas non plus envie de consommer, ni de conseiller, de grands drames à lire et à relire, des pamphlets rageurs desquels s’inspirer quand sera venu le moment de tout balayer, des films qui provoquent des vertiges existentiels et de la musique qui fait trembler ou pleurer. En fait, là, j’ai surtout envie de me marrer, de me bidonner, de me gondoler. Et qu’est-ce que l’on fait dans ces cas-là? On regarde autour de soi, pour le coup forcément dans son bureau et dans son salon, à la recherche de ce qui est susceptible de bien se doper la banane. Cette semaine, les livres.

Conseils confinés: des livres qui font rire, sans aucune allusion à

John Fante: Demande à la poussière (Ask the Dust, 1939), en poche chez 10/18.

C’est le plus teigneux donc le plus drôle des romans de « la saga Arturo Bandini ». Tout le monde y est dingue à manger du foin, assez veule, s’engueule continuellement et les délires de grandeur du personnage principal sont tout simplement magiques. Chaque fois que je relis ça la nuit, j’ai toujours peur que les voisins appellent la police tellement je m’esclaffe bruyamment à chaque page. Il y a bien entendu aussi un côté poignant à ce bouquin, mais il n’est pas forcé, comme souvent chez d’autres, pas juste destiné à excuser les méchantes couillonnades en faisant couler la petite larmiche à la fin. Ceci est donc vraiment une bible pour sociopathes, un pur chef-d’oeuvre de misanthropie.

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Jean-Patrick Manchette: L’Affaire N’Gustro (1971), en poche chez Folio Policier.

J’ai lu tous les polars de Jean-Patrick Manchette. C’est toujours très violent, assez basique, un peu branlé par-dessus la jambe. L’Affaire N’Gustro, inspirée de la disparition en France du politicien marocain Mehdi Ben Barka en 1965, est son roman le plus politique mais aussi son plus drôle, du moins si on a l’humour politiquement très incorrect. C’est l’histoire d’un jeanfoutre vaguement dandy, vaguement d’extrême-droite qui se retrouve impliqué dans une barbouzerie internationale à grande échelle. On a parlé de ce livre comme d’un brûlot contestataire, mais il s’agit surtout d’une grosse série B truffée de personnages hauts en couleur et de dialogues bougons et caricaturalement machistes et racistes. « C’était un personnage assez fascinant. Pitoyable quand il essayait de jouer les durs, mais dur quand on s’apitoyait. Une sorte de hargne congelée, à l’égard de tout, absolument tout. S’il avait été intelligent, il aurait eu quelque chose de stirnerien, si vous voyez ce que je veux dire. Mais il n’était pas intelligent. » Voilà comment, dès la première page, est présenté l’anti-héros de cette grosse embrouille de 215 pages qui se plie en 3 heures. Et vous en 4.

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Joseph Mitchell: Old M. Flood (1948), vient d’être traduit aux Éditions du Sous-Sol.

Joseph Mitchell, journaliste de prestige au prestigieux New Yorker, a comme qui dirait pas mal enjolivé certains de ses articles, préférant inventer des personnages et des situations plutôt que de s’en tenir à la déontologie basique, arguant qu’en pratiquant de la sorte, avec l’accord de son rédacteur en chef, ses récits « seraient plus proches de la vérité plutôt que fidèles à des faits avérés« . Soit. On peut toujours se demander ce qu’en pense le Conseil de Déontologie sans pour autant dénigrer le résultat: des chroniques très enlevées et très drôles sur un nonagénaire new-yorkais ayant ses habitudes au marché aux poissons de Fulton Street. Un type qui n’existe donc pas, composé par Mitchell sur base des tocades et de la gouaille de figures réellement croisées dans le quartier, au milieu des années 1940. Bref, si vous aimez les dialogues voltigeurs et les anecdotes de vieux poivrots, ces chroniques où « il est question de manger du poisson et de boire du whisky, mais aussi de mort et de renaissance » vont assurément vous faire beaucoup sourire, n’étant d’ailleurs pas sans rappeler les scènes des Sopranos et les films de Scorsese où les gens se retrouvent simplement entre eux pour décompresser en parlant de tout et de rien. Avec cette tchatche au débit de mitraillette et cet accent nasal typiquement new-yorkais que l’on imagine ici vite entendre résonner à chaque page. Un régal, bien meilleur que la raie au beurre.

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Fred Vargas: L’Homme à l’envers (1999), en poche chez J’ai Lu Policier.

On m’avait vendu ceci comme un plaisant et amusant roman policier mettant en scène une traque au loup-garou, ou du moins à un dingue qui se prend pour un loup-garou, dans la France rurale contemporaine. C’était sans savoir que « les polars qui s’effilochent » me passionnent bien plus que les traques à suspense et les enquêtes bien ficelées. « Les polars qui s’effilochent », ce sont ces films et ces livres qui ont d’abord l’air de thrillers bien huilés où il va se passer plein de choses mais qui, sur la longueur, s’avèrent en fait surtout des odes à la glande. Exemples: Profession: Reporter d’Antonioni. Jack Nicholson prend l’identité d’un mort, ça lui cause finalement bien des ennuis, mais durant une bonne heure de film, ça ne l’empêche pas de faire du tourisme pépouze en Espagne avec Maria Schneider. Ou Sonatine de Takeshi Kitano, polar pas si tendu que ça, malgré sa violence, puisque les yakuzas passent un bon tiers de ses nonante minutes à benoîtement déconner sur une plage. L’Homme à l’envers, c’est également un peu ça: très vite, le suspense s’effiloche, les dialogues et les situations absurdes s’accumulent, on s’y murge davantage au petit vin « piégeux » du pays qu’on n’y compte les rebondissements et tous les flics sont tous encore plus barrés et attachants que dans Twin Peaks… C’est aussi profondément drôle, surtout dans les dialogues. Comme toujours chez Vargas.

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Peter Eicher: The Elvis Sightings (1993, Avon Books), non traduit

J’ai trouvé ce bouquin pour moins d’un euro sur une brocante et je le considère depuis comme l’un de mes plus grands trésors. « The Elvis Sightings », ça peut se traduire par « Les Apparitions d’Elvis ». Le plus sérieusement du monde, l’auteur y recense donc quelques apparitions du King après sa « fausse » mort d’août 1977. C’est du gros calibre: en plein milieu des années 80, Elvis fait risette à une épicière. En 1992, Elvis est photographié la jambe dans le plâtre à la sortie d’un hôpital, après un accident de moto. À la même époque, des poivrots disent avoir vu un type dans un bar qui non seulement ressemblait à Elvis, mais chantait comme Elvis des chansons comme Elvis et interprétait un putain de rock and roll jamais entendu auparavant. Ce génie anonyme serait-il donc VRAIMENT Elvis? Ma préférée: Elvis apparaît à la fenêtre d’une maison d’une ménagère alors que celle-ci tente de relancer sa machine à laver en panne. Je vous avouerai ici croire aux OVNI, peut-être même à une forme de vie après la mort. Mais pas à Elvis. D’où l’hilarité certaine.

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