Critique | Livres

Chronique livre: Arnaud Cathrine – Nos vies romancées

Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ESSAI | L’écrivain Arnaud Cathrine règle son ardoise dans un essai qui rend hommage à ses auteurs fétiches. Un livre qui pousse forcément à la consommation…

Chronique livre: Arnaud Cathrine - Nos vies romancées

Dernier inventaire avant liquidation suivi de Premier bilan après L’Apocalypse de Frédéric Beigbeder, Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig, Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau de Linda Lê, Ardoise de Philippe Djian… Faire l’inventaire devant témoin de ses livres et auteurs de chevet -ceux qui ont influencé une vie et encouragé une vocation: la tentation, bien compréhensible, deviendrait presque ces derniers temps un genre littéraire en soi. Une démarche ambiguë, tout à la fois humble et intéressée: convoquer, dans un recueil à multiples entrées, les écrivains de son panthéon personnel, c’est payer sa dette à ses maîtres, se faire oublier dans leur ombre, mais aussi les rappeler à soi pour se composer un fantasme d’arbre généalogique, inscrire l’air de rien son nom à l’une de ses branches, et espérer que le feu sacré circule…

Une tendance à laquelle souscrivait récemment Arnaud Cathrine (Les Yeux secs, La Disparition de Richard Taylor, Je ne retrouve personne), tout juste 40 ans, jeune dandy byronien touche-à-tout des lettres françaises (quand il n’écrit pas pour le cinéma et le théâtre, il collabore en chanson avec le moustachu Florent Marchet). Nos vies romancées, son bref exercice d’admiration, nous avait échappé à sa sortie chez Stock; il est heureusement reformaté aujourd’hui au livre de poche.

Sélection naturelle

Vu l’ambition avouée de Nos vies romancées (qui va chercher vers le petit volume itinérant davantage que vers l’anthologie définitive), il a fallu faire des choix. Forcément cruels. Ainsi, puisqu’il s’impose une short list à seules six entrées, Cathrine élit Carson McCullers, Françoise Sagan, Roland Barthes, Fritz Zorn, Sarah Kane et Jean Rhys: « Quatre femmes, deux hommes; quatre étrangers, deux Français. Au total, l’inventaire ne dit pas grand-chose car je n’ai pas cherché l’équilibre. » La sélection est naturelle, et c’est tout l’intérêt de l’exercice: découper un portrait de l’écrivain en lecteur. En romancier de la famille et de l’adolescence, Cathrine expose ainsi un inventaire tourmenté et existentiel de choix, tendance écorché romantique.

Pêle-mêle, il y révèle trouver dans la Frankie Addams de l’Américaine Carson McCullers (1917-1967) son double littéraire féminin: « Je découvre tout simplement que Carson McCullers a écrit -quasi mot pour mot- le roman de mon adolescence. » Chérir le personnage François Sagan davantage que ses écrits (il choisit pour l’approcher un délicieux recueil d’entretiens, Tout le monde est infidèle). Collectionner autant d’exemplaires annotés des Fragments du discours amoureux de Roland Barthes que de ruptures (« il sera, par suite, éloquent de parcourir les quatre ou cinq exemplaires qu’on finit par posséder dans sa bibliothèque, les croix n’étant évidemment jamais aux mêmes endroits, ni aux mêmes pages »). Militer pour la réhabilitation de Jean Rhys, british et farouche auteure de Bonjour Minuit. Et on en passe. Au final, Cathrine élabore un panorama d’affection à haut pouvoir prescriptif (impossible de refermer le livre sans se ruer sur l’un ou l’autre titre passé à son filtre lettré et sensible), qui cache aussi une suite de considérations sentimentales et radicales sur la littérature. Dont la suivante n’est pas la moins belle: « Nous laisser un peu plus vivant: je ne demande pas autre chose à la littérature. »

  • Nos vies romancées de Arnaud Cathrine, éditions Le Livre de Poche, 193 pages.

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