BD, musique, cinéma, spectacle: visite guidée de Melvile, l’univers multiforme de Romain Renard

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Avec L’Histoire de Ruth Jacob, Romain Renard boucle son imposante trilogie Melvile. Une somme entre polar et réalisme magique qui n’est pourtant que le sommet d’un iceberg cathartique bien plus vaste, à la fois graphique, scénique et audiovisuel. Rencontre.

De l’infiniment petit peut naître l’infiniment grand. Telle est l’évidence qui nous a traversé l’esprit lorsque le Bruxellois Romain Renard nous a invité dans son atelier, lui-même installé dans son appartement saint-gillois: de ce coin de bureau de quelques mètres carrés, entre un ordinateur portable et un fusain -les deux outils de prédilection de cet auteur, dessinateur, coloriste, musicien, vidéaste, documentaliste et scénographe- sont nées, en huit ans, plus de mille planches de bande dessinée formant Melvile. Mais aussi des dizaines de chansons, des heures de bande originale, des chroniques radiophoniques, un spectacle, un site internet, une application, un roman et, bientôt, un film d’animation. Car Melvile n’est pas « que » une bande dessinée: c’est un véritable univers que Romain Renard a créé avec cette ville-là, écrin fictionnel de toutes ses envies d’artiste -et de tous ses questionnements de fils, d’homme et de père.

Aujourd’hui sort à la fois le troisième volume de ce qui devrait, peut-être, rester une trilogie (L’Histoire de Ruth Jacob) et Les Chroniques de Melvile, compilation de récits courts existants déjà sous forme de chansons et de chroniques audiovisuelles. Une extension et trois volumes qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres, mais qui prennent tout leur sel, leur sens et leur ampleur quand on les lit à la suite, en écoutant la bande originale qu’a composée Romain Renard. Ce dernier y boucle une vertigineuse boucle -les dernières pages du troisième volume font immédiatement le lien avec les premières pages du premier- mêlant des dizaines de personnages, plusieurs générations et au moins trois fils narratifs, le tout lié de près ou de loin à un énorme incendie de forêt qui a lieu en 1987, et surtout à cette petite ville qu’on imagine nord-américaine ou canadienne, perdue au milieu d’immenses forêts d’épicéas. Un lieu aux atmosphères au moins aussi importantes que les drames qui s’y déroulent et qui fait immédiatement penser au Twin Peaks de David Lynch. « Une de mes grandes références, explique d’ailleurs Romain Renard. Le film, pas la série, fut un véritable choc, et une révélation: on peut raconter, dans une fiction, des humeurs autant que des histoires. C’était entre autres ce que je voulais essayer de faire avec Melvile, et autant en bande dessinée qu’en musique ou via tout autre support qui permette de les exprimer. »

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Pas encore persuadé

« Le projet est né il y a plus de dix ans maintenant, et d’abord par la musique, retrace l’auteur. Mon groupe de rock ROM (un album sorti sur le label Igloo, NDLR) était au point mort, j’avais envie d’autre chose, d’autres sons, d’autres univers, plus proches du blues, de l’ambiant, de Nick Cave… J’ai donc créé le projet Melvile pour lequel j’avais ouvert une page Facebook et, encore à l’époque, une page Myspace. Et pour l’alimenter, j’expliquais que les chansons allaient parler d’une petite ville, que cette ville possédait sa salle de cinéma et qu’on pouvait y voir des films. J’ai commencé à faire des faux teasers, puis seulement des dessins. C’est alors que j’ai eu l’occasion de faire un voyage au Québec pour y illustrer un Lonely Planet, et que je suis tombé sur ces paysages, ces forêts incroyables, ces petites villes nord-américaines presque coupées du monde. J’ai tout de suite su que ce serait là le décor de mon Melvile, dont les premières histoires me sont enfin apparues, dont celle de Samuel Beauclair (premier volume de la trilogie, NDLR), mais pas seulement: j’avais l’ambition un peu folle à ce moment-là de ne faire qu’un seul gros volume avec toutes les histoires qui s’entremêlaient. Mon éditrice m’en a heureusement dissuadé, et ça m’a surtout permis de concilier la BD avec la musique, mais aussi avec la vidéo ou mon autre métier de scénographe. De donner écho à des humeurs, des atmosphères, et creuser vraiment profondément la psychologie des personnages, en prenant le temps et l’espace de parler d’autre chose que du fil conducteur de l’histoire. Et aussi de m’affirmer en tant qu’auteur: je n’étais pas persuadé d’en être un avant ça. »

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Tuer le père

De fait, avant Melvile -et tout le climax de ce grand oeuvre est là-, Romain Renard était surtout « le fils de ». En l’occurrence de Claude Renard, figure incontournable de la BD franco-belge, co-créateur de la revue Le Neuvième Rêve dès 1977 avec François Schuiten, avec lequel il créera Aux médianes de Cymbiola dans Métal Hurlant. Un monstre, professeur de bande dessinée à l’ERG, mais aussi un artiste total qui s’est beaucoup dispersé de son vivant -Claude Renard fut aussi actif au cinéma, au théâtre, dans la mise en scène, dans la création de costumes et même en architecture d’intérieur.

Un goût pour tout qui s’est transmis de père en fils, mais où le fils avait besoin de mettre du lien, en même temps qu’il « tuait le père« , comme disait Freud: tout Melvile n’est ainsi qu’histoires d’héritage, de filiation et de poids du passé, Romain Renard y poussant même la catharsis en confiant la réalisation de quelques planches du premier tome… à son père -une histoire dans l’histoire, importante, conte où il est question, au sens propre, de tuer le père… Trois planches parmi les dernières que réalisera Claude Renard, décédé en 2019. « Je regretterai évidemment toujours qu’il n’ait pas pu lire ce troisième volume ou les Chroniques, mais je sais qu’il m’a vu grandir pendant sa réalisation. En fait, je suis arrivé à ce métier presque par hasard, je voulais être documentaliste à la base, je n’écrivais pas mes propres scénarios… Melvile m’a permis de m’affirmer et de m’affranchir de beaucoup de choses. J’ai entamé cette aventure en étant un fils, je les achève alors que je suis devenu père et, je pense, un vrai auteur de bande dessinée. »

Mais l’aventure s’achève-t-elle vraiment? Alors qu’il met la dernière main au contenu multimédia de son application et de son site, Romain Renard nous montre à la fois le roman de Melvile – « Il est écrit depuis pas mal de temps mais je ne sais pas si j’ai envie de le publier« – et deux minutes, assez bluffantes, du film d’animation qui devrait naître de la trilogie dans les années qui viennent. « J’ai aussi beaucoup travaillé sur une adaptation ciné en prise de vues réelles, mais ça n’a pas abouti. Peut-être en série, après celle que je suis en train d’écrire, et qui n’a plus rien à voir avec Melvile. » D’évidence, Romain Renard n’a pas fini de se perdre, et de se trouver, dans les rues de Melvile.

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Un univers, moult expressions

Seul Romain Renard lui-même a sans doute déjà fait le tour complet de sa ville-monde, tant elle possède de ramifications. Passage en revue.

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Sur Internet

C’est sur le site Melvile.com que sont regroupés l’essentiel des goodies et extensions multimédia de Melvile. S’il semble avoir laissé tomber les ajouts en réalité augmentée qui accompagnaient les deux premiers volumes, Romain Renard y multiplie teasers, clips, illustrations et making of. On y trouve également, en cliquant au hasard ou pas sur la carte du lieu, telle qu’on la trouve dans les pages de garde de ses albums, les clips vidéo tirés de ses morceaux et de ses bandes originales, mais aussi et surtout la plupart de ses « chroniques » en version audiovisuelle et nouvelles illustrées.

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En musique

À chaque tome son atmosphère, et sa musique. Disponibles sur le site Melvile, mais aussi sur la plupart des plateformes musicales et bientôt en pressage vinyle et même cassettes audio (!), les bandes originales de chacun des albums sont conçues pour être écouter pendant la lecture -une musique d’ambiance bluesy et crépusculaire qui s’affranchit du rythme de lecture de chacun. Avec Jean-Christophe Carrière, son complice en musique et sur scène, Romain Renard a également écrit, joué et interprété une dizaine de morceaux chantés -on en trouve les textes entre ses différentes Chroniques.

En spectacle

La musique et les images de Melvile se déclineront dès que la crise Covid le permettra, en deux spectacles distincts: un spectacle ciné-concert témoignant de l’intensité de l’oeuvre complète, que Romain devrait jouer au prochain festival d’Angoulême, reporté en mars, et une version plus rock, cette fois plus directement liée à L’Histoire de Ruth Jacob: « Ruth enregistre sur des cassettes ses coups de coeur et ceux-ci accompagnent certaines scènes en participant à créer une tension qui s’intensifie au fil du récit. Des chansons qui, comme des petits cailloux blancs, mènent à la vérité, racontent l’inimaginable et, même, prédisent l’avenir. » Des chansons évidemment écrites et composées par Romain Renard, et qui devraient faire l’objet d’un show à part, toujours accompagnées de ses illustrations.

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Au cinéma

Après une tentative, pour l’instant avortée, de porter Melvile dans une adaptation en prise de vues réelles, un long métrage d’animation est actuellement en développement. Il sera réalisé par Romain Renard et Fursy Teyssier, auteur des décors du très remarqué et primé J’ai perdu mon corps il y a deux ans. Le film sera cette fois directement adapté de L’Histoire de Ruth Jacob.

Melvile – T.3: L’Histoire de Ruth Jacob

de Romain Renard, éditions Le Lombard, 400 pages. ****

Chroniques de Melvile

de Romain Renard, éditions Le Lombard, 240 pages. ****

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Dans le premier volume de Melvile, il était question de Samuel Beauclair, un trentenaire littéralement hanté par des fantômes et une insondable culpabilité. Dans le deuxième, Romain Renard narrait l’histoire de Saul Miller, astrophysicien en pleine crise, cette fois de la cinquantaine. Une histoire de transmission qui exprimait  » le rapport entre celui qui enseigne et celui qui le dépasse« . Voilà désormais le troisième tome, L’Histoire de Ruth Jacob, laquelle va se pencher sur un passage de l’enfance à l’adolescence, voire à l’âge adulte: 25 après le terrible incendie de 1987, pierre angulaire des trois volumes, le dénommé Paul Rivest, qui n’était alors qu’un ado, revient à Melvile pour y régler le testament de sa grand-mère. Et de se remémorer l’été de cette année 1987, celle de son premier amour avec Ruth, fille d’un pasteur au passé trouble. Qui était Ruth et que cachait-elle à Paul? La réponse englobera soudain l’ensemble du corpus Melvile, obligeant le lecteur à retourner au premier volume maintenant qu’il connaît l’identité de son narrateur… Plus libre et désormais plus sûr de lui, Romain Renard déploie le point final de cette imposante trilogie sur pas moins de 400 planches (!), un record en la matière qui lui permet de jouer à fond ce jeu des atmosphères au centre de sa création, entre nature writing, southern gothic et néo-polar au réalisme aussi saisissant que ses doubles pages. Un roman graphique aux ambiances lourdes et parfois inquiétantes, à l’image des Chroniques que Le Lombard édite en même temps: 250 pages pour une trentaine de récits courts ou très courts mais qui, tous, viennent ajouter de la chair aux habitants de Melvile.

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