Une bonne petite théorie de conspiration Covid-19, démonstration narquoise

Roger Moore et Lois Chiles dans Moonraker (1979) © DR
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Si vous préférez les théories de conspiration basées sur la médiocrité et le 6-4-2 davantage que sur les plans grandioses, ne cherchez plus sur Twitter, ce Crash Test S06E30 a quelque chose pour vous. Bien heureusement, ce n’est qu’une fiction théorique…

J’ai beau fouiller les recoins les plus morveux du Net, traquer la carabistouille là où chancelle la raison, je ne trouve pas de théorie de conspiration Covid-19 à ma pointure. Comme déjà évoqué dans une chronique précédente, je constate avec amertume que la plupart de celles en circulation ne font que compiler des bouts de vieilles fictions: les trames de la série Utopia et du film Moonraker, surtout. C’est désolant. Parce qu’une théorie de conspiration, c’est quand même censé être une clé pour libérer la conscience et faire comprendre le monde tel qu’il est vraiment. Permettre d’assembler les pièces du puzzle. Or, si ça se contente de malaxer les scripts d’un vieux 007, pas le moins kitsch du lot d’ailleurs, et de thrillers paranoïaques d’il y a 10 ans, on ne gobe plus la nécessaire pilule rouge. On se contente de simplement renouveler son abonnement à Netflix. On reste dans la distraction et l’illusion. On laisse aussi perdurer le mythe simplet qu’il existe sur Terre des personnes fort intelligentes, très mal intentionnées et tellement bien organisées qu’elles arrivent à garder des secrets durant des dizaines et des dizaines d’années. Ce à quoi je suis tout bonnement incapable de croire puisque totalement convaincu de l’universalité de la médiocrité humaine. Je ne pense en effet pas fort possible l’existence d’un grandiose plan planétaire parce que je crois tout simplement qu’il y aura toujours bien un quelconque abruti pour accidentellement renverser son café dessus ou en parler bourré à la boulangère chez qui la rédaction de Mediapart achète ses chouquettes. Pour pleinement me séduire, peut-être même me convaincre, il faudrait donc qu’existe une théorie de conspiration surtout basée sur l’impulsivité, la médiocrité, l’incompétence et ce défaitisme àquoiboniste que j’estime dans l’humain bien plus commun que l’intelligence supérieure ainsi que la malice pure.

Il y a cette information qui me sidère à chaque fois que je tombe dessus: 650 personnes en soins intensifs suffisent à mettre en danger le système hospitalier d’un pays de plus de 11 millions d’habitants. 650 personnes, c’est l’Orangerie du Botanique même pas totalement sold-out. C’est un mauvais soir au Fuse. C’est aussi drôlement moins de personnes à soigner que si la Belgique devait subir un accident industriel de type Seveso, un attentat d’ampleur, une catastrophe nucléaire ou une pandémie un chouïa plus apocalyptique que celle en cours. Nulle intention ici de manquer de respect aux malades en soins intensifs et à leurs proches, mais 650 personnes à échelle du pays, c’est ridicule, en principe totalement anecdotique. Or ça ne l’est pas, ça suffit même largement à tout foutre en l’air, à laisser implémenter des états d’urgence, à vous ôter des droits fondamentaux. Ce qui en dit beaucoup. Qu’un an après le premier confinement, on n’ait toujours pas réquisitionné de lits et de matériel médical supplémentaires, ni davantage financé de personnel soignant, ni construit d’hôpitaux de campagne, ni fait appel à l’armée, en dit encore plus. Mais quoi, exactement?

Vous n’êtes probablement pas sans savoir que faire vivre aux gens des choses complètement absurdes est le meilleur moyen de leur saper le rapport à la réalité. C’est la base de la guerre psychologique, de la déstabilisation comme la pratiquent les usines à trolls russes, de certaines formes de torture même. L’obligation de prendre rendez-vous par téléphone pour s’acheter une casserole plutôt que d’attendre son tour devant la porte du magasin, est-ce dès lors de l’incompétence impulsive ou une mesure réfléchie? Décider que faire pisser un clébard à minuit passée une canette de bière à la main dans une rue vide sans masque tient du délit aggravé, est-ce une mesure efficace contre le coronavirus ou une tactique de psy op? À chaque mesure absurde imposée au public, consciemment ou non, ce cirque vrille les têtes. Or, vriller les têtes alors que nous traversons une situation qui exigerait bien davantage de sens des mesures et de sang-froid est à la fois totalement idiot et complètement contre-productif. Donc, soit nos dirigeants sont royalement incompétents, soit toutes ces andouilleries relèvent de l’application d’un plan qui ne vise pas qu’à minimiser la contagion mais aussi à considérablement embrumer l’attention du public. Mais pour lui cacher quoi, exactement?

Plus d’incompétences. Les millions envolés offshore, les caisses aussi vides que la boîte à idées. La mort cérébrale politique, la faillite sur toute la ligne, la curatelle à échelle nationale, peut-être même occidentale. Comme en URSS en 1988, plus personne ne croit au système mais personne de premier plan n’admet encore ouvertement ne plus y croire. De toute façon, les idées pour le remplacer sont toutes problématiques, parfois même moralement dégueulasses. À quoi bon y penser d’ailleurs, vu que nous allions plein pot vers une crise économique majeure, « 2008 en pire », aux répercussions imprévisibles. Sans la Covid, des banquiers auraient sans doute été pendus ou défenestrés de leurs tours de verre. Là, sortie du fondement d’un pangolin, il y a l’excuse de la pandémie et certainement aussi quelques bricolages financiers cryptiques permettant de s’enrichir sur les faillites à venir; sacrifice de poiscaille qui évitera peut-être l’implosion des grands requins. L’insurrection qui vient en représailles? Rien de tel qu’un bon gros flip touchant à la santé des marmots et des seniors pour nous démotiver ce genre de grogne. Rien de tel pour encore plus noyer la colère qu’un ruisseau de petites contrariétés quotidiennes: « jeter des pavés, okay, mais d’abord passer prendre un nouveau Samsung chez MediaMarkt pour nous filmer tout ça, j’ai rendez-vous et c’est pas facile de se trouver un créneau avec toutes ces meufs qui veulent en ce moment se choper le Lana Del Rey. » Bien saper le sentiment de monde réel, sérieux, non clownesque donc. Submerger l’incompétence dans un océan d’incompétences et d’absurdités, où perdre pied.

Je ne crois pas forcément à tout ce que j’écris ici. J’illustre juste ce que serait pour moi une théorie de conspiration plus ou moins convaincante, où l’incompétence et la médiocrité seraient plus importantes que le machiavélisme et le grandiose. L’idée d’imposteurs minables qui font très mal leurs boulots, n’ont pas la moindre envergure pour bien le faire mais s’y accrochent, naviguent à vue, souffrent de narcissisme médiatique, réagissent à la 6-4-2 aux turpitudes et font s’écrouler la société par pure maladresse me parle bien davantage que la conspiration planifiée visant à transformer la planète en prison. Évidemment, c’est une vision poujadiste, pas très nuancée, assez paranoïaque, aussi très méprisante pour la classe politique. Il y a là-dedans un peu de Marx, de l’Adam Curtis, du Naomi Klein et des bouts de Comité Invisible. Le délire d’ensemble n’en reste pas moins, je pense, plus probable qu’un cauchemar orwellien à la Hold-Up et est donc potentiellement viral, de nature à générer des frondes. Heureusement, ceci n’est bien entendu qu’une inoffensive démonstration théorique, une simple petite fiction narquoise.

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