Serge Coosemans

Trump & Trumper: l’idiotie ou l’arrogance?

Serge Coosemans Chroniqueur

Vit-on réellement l’avènement de l’idiotie ou s’il y a bien une tare à la mode, ne serait-ce pas plutôt l’arrogance? Serge Coosemans a son idée sur la question, ici illustrée à partir d’exemples pop et de carambolages. Première chronique de l’ère Trump (qui pourrait ne durer que quelques semaines, ne l’oublions pas), voici le Crash Test S02E10.

Comme à peu près tout le monde, je pense, j’ai ces derniers jours été turlupiné par la Grande question de la semaine: vit-on réellement l’avènement de l’idiotie, le déclin de l’intelligence, l’entrée avec pertes et fracas dans un âge non seulement sombre, mais surtout très con? « L’hypothèse d’une régression (…) ne semble pas idiote du tout, écrivait la semaine dernière Laurent Raphaël sur ce même site. Sans même s’appuyer sur ces travaux qui ne font pas l’unanimité dans la communauté scientifique, chacun peut intuitivement ressentir que la bêtise a le vent en poupe. Elle se cristallise notamment autour d’épiphénomènes qui insultent l’intelligence et occupent pourtant de plus en plus de place: nivellement par le bas des politiques -Churchill versus Cameron, Mitterrand versus Hollande-, dévitalisation du concept même de morale (symbolisée par Barroso le traître), succès de la télé débilitante et dégradante (façon Hanouna), anoblissement de valeurs en toc véhiculées par les dieux du stade, égouts à ciel ouvert sur le Net… Autant de signaux qui montrent une prolifération du virus de la bêtise. »

C’est l’intuition du patron, pas la mienne. Quand on en vient à évoquer la bêtise, moi, j’imagine plutôt trois Homo Erectus autour du premier feu allumé de l’Histoire et je suis pour ainsi dire certain que l’un d’eux a mis sa bite dedans, juste pour voir l’effet que ça fait. Que les flammes se sont emparées de la peau d’ours du deuxième, tellement en train de rigoler au moment de traiter son copain de « pédé sexuel » qu’il n’a pas senti que ça cramait. Quant au troisième, je le vois bien pisser sur le feu sans toutefois avoir pris la peine d’auparavant penser à comment le rallumer, ce qui a sans doute rallongé la naissance du premier steak flambé de trois cent huit mille lunes. Voilà. Je ne crois pas au déclinisme, je pense au contraire que la bêtise est là depuis toujours et durera jusqu’au Big Crunch. Je ne crois pas que Cyril Hanouna soit le symptôme d’un malaise très moderne, je crois que cette véritable publicité vivante pour l’eugénisme et la sobriété par rapport aux mauvaises drogues de synthèse n’est qu’une version contemporaine du Pétomane, désastre comique qui pliait de rire les uns et désolait les autres dans le Paris de la Belle Époque.

Je crois aussi que, sauf justement chez Hanouna et dans d’autres cas scientifiquement reconnus comme relevant du congénital, l’idiotie et l’intelligence ont sinon plutôt tendance à cohabiter. Si on en revient aux trois zozos autour du premier feu, il se pourrait que celui qui s’est grillé la petite saucisse était en fait le même que celui à qui on doit la déco de la grotte Chauvet. Que celui qui courut à poil par moins 4 le reste de sa vie après que son pagne soit parti en fumée est en fait l’inventeur du trou avec les piques qui piégeait les mammouths et/ou de la position du missionnaire. Bref, je pense que l’intelligence ne s’oppose pas systématiquement à la bêtise. C’est que tout brillant politicien François Mitterrand fut-il, ça ne l’empêcha pas de détourner un appareil d’état destiné à combattre l’espionnage, le terrorisme et le grand banditisme pour simplement mettre sur écoute des actrices qu’il avait envie de serrer et de sonder la voyante Elizabeth Tessier, probablement dans tous les sens du terme d’ailleurs, avant d’engager la France dans la Guerre du Golfe. Bref, on peut être très intelligent disons à 90% du temps et quand même très bête à d’autres moments. Et inversement. C’est ce que je crois.

Deal with it.

Ce que je crois aussi, c’est que vu qu’il n’existe, comme le dit Laurent, aucun consensus dans la communauté scientifique au sujet du déclin de l’intelligence, ce concept tient en fait surtout du storytelling. C’est un des arcs narratifs à la mode, une crème fraîche qui sert à beaucoup de sauces. On peut s’en servir pour pester contre la télé, contre Hollywood, contre les électeurs de Donald Trump, contre le Brexit, contre les Millenials, contre les BabyBoomers, contre les médias, contre Yvan Mayeur, contre l’aménagement du territoire bruxellois, contre le rap, contre le fait même d’être contre quelque chose… Peu importe que l’on soit de gauche ou de droite, plutôt Myriam Leroy au moment de conseiller de revoir le film Idiocracy parce que l’instant pop s’y prête bien ou plutôt Éric Zemmour en train de sortir de sous son vilain pull Celio plein de taches de choucroute des statistiques falsifiées sur la réussite scolaire au travers les âges. Ça marche parce que ça parle INTUITIVEMENT aux gens. Ça marche parce que cela ne fait que répéter ce qu’ils attendent et espèrent qu’on leur dise.

Pas que je me sente spécialement ou plus con ou plus intelligent, mais sur moi, ça ne marche pas. Du tout, désolé. Depuis mardi matin, je n’ai pas lu, ni entendu, beaucoup de choses sur Donald Trump dans lesquelles je me reconnais. J’ai lu et entendu des choses très bien, des choses très nulles aussi, mais aucune qui ne m’ait semblé parler de la réalité telle que je la perçois. Je suis perplexe, un peu anxieux, un peu grognon, mais je n’ai pas besoin d’être rassuré, consolé ou effrayé. Je fais partie de ces gens que Trump dégoûte mais finira bien par amuser, qui pensent qu’il y a tout de même pas mal de chances que Trump devienne en fait assez vite une version hypertrophiée du Nicolas Sarkozy des années 2010-2012; autrement dit un bon fournisseur de bling et de beaufitudes en tous genres, conseillé par une équipe de bras cassés se voyant comme de grands intellectuels alors qu’ils ne font que transformer en théories politiques des vieilles blagues de fin de banquet. Bref, je vois Trump comme une péripétie de plus dans la longue histoire de l’idiotie et, à vrai dire, peut-être même comme un simple détail de l’histoire de l’idiotie. C’est que dans un pays qui a failli virer un président pour avoir omis d’avouer sous serment qu’il avait glissé un cigare dans le fion d’une stagiaire consentante et poussé un autre à la démission pour avoir enregistré les commandes de pizzas et les blagounettes de ses opposants politiques, un hurluberlu comme Trump n’est vraiment pas certain d’arriver au terme ou même au début de son mandat politique; vu sa collection de casseroles et sa vision toute personnelle de ce qu’est mentir.

Personne ne peut dire comment ça va tourner. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’il n’y a pas que dans le Grand livre de l’idiotie que de nouveaux chapitres s’écrivent sous nos yeux. L’Histoire de l’arrogance s’enrichit également pas mal depuis mardi. De l’arrogance de Donald J. Trump, bien entendu, mais aussi de l’arrogance de tous ceux et celles qui s’imaginent être les derniers à vivre sur Terre parce que ce type aurait soi-disant le profil type pour déclencher une guerre nucléaire (1). De l’arrogance de ceux qui se transforment en experts géopolitiques en moins d’une heure de réseau social, de l’arrogance (et la bêtise) de ceux qui refusent de comprendre que l’appel au meurtre d’un politicien élu est beaucoup plus problématique que le plus problématique des points les plus problématiques de son programme problématique. De l’arrogance à considérer qu’un selfie de soi en train de pleurer sur Instagram ou d’épingle à nourrice attachée à sa robe est un geste politique fort et non du narcissisme maladif. De l’arrogance à considérer que ceux qui ne votent pas comme on le voudrait sont forcément des moins que rien. De l’arrogance aussi, à publier une chronique démontant quand même pas mal un édito de son rédacteur en chef sorti la semaine dernière, huhuhu. Trump & trumper. Great times to live in.

(1) Pour rappel, la seule fois de l’histoire où une impasse politique a failli virer en guerre nucléaire, ce fut en octobre 1962. Sous Kennedy, donc.

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