Serge Coosemans

Long nez + grand front = gay. C’est la science qui le dit. Pouet-pouet.

Serge Coosemans Chroniqueur

L’homme qui a inventé la machine à convertir une opinion molle en électorat quasi fasciste vient de sortir de son labo en folie un autre joujou extra: l’intelligence artificielle qui distingue sur photo le gay de l’hétéro. Et le monde de hurler à l’horreur absolue. Oui, mais si ça ne marchait pas, se demande Serge Coosemans, le temps de ce Crash Test S03E02.

Tiens, voilà que Michal Kosinski refait parler de lui. Souvenez-vous: travaillant aujourd’hui à l’université de Stanford, ce psychologue polonais prétendait en 2012 avoir développé une méthode d’analyse comportementale basée sur l’activité des gens sur les réseaux sociaux. Je m’en étais moqué ici même, après avoir testé une version démo du bouzin pas fort convaincante. À l’analyse de ma page Facebook, il avait en effet décrété que j’étais androgyne, de tempérament artistique, introverti et de gauche. Apprécier le film Apocalypse Now faisait de moi quelqu’un aimant travailler dur. Aimer David Bowie et Hunter S. Thompson trahissait ma part féminine. Me réclamer fan de la série The Office de Ricky Gervais prouvait que j’étais d’un tempérament politique conservateur. Facteur fun supplémentaire: j’y ai « rejoué » ce samedi et cette fois, je n’étais plus de gauche mais de droite. Kosinski pérorait pourtant que la marge d’erreur de son coincoin n’était que de 15% grand max et que celui-ci permettait donc de cerner très efficacement la couleur de peau, l’orientation sexuelle, les tendances politiques, le degré d’intelligence et les sentiments religieux de quelqu’un; ainsi que son rapport à l’alcool, aux cigarettes et aux drogues. C’était donc il y a 5 ans et là, le jeune scientifique nous revient avec un autre joujou extra: l’intelligence artificielle qui peut, sur base d’une simple photo, déterminer si vous êtes gay ou hétéro. Kosinski se vante là encore d’un taux de réussite exceptionnel: 81% pour les hommes et 74% pour les femmes à la première photo. Et si on en montre plusieurs à « la machine », ça monterait à 91% pour les hommes et 83% pour les femmes.

« Horrible! », ont hurlé plusieurs associations LGBTQ, ce qui est parfaitement compréhensible. Déjà, l’époque, qui marine bien suffisamment dans l’arbitraire et le nawak, n’a pas vraiment besoin de cette remise au goût du jour électronique de vieilles tocades à la Cesare Lombroso, ce Professeur Maboule qui pensait pouvoir identifier les criminels grâce à la forme de leurs crânes. Implanté dans ces pays où l’espérance de vie se raccourcit considérablement quand on aime les gens du même sexe que soi, ce genre d’outil permettrait surtout d’y faire de considérables dégâts. C’est d’ailleurs ce qu’entendent dénoncer Kosinski et son équipe: la machine à reconnaître les gays existe, il faut absolument prendre des mesures pour éviter que s’en servent des régimes autoritaires, disent-ils en épilogue de leur étude (consultable en ligne). Mais est-ce que cela fonctionne vraiment? Certains esprits critiques n’en sont pas si sûrs. D’abord parce que les 35.326 photos présentées à l’AI étaient principalement tirées de sites de rencontres. Autrement dit, le résultat est probablement faussé par le fait que ces photos présentaient toutes des gens sous ce qu’ils estiment être leurs meilleurs profils, cherchant à séduire. Or, il existe des normes, des modes et des tendances quand on s’adonne à ce genre d’activité. Surtout sur ce genre de sites, où l’humour, l’originalité et afficher une trop forte personnalité amoindrissent vraiment les chances d’obtenir un rendez-vous. Que s’y distinguent des différences entre gays et hétéros semble dès lors logique. Il ne serait en revanche pas du tout sûr que cette « machine » distinguerait si facilement les gays des hétéros si les photos soumises aux algorithmes présentaient les gens dans la banalité de leur quotidien ou dans des emplois qui exigent le port d’un uniforme et des expressions neutres ou autoritaires, par exemple. Kosinski et ses collaborateurs suggèrent pourtant que leurs tests prouvent que ce que l’on appelle le Gaydar, la reconnaissance intuitive des homosexuels, n’est pas un mythe. Selon eux, cela s’expliquerait par le fait que les gays seraient physiquement et génétiquement différents des hétérosexuels. Ce qui est peut-être vrai. Des études plus sérieuses vont en tout cas dans ce sens; les recherches de Jacques Balthazart, par exemple. Peut-être que l’on naît donc gay, que c’est déterminé dans les cellules. Ce qui, au passage, n’arrange pas du tout les bidons politiques et idéologiques de certains.

Moi, mon Gaydar n’a jamais été très développé. J’ai regardé sur Google des photos de gays célèbres pour voir si j’y distinguais quoi que ce soit de révélateur. Je me suis arrêté à Jimmy Sommerville. Jeune, il faisait effectivement très gay. Mais aujourd’hui, il ressemble vraiment beaucoup à Bryan Cranston dans Breaking Bad. Quant à Rock Hudson, à l’âge de 40 ans, on aurait dit le frère de Ronald Reagan. Bref, c’est foutu pour me trouver un emploi de douanier en Tchétchénie. En revanche, je pense avoir un Bullshit Detector assez bien astiqué et celui-ci ne croit en fait pas trop à cette histoire d’AI qui distingue sur photo le gay de l’hétéro. Certes, que l’orientation sexuelle se devine avec un taux de réussite statistique supérieure au hasard a été scientifiquement étudié. Il y aurait donc bel et bien des caractéristiques physiques qui distinguent les gays des hétéros. Minimes, subtiles. Je ne le nie pas, je ne nie pas non plus qu’on doit pouvoir les entrer dans une base de données. Le couac, c’est que ce que Kosinski avance dans son étude n’a rien de subtil. Il y est ainsi notamment écrit que des traits plutôt caractéristiques des gays, c’est notamment un long nez et un front large. Comme Freddie Mercury, donc. Mais Vincent Cassel et Sean Penn aussi se trimballent des pifs kilométriques et un hub d’atterrissage pour moucherons au-dessus des yeux et pourtant, ce sont des parangons de l’hétérosexualité. L’équation « long nez + front large = gay » me semble dès lors aussi ridicule que lorsque Kosinski affirmait dans son étude tirée des likes sur Facebook que si vous étiez fan de Lady Gaga, il y avait un pourcentage assez élevé de chances que vous soyez extraverti et qu’apprécier la série The Office trahissait un penchant politique conservateur. Un autre biais de l’étude, c’est que pour cette AI, vous êtes soit gay, soit hétéro. Or, il existe 50 nuances de queer. De la bisexualité, de la polysexualité, de la non-sexualité même. Est-ce que la machine plante quand on lui présente une photo de David Bowie? Une autre de Mère Teresa? Et le berger solitaire qui trouve le réconfort chez Biquette au clair de lune, on en parle?

Il faut prendre le temps de lire cette étude, ne pas se contenter des articles qui la critiquent. Elle est truffée de passages on va dire zarbis, pour rester poli. L’idée défendue que les hommes gays ont moins de poils au visage que les hétéros m’a ainsi fait hurler de rire. Le passage expliquant que la physionomie a beau à raison être aujourd’hui considérée comme un mélange de superstition et de racisme, c’est quand même dommage que ce genre d’approche soit désormais taboue, m’a fait lever haut les sourcils. Je ne comprends sinon toujours pas non plus pourquoi créer une AI afin de dénoncer l’usage que pourraient en faire des régimes politiques et religieux homophobes et, pour rappel, on suspecte tout de même la méthode d’analyse comportementale de Kosinski dont je me suis jadis tant moqué d’aujourd’hui servir à Cambridge Analytica, une entreprise assez trouble qui utiliserait une version améliorée du bidule pour doper le marketing des politiciens d’extrême droite. Bref, que ça marche ou pas n’est pas très important. C’est même encore plus horrible si ça ne marche pas mais que c’est quand même appliqué. C’est couillon, ça fait rire ou bondir, mais en riant ou en bondissant, on passe surtout à côté de la seule question essentielle à se poser: pourquoi fabriquer ça? À quoi ça peut vraiment servir? Sinon à foutre le boxon.

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