Laurent Raphaël

L’édito: Requiem pour une décennie

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Dernier numéro du mois, de l’année, de la décennie… Pas besoin d’être obsédé par les chiffres pour être tenté de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur. Avec à la clé cette sensation paradoxale: ces dix dernières années ont semblé passer à toute allure, et pourtant, quand on repense à tous les événements dont elles ont été le théâtre, elles auraient pu tout aussi bien s’étaler sur un siècle. En 2010, qui aurait pu imaginer qu’un clown cynique prendrait la tête de la première puissance mondiale? Que Paris et Bruxelles seraient la cible d’attentats? Que les réseaux sociaux serviraient à manipuler des élections? L’Histoire est moins affaire de temps long et linéaire que de zigzags incessants, surtout à l’ère triomphante du numérique qui a tout accéléré, et rendu l’art de la prédiction très aléatoire.

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Il y a dix ans, le monde se réveillait groggy après la faillite du système financier, révélant la fragilité et l’immoralité des pilotis sur lesquels notre maison est bâtie. On signerait presque pour n’avoir à se soucier « que » de ce problème macroéconomique, qui pouvait au moins être corrigé. Car entre-temps, les tuiles se sont multipliées -climat, populisme…-, plongeant notre époque dans un brouillard moral épais. On veut encore croire à un sursaut, à une prise de conscience massive qu’appelle de ses voeux la jeunesse, mais sans parvenir à déceler ce qui pourrait décider les puissants à abandonner de leur plein gré leurs extravagants privilèges, et les faibles à ne pas se jeter dans les bras de camelots aux promesses aberrantes.

Toute cette agitation, ces spasmes, ces interrogations sur le présent et le futur, on les retrouve en long, en large et en travers dans les films, les séries, les romans ou les albums qui ont marqué la décennie. C’est une maigre consolation, mais une consolation quand même: plus les temps sont durs et incertains, plus les fruits artistiques sont juteux, complexes, intenses. Sublimer cette réalité asphyxiante, la rendre lisible par la grâce de l’allégorie exige des trésors d’imagination. Holy Motors, Melancholia, The Leftovers, Le Lambeau, Lemonade… Tous bruissent des peurs contemporaines, évoquant la fin du monde, la révolte des femmes, la résilience, mais contrairement à un fil d’actu Twitter, ils n’ajoutent pas du malheur au malheur, du pessimisme au pessimisme, au contraire, ils purifient l’air, et entretiennent du même coup un mince filet d’espoir. Sur ces bonnes nouvelles, joyeux Noël quand même!

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