Laurent Raphaël

L’édito: À vrai dire…

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La fin de l’année approche. Et avec elle l’heure du bilan. Ce n’est pas trahir un secret que d’affirmer que 2016 n’aura pas franchement respiré le bonheur.

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À la valse des faits macabres (attentats, Syrie, austérité…) s’ajoute la sensation vertigineuse du saut sans parachute dans l’inconnu, résultat du basculement d’un monde vers un autre, hors de contrôle. Un nouveau territoire marqué notamment par une inversion du rapport de force en faveur du « peuple » -si l’on entend par là le corps social décapité de ses élites (partis politiques traditionnels, médias ou experts). Le référendum italien du week-end dernier, voulu et perdu par Matteo Renzi, en est une nouvelle démonstration.

En désignant comme mot de l’année le néologisme « post-truth » (post-vérité), le dictionnaire Oxford ne s’y est pas trompé. Il officialise la mutation en cours en distinguant l’un des piliers rhétoriques de cette nouvelle civilisation en train de naître. Par post-vérité, on entend en effet la propagation de mensonges et intox en tous genres qui deviennent par la force des choses des vérités, à la manière d’une algue résistante à tous les traitements envahissant le littoral. Au bout d’un moment, même si c’est moche, même si ça pue, cette pollution fait partie du paysage. Une idée encore impensable ou inaudible il y a peu. Car autant la vérité était une règle cardinale de l’ancien régime, héritage de notre foi dans la raison et le progrès, autant dans la vision actuelle du monde la recherche du vrai s’estompe derrière le triomphe de l’émotion. Peu importe que ce vous dites, du moment que vous le dites haut et fort, et avec conviction. « Les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles« , confirme le dico britannique.

En pensant avec son cerveau gauche, on serait enclin à condamner sans procès cette dérive qui ouvre la porte à toutes les outrances et fait planer le spectre d’une régression identitaire et belliqueuse de sinistre mémoire. Mais cette inversion des pôles magnétiques n’est pas née de nulle part. Elle a bénéficié d’un contexte favorable, sinon de la complicité plus ou moins active des élites, les mêmes qui aujourd’hui s’étranglent qu’on assassine leur vérité chérie.

Que s’est-il passé? Nous avons péché par prétention ou naïveté, nous enchaînant à cet idéal de pureté morale sans avoir les moyens de nos ambitions. Surtout sur fond de libéralisation des moeurs. Du coup, on a fait semblant d’y croire. En maquillant derrière de beaux discours toutes les magouilles permettant de s’enrichir, d’accéder ou de se maintenir au pouvoir ou simplement de préserver son petit confort. Même Obama, qui ne ferait pas broncher un détecteur de sincérité, n’a pas inversé le cours des choses, ne modifiant par exemple pas une virgule du traité de libre-échange nord-américain, qui a pourtant eu la peau des travailleurs de la Rust Belt, et fait par ricochet le lit de Trump. Quitte à être dirigé par des menteurs, autant choisir ceux qui assurent le spectacle et ne font pas semblant d’être des saints. C’est ce que se sont dit les victimes -et on l’est tous à un niveau ou l’autre- de cette vaste mascarade idéologique.

Comme l’explique l’historienne Marie Peltier dans L’ère du complotisme (éd. Les Petits Matins), le premier coup a été porté lors de l’invasion de l’Irak en 2003, déclenchée sur un mensonge taille XXL: l’arsenal de Saddam Hussein. Du pain bénit pour tous les complotistes qui n’ont pas eu de mal à partir de là à faire germer le doute quant à la probité de nos dirigeants. Avec d’autant plus de facilité que le Net favorise l’entre-soi et flingue la hiérarchie des informations. Quelques années et scandales financiers ou politiques d’envergure plus tard (type Kazakhgate et autres), les esprits étaient mûrs pour s’en remettre aux leaders prétendument non contaminés par le virus du politiquement correct.

Faut-il pour autant se résoudre à subir désormais la dictature d’une pensée carburant aux théories fumeuses? Sauf à espérer un hypothétique sursaut démocratique -l’Autriche a rallumé une petite lueur d’espoir-, il vaut mieux se retrousser les manches et nettoyer les écuries d’Augias. Car entre une publicité mensongère pour une démocratie gangrénée par l’ultralibéralisme et un ticket pour l’enfer des extrêmes, il doit bien exister une troisième voie moins hasardeuse, recentrée sur une raison moins arrogante et un humanisme moins crédule. Vrai ou faux, on a envie d’y croire…

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