Laurent Raphaël

Édito: Cadeaux empoisonnés

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La guerre des Anciens et des Modernes rebondit sur le thème de la dématérialisation. Tournevis conceptuel d’un autre âge, il rouillait au fond de la boîte à outil philosophique et ne semblait plus devoir servir un jour, le bulldozer de la modernité ayant aplati toute résistance sur son passage. C’était sans compter sur la faculté de l’être humain à faire pousser de la dialectique sur les sols les plus arides.

Au tout-virtuel, les « classiques » opposent un attachement sentimental à l’objet. Et singulièrement, dans le cas qui nous occupe, à l’objet culturel. Livres, DVD, CD, consoles de jeu… Ils les collectionnent, les chouchoutent, les vénèrent, et ne les échangeraient pour rien au monde contre leur équivalent digital. Sur une échelle affective, cette relation matérialiste fluctue de la bienveillance teintée de nostalgie (soft) à l’idolâtrie compulsive (hard).

La guerre des Anciens et des Modernes rebondit sur le thème de la dématérialisation. Le bulldozer de la modernité a aplati toute résistance sur son passage.

Conjuguée au singulier ou au pluriel, cette addiction saine (sauf pour le portefeuille) conchie la tendance lourde à la dissimulation, au camouflage, règles cardinales d’une société qui enfouit son savoir comme ses déchets. Non sans cultiver certaines contradictions, comme de s’abreuver à la source Amazon, cheval de Troie de la dématérialisation… Cette communauté a ses apôtres. Tel Frédéric Beigbeder, servant chevalier de la cause livresque, parti cheveux au vent en croisade contre la numérisation des belles lettres. Pour ne rien simplifier, on peut avoir un pied dans chaque parcelle: aimer les bouquins mais s’accommoder d’un fichier mp4 pour déguster le dernier Dolan…

Sans le savoir, beaucoup de familles vont livrer une bataille dans cette guerre le soir de Noël. Entre le cadeau espéré (un objet singulier ou un gadget numérique) et le cadeau reçu, les masques tomberont au rythme des sourires ou des grimaces au moment du grand déballage. Chaque camp pourra alors compter ses troupes.

Chez Focus, qui compte sans doute le plus grand nombre de fétichistes au mètre carré du Royaume, on n’a jamais caché un penchant (maladif?) pour les belles formes. On exige le flacon ET l’ivresse! Démonstration encore une fois avec notre sélection de cadeaux à consommer bien sûr, mais aussi à manipuler, à palper, à exposer. Prosélytisme? On plaide coupable!

Édito: Cadeaux empoisonnés
© Illustration: Rudy Spiessert

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