Les films macho encouragent autant la violence envers les femmes que le disco rend gay

Les films macho encouragent autant la violence envers les femmes que le disco rend gay © BELGAIMAGE
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Un certain féminisme moderne se défend de vouloir censurer des oeuvres d’art alors que celles-ci sont effectivement censurées. Et puis, on y va à la louche au moment de faire sa propagande jusque dans Star Wars. C’est d’autant plus niais qu’on sait que ça ne marche pas. Voici en guise de Crash Test S03E21 une opinion plus tranchée que Jennifer Jason-Leigh dans The Hitcher.

J’en suis venu à croire qu’il n’existe, en gros, que deux façons fondamentales d’aborder la culture. La première peut être vue comme une grande victoire du capitalisme : il n’y a plus de distinctions entre arts majeurs et mineurs et tout se consomme selon les goûts et les inclinaisons de chacun. La seconde descend, elle, en droite ligne du protestantisme du XVIIIème siècle : le plaisir procuré par une oeuvre n’est acceptable que si l’oeuvre se veut profonde, voire transcendante, qu’elle présente tout au moins un sens moral. Si elle est dénuée d’aspirations supérieures, elle encourage la bassesse, la sensualité, voire carrément la déviance. D’où cette fois une nuance franche entre arts majeurs et mineurs, pop-culture acceptable et pop-culture sensée uniquement flatter les instincts les plus bas. Quelques exemples : pour certains, la musique classique, un certain jazz et les drames psychologiques sont ainsi toujours perçus comme supérieurs au hip-hop, à la techno et aux films de karaté. Pour d’autres, un jeu de rôle avec des dés à seize faces et des petites elfes a forcément plus de valeur qu’un videogame immersif violent de type Call of Duty ou GTA. Et donc, on sait très bien d’où ça vient : des goûts personnels, bien entendu, mais aussi de résidus de puritanisme et même de restes de sentiments d’appartenance à des classes sociales. La musique classique, par exemple, ça reste chic, ça reste plutôt bourgeois. Quand on fait partie d’une classe se voulant dominante, de la « bonne société », il est presque obligatoire de se faire voir au Bozar en présence de la famille royale alors qu’il n’est en revanche pas du tout indiqué de se faire prendre en photo les bras en l’air à une Strictly Niceness.

Je suis de ceux qui trouvent plutôt bon que le capitalisme ait ringardisé ces différences, que l’art soit devenu un produit de consommation courant. Ce n’est pas sans poser quelques problèmes majeurs mais à mon sens, ça laisse en principe la liberté à chacun de choisir ce qu’il a envie de se caler entre les deux oreilles et cela en facilite aussi l’accès. J’écris « en principe » parce qu’il est évident que c’est malgré tout assez relatif, qu’il reste des exceptions, qu’il y a des effets pervers, qu’il subsiste des barrières et même des barricades. N’en demeure pas moins qu’il est certain que la culture est aujourd’hui beaucoup moins compartimentée et davantage poreuse et perméable qu’au XVIIIème-XIXème siècle. Bien sûr, il ne semble pas non plus fort discutable qu’une bonne musique, de la bonne littérature ou encore de bons films rendent les gens meilleurs, les élèvent moralement et spirituellement. Le tout, c’est que les goûts des uns ne sont pas ceux des autres et même quand il s’agit du « bon » goût, cela peut aussi vite varier d’une époque à l’autre. Bref, si ce n’est pas vous, qui décide de ce qui est bon ? Et au nom de quoi ?

C’est une question drôlement compliquée. Si le marché décide, ça peut être pervers. Si c’est l’état ou une doctrine, on peut vite en arriver à criminaliser des manifestations culturelles. Si c’est le plus grand nombre, Benjamin Maréchal serait rédacteur en chef du JT de 19h30. Si ce sont certaines féministes, Répulsion, Chinatown, Le Locataire, Le Pianiste, Annie Hall, Manhattan et quelques autres chefs d’oeuvre du septième art devraient disparaître des catalogues des cinémathèques. Oh, mais les féministes ne cherchent pas la censure, peut-on souvent lire ces derniers temps sur les réseaux sociaux alors que des oeuvres sont pourtant retirées de musées et de cinémathèques, des fins d’opéra classique réécrites et que des films ne sortent pas. Mais donc, ces féministes ne chercheraient pas à faire disparaître l’art qu’elles désaprouvent de la circulation mais plutôt à inviter, par une censure temporaire et/ou symbolique, à discuter du contenu de cet art, de son contexte, de pourquoi la place de la femme y est souvent secondaire, soumise et caricaturale.

Le disco rend gay

Ce qui m’étonne dans ce débat, c’est qu’il y a d’abord quelque-chose d’assez trumpien à tout faire pour que de l’art ne soit pas montré et puis, la bouche en coeur, oser avancer que l’on est malgré tout contre toute forme de censure. Mais admettons deux secondes que cela soit vrai : ces femmes veulent juste un débat et ce sont les producteurs, curateurs et autres programmateurs qui, flippés à l’idée de ce débat, préfèrent déprogrammer et annuler les représentations. Okay mais cela ne change fondamentalement rien au fait que ces féministes sont en train de re-valider le concept d’influence culturelle. Elles tentent de donner du poids à l’idée que si une femme est objectifiée dans un film ou une chanson, ceux qui vont apprécier cette oeuvre ont ensuite des chances d’eux aussi objectifier les femmes. Or, avancer que la violence et les inégalités envers les femmes augmentent dans la société parce que les femmes sont traitées comme des jouets sexuels dans la peinture pré-raphaélite et le hip-hop, ça rappelle quand même pas mal le discours bigot qui maintient que les jeux vidéo de type Doom et la musique de Marylin Manson encouragent les jeunes américains à dégommer leurs congénères de lycées à l’arme de guerre. Ou que le disco rend gay.

Alors bien sûr, peut-être que des types ont battu leurs femmes après avoir vu Lino Ventura gifler Isabelle Adjani et oui, des massacres ont été commis par des cinglés qui ont passé beaucoup trop de temps à dégommer des zombies et des démons sur leur PC avant d’y aller pour de vrai dans une école ou un supermarché. Mais on sait que c’est une minorité et que censurer un film ou un jeu violent tient généralement du principe de précaution beaucoup trop précautionneux. Bref, de la panique morale, qui est quelque chose d’irrationnel. Des jeux violents comme Grand Theft Auto et Call of Duty se sont vendus à plus de 250 millions d’exemplaires. Combien de personnes y ayant joué ont tué ? Des dizaines. Ce qui est beaucoup mais reste néanmoins anecdotique à un niveau statistique. Moi, je suis dans l’impossibilité panique de monter dans un avion depuis le 11 septembre 2001. On me traite de taré et de petite bite pour ça et on m’agite justement tout un tas de statistiques pour me faire comprendre à quel point ce flip est irrationnel. Il l’est. Tout comme est irrationnelle l’idée que les jeux vidéo sont des pousse-au-crime et qu’une bonne partie de ce que produit Hollywood sert de propagande au patriarcat juste parce qu’une poignée de crétins confond pixels et réalité ou font leur Charles Bronson domestique.

Ce que sous-entend ces actions féministes me chipote d’autant plus que l’on sait très bien où ça mène, tout ça : des comités qui jugent ce qui est montrable ou non, la criminilisation de tout ce qui est perçu comme pornographique et/ou ne répondant pas aux codes moraux, ainsi qu’un art officiel censé éduquer et élever les masses. Cet art officiel existe en fait déjà : The Last Jedi, le dernier Star Wars, est ainsi un exemple parfait de pop-culture tartinée d’idéologie soi-disant « progressiste », de film qui entend participer aux guerres culturelles en cours en ayant son petit mot sur les questions de genre, le féminisme et la discrimination positive. Comme le remarquait dernièrement Joe Rogan dans son podcast, chaque épisode de la dernière saison de Black Mirror a également pour principal personnage une femme (je ne l’avais même pas remarqué) mais là, ça passe comme une couque, alors que le dernier Star Wars enrage pas mal de fans en partie à cause de cette volonté niaise d’y inclure du commentaire social et du women’s empowerment maladroit. C’est normal : les scénarios de Black Mirror tiennent la route, rien n’y est surligné, le rôle dominant des femmes dans la série ne semble pas non plus motivé par des motifs idéologiques. Ce sont des histoires et c’est ce que ce genre d’expression artistique devrait se contenter d’être. Des histoires qui plaisent aux uns et déplaisent aux autres parce qu’il n’existe pas d’histoire qui puisse plaire à tous. Mais là, justement pour éviter de déplaire, on se dirige plutôt à grands pas vers la censure, l’auto-censure, la propagande et le retour de l’importance du sens moral dans l’art. Tout cela au nom de cette idée totalement irrationnelle qu’une oeuvre disons un poil problématique peut massivement influencer la société de façon négative et pas juste percuter le cerveau de quelques cinglés. C’est absurde. Et dramatique. Et puis, très con aussi. Ce qui est censé être une tare masculine. Où va-t-on si les femmes s’y mettent aussi ?

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