Hedi Slimane: « J’aime la couleur, mais je pense en noir et blanc »

© Hedi Slimane Courtesy Gallerie Almine Rech Paris

Designer et photographe, Hedi Slimane a habillé la génération des néo rockers. Aujourd’hui, il leur tire le portrait. Et capture leur âme. Interview exclusive de cet artiste aussi discret que talentueux.

Si les rues grouillent de jeunes gens à la mèche rebelle et à la silhouette androgyne engoncée dans un pantalon à la coupe coupe cigarette surmonté d’une veste en cuir étriquée, c’est en grande partie à Hedi Slimane qu’on le doit.

A la tête de Dior Homme de 2001 à 2007, le designer français d’origine tunisienne a révolutionné le vestiaire masculin en dégoupillant une esthétique dandy rock qui allait comme un gant à cette nouvelle génération d’artistes qui redécouvraient au même moment les pulsations organiques des guitares et des batteries. Si Slimane a su capter et synthétiser cette fièvre électrique, c’est d’abord parce qu’il en est un acteur à travers son autre passion: la photo. De Pete Doherty, auquel il consacrera d’ailleurs un livre, à Johnny Rotten, Courtney Love ou, tout récemment, The Drums, il arpente la scène rock dans tous les sens. Et en ramène des clichés drapés d’un noir vénéneux comme un poème de Lord Byron.

A la manière des romantiques, il traque l’âme humaine derrière le miroir des apparences. Sa force: rendre attirant ce qui est laid, et dérangeant ce qui est lisse. Comme cette jeunesse dont il escalade le versant nostalgique. Et abreuve le journal qu’il tient en ligne depuis 2006. Focus a rêvé d’une série estivale en sa présence. Miracle, alors qu’il est sollicité par les plus grands magazines de la planète, Hedi Slimane a accepté de lui dévoiler sept images représentatives de ses obsessions et, privilège rare, d’accorder une interview. A une condition: qu’elle se fasse par mail. « Faute de temps », précise-t-il. « Je voyage en permanence, cela change tous les jours, et je ne peux donc pas m’en tenir à un emploi du temps. Je ne fais plus de face à face depuis 4 ans. »

Focus.Hedi Slimane, comment vous définiriez-vous aujourd’hui ? Comme photographe, artiste en mouvement, designer ?
Hedi Slimane. Je ne pense jamais en terme de définition. J’utilise différents supports, par intermittence ou simultanément. La photographie a cependant toujours été présente puisque j’ai commencé de manière obsessionnelle à l’âge de 11 ans.

Qu’est-ce qui vous fascine chez les jeunes?Ce n’est pas du tout de la fascination, mais un lien organique. Peut-être de la nostalgie sans doute parfois. Il m’a toujours aussi semblé que ce qu’on appelle la « jeunesse » (du reste une terminologie un peu 60, et obsolète) avait toujours raison, même dans ses excès, ou plutôt surtout dans ses excès.

Les jeunes Américains ont-ils quelque chose en plus que les autres?
A travers le cinéma américain, et ce depuis les années 50, l’Amérique est restée un territoire de prédilection des mouvements de contre-culture. En Angleterre, la musique est plus traditionnellement fédératrice, mais également à l’origine de nombreux mouvements de rue. Le reste de l’Europe a souvent calqué son comportement et ses filiations sur ces deux territoires.

Vous avez habillé un coffret de films cultes sur la jeunesse. Quel est pour vous le meilleur film sur ce thème?
Sans doute le documentaire sur Woodstock, factuel et utopique au possible. De manière affective, j’ai toujours adoré le Permanent Vacation de Jarmusch et ce tableau du NY punk rock du début de la décennie 80.

Vous tenez un journal photographique sur le Net. Est-ce plutôt un work in progress ou un journal intime en images?Les deux vraisemblablement. Un quotidien photographique, avec des périodes d’accéleration. Le diary réalise 4 ans après entre 400 et 800.000 entrées par mois selon les sujets. C’est du reste un support de prédilection pour l’immediateté et l’accès.

Pensez-vous que l’écran (iPhone, iPad…) va supplanter le papier?
Sans aucun doute, globalement. A côté du quotidien sur écran, l’objet, le livre, dans son aspect affectif et sacré sera relativement préservé.

Vous êtes plutôt attiré par tout ce qui est nouveau gadget high tech. Seriez-vous un peu geek?
Pas vraiment les gadgets. Ce qui peut me faire avancer, oui. Le concept de l’iPad est idéal au quotidien. Un de mes amis travaille pour Apple, et il me tardait de voir venir un support Internet vraiment mobile, au format suffisamment conséquent pour les emails et le Web. Cela correspond juste à mon mode de vie. A part ça, je suis sans doute très geek dans l’idée, vous avez tout a fait raison.

Pour vos photos, vous utilisez un appareil numérique ou digital?Les deux, cela dépend du sujet. Dans tous les cas de figure, tous mes appareils sont customisés, et personnalisés.

Le noir et blanc était omniprésent dans vos collections Dior Homme comme il l’est dans vos photographies. Vous n’aimez pas la couleur?
J’aime bien la couleur, mais je pense en noir et blanc. Je préfère tout réduire. J’ai du reste toujours été comme ça. En photographie la couleur me semble être une distraction par rapport au sujet. Elle n’évoque pas non plus la même idée temporelle.

Quel est le look dans l’histoire qui vous a le plus marqué? Et pourquoi?
Sans doute, la naissance du rock, entre Buddy Holly, Gene Vincent, Eddie Cochrane et Presley bien sûr. Mais à vrai dire, j’ai decouvert la musique et la mode masculine a travers Bowie, a l’âge de 6 ans, dans sa période Thin White Duke, la période californienne.

Qui donne aujourd’hui l’impulsion pour imposer un look? Les groupes de rock? Les marques de luxe? Le Net? La rue?
La musique donne l’impulsion, le rock entre autres. C’est l’impulsion sur la rue, puis la rue sur la mode. Les marques de luxe sont le plus souvent à côté de la plaque, et dans l’appropriation la plus dénuée de sens.

Vous avez beaucoup photographié la scène musicale anglaise, en particulier Pete Doherty. Les jeunes pousses du rock sont-elles aussi intéressantes?Doherty, à travers les Libertines, a réveille l’Angleterre, et après l’Angleterre, le reste du monde. Il l’a fait dans le sillage des Strokes, et de jack White a qui il semble utile de rendre justice. Doherty a influencé considérablement la jeunesse du monde entier. Il y a depuis eu plusieurs générations de groupes remarquables. J’ai beaucoup soutenu mon ami Johnny Pierce, des Drums, un jeune groupe de Brooklyn, aujourd’hui très couru en Europe.

Quels sont les groupes qui vous excitent le plus aujourd’hui?A part les Drums, Girls de San Francisco est un trés bon groupe, encore inconnu en Europe.

C’est quoi être rock’n’roll aujourd’hui pour vous?Ca ne veut strictement rien dire, et le vocable est totalement embarrassant. Il faut presque éviter de le prononcer. C’est devenu une sorte de jingle cheap pour des marques de troisième zone en quête de validation.

Que pensez-vous d’une artiste comme Lady Gaga que vous avez d’ailleurs photographiée?Je l’aime beaucoup. Je ne la connaissais pas lorsque sa maison de disque m’a contacté pour faire la couverture de son album, mais nous avions des amis communs. Je l’ai donc photographiée à Los Angeles. Nous y sommes voisins, et nous nous y retrouvons depuis parfois.

Vous vivez entre Paris et Los Angeles. Difficile de trouver plus antagonique… Oui, sans doute. Enfin, j’ai toujours respiré à Los Angeles, et la Californie me plait énormement. J’y ai ma maison et mes amis. Je ne vis plus du reste à Paris.

Quels sont vos projets artistiques pour les prochains mois?
Plusieurs expositions en cours et un livre sous forme anthologique avec mon éditeur, Ringier.

Vous reverra-t-on bientôt dans la mode?Sans doute, ça semble inéluctable, et cela fait partie de moi. Je n’ai d’ailleurs techniquement jamais vraiment arrêté puisque je travaille en permanence sur des éditoriaux de mode, avec le Vogue France en particulier, mais aussi Angleterre, Japon ou Chine. C’est du reste intéressant d’interpréter à revers une mode autre que la mienne.

http://hedislimane.com/diary

Propos recueillis par Laurent Raphaël

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