« Weldi aborde la question de Daesh, mais ce n’est pas un film sur Daesh »

Mohamed Ben Attia: "Weldi aborde la question de Daesh, mais ce n'est pas un film sur Daesh." © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dévasté, un père aimant mais peut-être trop pressant tente de retrouver puis de comprendre son fils parti pour la Syrie dans Weldi de Mohamed Ben Attia, drame tunisien exemplaire de justesse et de sobriété qui pose les bonnes questions.

À l’origine du film, le témoignage à la radio tunisienne d’un père qui avait tenté en vain de retrouver son fils parti pour la Syrie gonfler les rangs de l’organisation terroriste État islamique. « J’étais au volant de ma voiture et j’ai dû m’arrêter tellement ce moment m’a bouleversé, raconte Mohamed Ben Attia. Pourtant, et c’est un peu horrible à dire, les témoignages de ce genre étaient devenus monnaie courante sur les ondes à cette époque. C’était avant le tournage de mon premier film, Hedi , en 2016. Cet homme se contentait de relater les faits. Il répétait très souvent « mon fils » tandis qu’il racontait l’aéroport, la Turquie, la frontière, la Syrie… Il était très précis, égrenait des détails, des dates, sans aucun pathos. C’est difficile à expliquer mais l’émotion que j’ai ressentie ne m’a plus quitté, et l’idée d’élaborer un film à partir de cette histoire s’est peu à peu imposée à moi, comme une évidence. »

Si ce témoignage a conditionné la trame de Weldi, le deuxième long métrage de Ben Attia, il en a aussi déterminé le ton -d’une exemplaire sobriété- et la perspective -il ne s’agit jamais d’accompagner l’enfant qui part, mais bien les parents qui sont quittés, et qui ne l’avaient pas vu venir. Au coeur du film, en particulier: un père très aimant, mais peut-être trop pressant, dont le système de valeurs, sur lequel il a fondé l’ensemble de son existence, s’effondre, littéralement. « Est-ce que s’il avait été moins pressant, les choses auraient été différentes? Qui peut le dire? Oui, bien sûr, on peut penser qu’il est peut-être un peu étouffant, qu’il manque de subtilité, qu’il a des oeillères et voit tout en noir ou blanc, mais je ne crois pas que l’essentiel du problème soit là, que ce soit à cause de ça que son fils est parti. Il me semble qu’on touche là à quelque chose de plus global, une misère qui n’est pas qu’économique mais aussi affective, sexuelle et spirituelle. Un grand malaise sociétal, un vertige, une perte de repères. Qu’est-ce que le bonheur, finalement? Et la vérité? On ne sait pas, on est perdus. »

Un film un peu tordu

Si dire les choses permet souvent de mieux les comprendre, c’est aussi parfois en restreindre dangereusement la densité et l’impact. Difficile en ce sens d’évoquer Weldi sans galvauder ce qui en fait la pertinence et la force, tant il est vrai que tout se joue ici dans une dimension sous-jacente, quasiment imperceptible. Ainsi, par exemple, de ces migraines chroniques, inspirées par celles du réalisateur, qui tourmentent le fils en début de film. « Lui-même ne comprend pas très bien ce qui lui arrive. Ses migraines n’ont pas d’origine clinique, on comprend qu’il pourrait somatiser, puis il va voir un psy, qui lui colle l’étiquette de la dépression à défaut de vraiment comprendre… Il y a des choses qui nous dépassent. Et puis il y a des choses que l’on parvient à comprendre et à assimiler sans recourir aux mots. Je crois que Weldi est un film un peu tordu. Il aborde la question de Daesh, mais ce n’est pas un film sur Daesh. Il peut paraître très linéaire, très simple dans sa forme, mais c’est toujours un peu plus compliqué que ça. Aujourd’hui encore, il y a quelque chose qui m’échappe dans ce film, quelque chose qui résiste. »

C’est évidemment aussi ce qui en fait tout le prix. Produit par les frères Dardenne, joué essentiellement par des acteurs non-professionnels, Weldi semble souvent vouloir nous dire que, à l’écran comme dans la vie, tout ne doit pas forcément faire sens. Et si Ben Attia, bien sûr, propose un cinéma qui pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses, il se garde également autant de verser dans la condamnation et la leçon de morale que d’asséner d’absolues et définitives vérités. « On ne peut pas porter de jugement. Même le passeur, on voulait qu’il ait quelque chose de presque doux. Il fallait à tout prix éviter le cliché du bad boy, avec de la barbe et le regard mafieux. Pendant le tournage, on m’a montré des photos de passeurs qui vont totalement à l’encontre de ce poncif-là, justement. Donc il y avait cette volonté de désamorcer les stéréotypes mais aussi de dérouter un peu le spectateur, en refusant le didactisme comme le manichéisme. »

Comme Hedi avant lui, Weldi préfère plutôt se frotter à la question épineuse du conformisme, et cette idée d’une jeune génération qui se sent peut-être quelque peu à l’étroit dans les schémas de vie tels qu’ils ont été définis par les anciens. « C’est l’idée d’un bien-être très balisé, oui, où on nous dit qu’on ne peut pas concevoir le bonheur sans famille, sans épanouissement professionnel… Ça peut être très étouffant. Peut-être que ce fils voulait juste avoir le droit de ne pas être heureux, un peu. Quand on arrive à cet état d’extrême mal-être, de profonde inadéquation, et qu’on n’en voit pas le bout, que se passe-t-il? Certains se suicident, d’autres partent rejoindre des sectes et d’autres se dirigent vers Daesh. Au sein de Daesh, les profils sont très variés. Il y a des étrangers, des familles entières, des médecins… Qu’est-ce qui peut lier tous ces gens? Ce n’est pas que le chômage. Ce n’est pas que la religion. Il y a autre chose.« 

Weldi. De Mohamed Ben Attia. Avec Mohamed Dhrif, Mouna Mejri, Zakaria Ben Ayed. 1h44. Sortie: 07/11. ****

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