Un certain regard (7/7): Virginie Saint-Martin, mangeuse de regard

Virginie Saint-Martin sur le tournage de Marie Heurtin. © Laurent Bourlier
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La directrice de la photographie belge Virginie Saint-Martin, collaboratrice fidèle de Frédéric Fonteyne et Sam Garbarski, embrasse la nature collective du cinéma.

Sa première grande émotion cinématographique, Virginie Saint-Martin l’a connue à Bruxelles, dans une salle de la chaussée d’Ixelles, disparue depuis. « Mon père m’avait emmenée voir 2001: l’odyssée de l’espace, le film de Kubrick. Je n’oublierai jamais les reflets de couleur dans la visière du casque de l’astronaute, filmé en gros plan. J’étais fascinée… » Quelques années plus tard, et après s’être engagée dans des études de médecine, elle a bien dû s’avouer que son plus grand désir la menait vers le 7e art. « Fille d’un peintre et d’une décoratrice, j’ai toujours baigné dans une atmosphère artistique, se souvient-elle, où l’on me stimulait à observer les formes, les couleurs. Enfant unique, j’ai passé beaucoup de temps à développer mon imaginaire. Avec mon appareil photo Kodak Instamatic Mini, je faisais déjà de la mise en scène, en arrangeant dans le cadre mes poupées, mes jouets… »

Saint-Martin est aujourd’hui une des valeurs sûres de la direction de la photographie en Belgique. Assistante de Denis Lenoir sur les premiers films d’Olivier Assayas, elle accompagne depuis leurs débuts des réalisateurs comme Frédéric Fonteyne (un ami depuis leurs études) et Sam Garbarski, avec qui elle vient de tourner Bye-Bye Germany, treize ans après avoir signé la photo de son premier long métrage Le Tango des Rashevski. Pour Frédo, comme elle appelle affectueusement Fonteyne, elle a su passer de l’image naturaliste de Max et Bobo à celle, très recherchée, poétique, de La Femme de Gilles. « J’avais lu le roman (de Madeleine Bourdouxhe, NDLR) à l’âge de 16 ans, se souvient-elle. C’est moi qui ai donné le livre à Frédo, et il a tout de suite voulu l’adapter. Quand il m’a téléphoné pour m’annoncer qu’il avait réussi à obtenir les droits, il était fou de joie! » La Femme de Gilles (2004) reste une étape marquante pour Saint-Martin, qui n’oubliera jamais les longs (très) gros plans du visage d’Emmanuelle Devos. « Avec le cadreur, Raymond Fromont, nous étions quasi collés à elle. « Vous faites un documentaire sur ma peau? », nous a-t-elle demandé un jour en riant… »

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Moins sympathique furent les rapports avec une autre actrice française sur un autre film de Fonteyne, l’excellent Une liaison pornographique (1999). « Nathalie Baye ne me disait jamais bonjour et passait sans même me regarder, chaque matin du tournage, se rappelle Saint-Martin. Elle clamait qu’elle était encore mieux éclairée sur le plateau du JT d’Antenne 2 que par moi sur le film! Et elle refusait de se prêter aux idées pourtant cruciales, comme celle de tourner des plans face caméra, cette dernière prenant la place de l’interlocuteur. « Ça ne se fait pas!« , disait-elle… Elle m’a traumatisée, Nathalie Baye… J’en ai parlé avec Josiane Morand, la scripte, française et nantie d’une solide expérience, et elle m’a dit: « C’est comme ça. Normalement tu as un rayon de 360° pour travailler, avec elle, tu n’as qu’un petit camembert… » Alors j’ai dû me contenter du petit camembert! Moi qui, au sortir de l’IAD, m’étais empressée d’oublier toutes ces règles à deux balles qui disent qu’un film se fait comme ceci et pas comme cela… »

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Coeur et tripes

À côté de Baye « la capricieuse », et malgré sa réputation de contrôle absolu, Isabelle Huppert s’est révélée très aimable. La Séparation (1994) et Sans queue ni tête (2010) ont vu la star et la directrice de la photographie faire très bon ménage. « Elle est très intelligente, elle sait très bien ce qu’elle veut, mais ne vous rabaisse pas. Elle attend simplement le meilleur des autres, comme elle donne le meilleur d’elle-même… » La nature collective du processus cinématographique comble Virginie Saint-Martin, pour qui réussir un film passe par une authentique expérience humaine. « Il faut s’adapter à chaque projet, manger le regard du réalisateur, s’en imprégner, car c’est ça qui va vous pousser plus loin. On est ce qu’on est, mais épouser la vision d’un réalisateur est tellement crucial pour avancer!« , s’exclame-t-elle avec un enthousiasme juvénile. Le genre d’enthousiasme qu’elle a par exemple ressenti quand elle a été invitée à rencontrer Amos Kollek pour une audition (sa première, en fait) au terme de laquelle le grand cinéaste israélien lui a confié la direction de photo de l’épatant Restless (2008). « Il ne m’a donné qu’une directive: ne pas quitter une seule seconde son jeune interprète Ran Danker! J’aime ce type d’approche qui fait de l’acteur le centre des choses. Pour Tango libre (2012), j’ai encouragé Frédo à tourner en numérique, pour ne pas avoir à couper entre deux prises et pour laisser du temps, de l’espace à la comédie -avec un François Damiens et un Sergi Lopez devant la caméra, c’est ce qu’il faut faire. Je vais dans la même direction en arrivant toujours une heure et demie avant le début de la journée de tournage, pour que tout soit déjà éclairé quand l’équipe arrive. Il ne me faut plus dès lors que cinq minutes entre deux plans. Toujours et encore pour laisser plus de temps au jeu, aux comédiens… »

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Celle que les producteurs conseillent volontiers aux jeunes réalisateurs pour son expérience et aussi son « côté hyper maternel » assumé, exerce son métier « avec le coeur, avec les tripes« , à l’intuition qui la fait s’emballer pour les scripts qui lui « inspirent immédiatement des images, qui mettent l’imagination en branle« . Elle entame ces jours-ci le tournage du premier film de François Damiens en tant que réalisateur, Dany. Gageons qu’en plus de son apport maternel, elle pourra porter la vision de l’acteur-réalisateur en « servant le sens, car rien n’est plus insupportable que de faire des choses qui ne veulent rien dire…« 

Virginie Saint-Martin en 5 films

Une liaison pornographique, de Frédéric Fonteyne (1999).

Le Tango des Rachevski, de Sam Garbarski (2002)

La Femme de Gilles, de Frédéric Fonteyne (2004)

Restless, d’Amos Kollek (2008)

Marie Heurtin, de Jean-Pierre Améris (2014)

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