Un certain regard (2/7): Robby Müller, le maître de la lumière

Robby Müller a notamment éclairé les sept premiers longs métrages de Wim Wenders. © Robby Müller
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Chaque semaine, gros plan sur un de ces chefs opérateurs que les réalisateurs s’arrachent. Cette semaine, Robby Müller, peintre de la lumière et des ombres, qui a éclairé quelque 75 films, son regard étant indissociable de l’oeuvre de Wim Wenders, Jim Jarmusch et Lars von Trier.

« Le directeur de la photographie traduit la vision et les intentions du réalisateur et du scénario en images visuelles. » Ce précepte ouvrant la belle exposition que lui consacre le Eye, à Amsterdam, Robby Müller s’est employé à le mettre en pratique au gré d’une carrière entamée au milieu des années 60 comme assistant caméra, avant qu’il ne fasse bientôt ses armes de chef opérateur sur une poignée de courts métrages et autres téléfilms. Entre-temps, Müller, né en 1940 à Curaçao, dans les Antilles néerlandaises, avait fait la connaissance de Wim Wenders, et c’est peu dire que cette rencontre devait avoir une influence décisive sur leurs parcours respectifs. L’accrochage du Eye en est le reflet qui, après une section dévolue aux débuts du directeur photo hollandais, s’attarde logiquement sur cette collaboration: 14 films, qui allaient faire du réalisateur l’un des chefs de file du New German Cinema et au-delà. Et de Müller l’une des figures incontournables du cinéma indépendant à compter des années 70, un artiste reconnu pour avoir fait oeuvre de pionnier -Lars von Trier raconte qu’il a inspiré le mouvement Dogma 95- mais aussi pour son approche virtuose de la lumière et des ombres, avec une prédilection pour l’éclairage naturel ou les sources existantes, qui en a fait l’héritier aussi bien d’un Vermeer que d’un Hopper.

Wenders revient sur leur rencontre dans une émouvante interview filmée, racontant comment ils s’étaient trouvés sur le tournage de Liebe und so weiter, de George Moorse, en 1968 à Munich, un film où le grand Wim tenait un petit rôle, Müller, assistant caméra, lui apparaissant comme le sommet de la coolitude « parce qu’il savait rouler une cigarette et faire le point en même temps ». Petite cause, grands effets, et le duo embarque dans la foulée pour une aventure cinématographique au long cours. Après Alabama: 2000 Light Years from home, en 1969, le DOP (Director of photography) éclaire les sept premiers longs métrages du réalisateur, au rang desquels, bien sûr, l’inoubliable Alice dans les villes (1974), magnifique errance ouvrant la veine des road-movies qu’ils tourneront ensemble. Tout l’art de Müller est déjà présent: son sens de la lumière, exprimé ici dans un noir et blanc inspiré (le chef-opérateur craignait que la fillette soit perdue dans le vacarme de couleurs de New York), comme celui de l’espace. A quoi l’on ajoutera la maîtrise technique, relevée d’intuitions et d’improvisations fulgurantes, mais aussi d’ingéniosité. Wenders explique ainsi, extrait à l’appui, comment Müller s’acquitta comme à la parade de la première prise qu’il eût jamais à tourner en hélicoptère, pour un résultat magistral.

Un certain regard (2/7): Robby Müller, le maître de la lumière
© DR

L’autre pièce de résistance de ce volet wendersien, c’est bien sûr Paris, Texas (1984), le film qui les voyait reprendre leur collaboration après une interruption de sept ans. Comme toujours, chez le chef-opérateur, les images, arpentant l’imaginaire américain, parlent d’elles-mêmes. Et si l’exposition regorge de documents divers -archives vidéo personnelles, lettres, scénarios annotés, photographies de plateau, interviews, sans même parler des séries de polaroïds que n’a cessé de prendre le DOP-, les grands écrans balisant le parcours absorbent littéralement le spectateur, comme lorsqu’une Nastassja Kinski vêtue de rose angora l’accueille dans sa cabine de peep-show -un plan mythique, et un tour de force technique, parmi d’autres.

Un conte de fées

Paris, Texas devait valoir la Palme d’or à Wim Wenders, l’année même où Jim Jarmusch repartait de Cannes avec la Caméra d’or. Müller entamera un peu plus tard une collaboration fructueuse avec le réalisateur new-yorkais, rencontré lors du festival de Rotterdam. Cinq films (dont un segment de Coffee and Cigarettes) balisent ce parcours commun, entamé avec Down by Law, en 1986- « Jim m’a dit de l’envisager comme un conte de fées. C’est vraiment la seule direction que j’ai eue, et j’en ai été fort heureux », expliquera Robby Müller (1)-, pour s’achever treize ans plus tard, sur Ghost Dog. C’est tout le sens de l’atmosphère du chef-opérateur qui transparaît ici, porté à quintessence dans les plans-séquences d’une nouvelle errance, celle de Dead Man, invitant le spectateur à s’évader dans la toile.

Virtuose sans ostentation, préférant la cohérence du récit, de l’ambiance et de l’image au geste démonstratif, travaillant la vie, Müller a encore illuminé de nombreux films, croisant la route de Peter Handke (Die linkshändige Frau), Peter Bogdanovich (Saint Jack), Alex Cox (Repo Man), William Friedkin (To Live and Die in L.A. ), Barbet Schroeder (Barfly), Lars von Trier (Breaking the Waves, Dancer in the Dark ), Sally Potter (The Tango Lesson) ou Michael Winterbottom (24 Hour Party People). Non sans, au passage, intégrer les techniques les plus diverses. Démonstration, si besoin, de l’acuité de son regard, l’un des morceaux de choix de l’exposition est assurément la saisissante installation Carib’s Leap, de Steve Mc Queen (2002), une oeuvre questionnant le passé de l’auteur de Hunger tout en inscrivant la démarche de Müller dans un horizon intemporel, aux côtés d’autres maîtres de la lumière…

(1) Cité dans Cinematography, Robby Müller, de Linda Van Deursen et Marietta De Vries, éd. JRP/Ringier.

Robby Müller, master of light, Eye Filmmuseum Amsterdam, jusqu’au 4 septembre. www.eyefilm.nl/muller

Robby Müller en 5 films

Alice dans les villes, de Wim Wenders (1974)

Paris, Texas, de Wim Wenders (1984)

Down by Law, de Jim Jarmusch (1986)

Dancer in the Dark, de Lars von Trier (2000)

24 Hour Party People, de Michael Winterbottom (2002)

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