Un après-midi avec Brad Pitt

À l’occasion de la sortie très attendue de The Tree of Life, la nouvelle odyssée cinématographique de Terrence Malick en compétition à Cannes, nous avons retrouvé Brad Pitt à Los Angeles pour une rencontre inédite sur ce film dont il est l’acteur principal et le coproducteur. Quand une superstar parle de cinéma et de lui-même, avec une gentillesse et une humilité qu’on ne connaît que chez les grands.

Comment définiriez-vous The Tree of Life, ce qui, pour une fois, n’est pas une question facile!

Brad Pitt: Et ce ne sera pas une réponse toute faite! Pour moi, les adultes que nous sommes sont la conséquence directe des enfants que nous étions. Dans ce sens, The Tree of Life suit le parcours de trois frères qui évoluent entre une mère aimante, qui représente la bonté la plus pure, et un père qui, lui, est un humain avec ses failles. Mon personnage est un homme oppressé par sa vie, qui ramène sa rancune chez lui, quitte à devenir violent par moments. C’est la première opposition du film.

Et ce n’est pas la seule…

Avec Terrence, en effet, les thèmes sont divers mais toujours intimement liés. Quand la nature crée, l’homme détruit. Et quand l’homme détruit, un autre tente quand même de se construire. C’est aussi un film sur la tragédie et la violence de la mort. The Tree of Life évoque l’infiniment grand et l’infiniment petit, la splendeur suprême et la petite déviance. Quand Terrence offre dans le film sa « version », si je puis dire, de la création de l’univers, c’est sûrement aussi pour mieux illustrer l’inclinaison humaine pour l’autodestruction. Il y a, dans la majesté de la nature, toutes les racines du drame qui est en train de se nouer dans cette famille.

? « Pour Terrence Malick, l’être humain est tellement faillible qu’il ne peut que vivre en tentant de se protéger des autres »

C’est aussi un film sur la religion, la foi et la croyance en un au-delà…

La religion est un autre sujet du film, que Malick situe d’ailleurs dans le sud des États-Unis, dans des terres qui sont encore très ferventes. La religion est aussi un combat permanent entre les règles établies et la liberté de choix.

Il y a deux scènes, dans le film, où votre personnage de père prend toute sa profondeur: celle où il quémande un câlin à son fils et l’autre où il explose lors du déjeuner.

Oui, tout à fait. Il a cette attitude étrange de donner l’ordre à son fils de l’embrasser et de le prendre dans ses bras. C’est un moment où j’ai essayé de montrer à quel point il est fragile. Il sait que ses fils préfèrent leur mère, il est jaloux de leur liberté alors qu’il est, lui, enchaîné à son travail. Mais, en même temps, il essaie d’aimer sans savoir vraiment comment faire. La scène du déjeuner où il explose de fureur montre, en revanche, ses limites, sa rancoeur envers sa propre famille, ce qui est pour moi un sentiment terrible. Il semble irrémédiablement fermé de l’intérieur, incapable d’être heureux ou même malheureux par le deuil qui va le toucher directement.

Comment Terrence Malick vous a-t-il dirigé pour ce rôle?

Nous en avons parlé longuement. Il s’agissait de se plonger dans un personnage difficile mais aussi une époque pleine de rebondissements. Il nous a donné à lire un poème, « Nature et grâce », qui, je crois, l’a beaucoup inspiré pour The Tree of Life. Pour lui, l’être humain est tellement faillible qu’il ne peut que vivre en tentant de se protéger des autres. Tous les personnages du film sont dans cette logique, de la mère qui souffre des rapports qu’elle a avec son mari jusqu’aux enfants qui volent ou cassent une vitre pour affirmer leur présence et tester leur personnalité. Le film évoque aussi la société américaine, notamment les années 50, et l’essor économique qui a plongé notre société dans une certaine dureté.

Pour ma part, je considère The Tree of Life comme le 2001: l’odyssée de l’espace de Terrence Malick. Et vous?

Peut-être, oui… Vous savez, c’est un film qu’il a toujours voulu faire, il y travaille depuis plus de trente ans. D’après ce que je sais, le projet est passé par de nombreux stades, plusieurs acteurs… Je crois qu’il y a des dizaines et des dizaines de versions différentes du scénario.

Il y a des similitudes avec 2001… dans l’interrogation sur le commencement de la vie et, plus généralement, sur le sens de la vie…

C’est vrai. Il y a ces références incessantes à l’infiniment grand et l’infiniment petit, cette réflexion philosophique et ésotérique sur la création. Cela m’a vraiment marqué lorsque j’ai lu le scénario. Les scripts de Terrence sont extrêmement riches et détaillés. Ce n’est pas tant une suite de scènes mais un texte réfléchi et global. Dans le scénario, donc, Terrence évoquait très précisément la notion du micro et du macro. Lorsque vous regardez dans un microscope, vous pouvez voir des cellules. Et lorsque vous regardez dans un télescope, vous voyez finalement exactement la même chose. Cela ouvre des champs à l’infini. Comment est-ce possible? Et qu’est- ce que cela nous dit?

Je crois comprendre votre intérêt pour le film en tant qu’acteur. Mais pourquoi vous y être également investi comme coproducteur?

Je ne vais pas vous faire le coup du producteur totalement désintéressé par les questions financières… même si je dois encore faire quelques progrès en la matière! Mon but est tout simplement d’aider des films à pouvoir se faire. Cette influence que l’on peut avoir, même si c’est une goutte d’eau dans un océan, est très gratifiante.

Au sein de Plan B, votre société de production, vous avez aidé des films comme Un coeur invaincu, de Michael Winterbottom, Les infiltrés, de Martin Scorsese, ou Kick-Ass, de Matthew Vaughn. Il est quand même étonnant qu’une superstar hollywoodienne comme vous devienne un producteur parmi les plus indépendants de la place, sur des films qui ne sont pas vraiment mainstream…

Ce sont des coups de coeur. Je ne vois pas comment j’aurais pu ne pas aider Un coeur invaincu à se faire. C’est tellement fort et sensible. Je suis là pour aider, pour clarifier les zones d’ombre, pour nettoyer le terrain et faire que tout se passe bien. Pour moi, un producteur doit laisser le metteur en scène se concentrer uniquement sur son art.

? « Les acteurs qui prennent des risques, les metteurs en scène qui trouvent de nouvelles choses, voilà ce qui m’attire au cinéma »

Et pourquoi ces choix assez opposés?

Parce qu’il doit y avoir de la place pour tout le monde. Pour un cinéma dur comme celui de Winterbottom, pour un cinéma distrayant mais irrévérencieux avec Kick-Ass (même si Matthew Vaughn, qui est aussi producteur, n’avait pas vraiment besoin d’aide). Pour Les infiltrés, en revanche, nous avons été à l’origine du projet, nous avons acheté les droits de remake. Puis, une fois que Martin Scorsese est entré dans la ronde, nous nous sommes retirés car le projet pouvait voler de ses propres ailes.

Plutôt que de passer en revue votre filmographie, je préfère vous soumettre quelques noms de réalisateurs et quelques films pour tenter de comprendre ce qui vous motive dans vos choix de carrière… On commence avec Guy Ritchie (Snatch).

J’essaie toujours de découvrir des univers. C’est ce qui m’enrichit. Et le sien m’avait vraiment attiré. Le cinéma de Guy ne ressemble à aucun autre. Je pense que je suis assez futé pour préférer travailler avec des metteurs en scène qui le sont beaucoup plus que moi… C’est peut-être là que réside ma différence.

Steven Soderbergh (la saga des Ocean)?

C’est la même chose. Tous ces gens ont développé leur propre langage de cinéma. Soderbergh est un type qui n’a de cesse de repousser ses limites, d’aller explorer des terrains qu’il ne connaît pas.

Quentin Tarantino (Inglourious Basterds)?

Ah! Je dis souvent que Tarantino est un dieu, que son plateau est un paradis. Et que tous les hérétiques y sont interdits d’accès! Y a-t-il quelqu’un de plus original que lui, de plus singulier? Il nourrit ses films de sa propre personnalité, de sa propre folie.

Vous aimeriez retravailler avec lui? Scalper encore quelques nazis?

J’adorerais! Je ne devrais peut-être pas vous le dire mais il a une idée hilarante pour une éventuelle suite d’Inglourious Basterds. C’est complètement dingue! C’est une sorte de buddy movie mais je n’en dirai pas plus. Je ne sais même pas s’il le fera un jour!

Et évidemment David Fincher (Seven, Fight Club, L’étrange histoire de Benjamin Button)?

C’est sûrement celui dont je suis le plus proche. Nous avons plus ou moins été révélés au même moment, nous avons suivi des parcours similaires, nous avons grandi ensemble. C’est un réalisateur à part, obsédé par la précision, les détails. Et c’est un esprit parmi les plus inventifs. Nous sommes vraiment proches et notre amitié ne se dément pas. À l’inverse, on peut s’étonner de ne pas retrouver dans cette liste des gens comme Steven Spielberg ou Tim Burton, ce qui serait logique. Pour quoi cela ne s’est jamais fait? C’est vrai, mais c’est juste parce que les choses ne se sont pas faites… Pour cela, il faut être dans le même état d’esprit. Et puis, après, il y a, dans nos carrières, des questions toutes bêtes de logistique, d’emploi du temps. Mais j’aimerais beaucoup travailler un jour avec eux. Ce sont deux réalisateurs que je respecte et qui sont des amis.

Dans le même ordre d’idée, choisissons quelques films que vous avez faits. Tout d’abord L’armée des 12 singes, de Terry Gilliam… C’est pour moi l’un de vos meilleurs rôles.

Je me souviens qu’à ce moment ce film était un challenge personnel, je voulais savoir si je pouvais aller au bout de ce personnage un peu dérangé. Terry m’a beaucoup aidé pour ce rôle. J’étais arrivé à un point dans ma carrière où je ne voulais plus être catalogué, même si, malheureusement, je le suis encore aujourd’hui! J’ai fait ce film en réaction à ce que je vivais à l’époque. Et surtout, je voulais tenter des expériences différentes au cinéma.

Babel, d’Alejandro Gonzáles Iñárritu?

Là encore, comment dire non à un tel metteur en scène? J’aime les réalisateurs qui ont leur propre univers, même si cela doit être radical. Babel est un film tellement complexe… Mais ce qui m’a attiré à la lecture du scénario, c’est que le film trouvait sa force dans cette myriade d’histoires qui s’entrechoquent.

? « Je pense que je suis assez futé pour préférer travailler avec des metteurs en scène qui le sont beaucoup plus que moi. C’est peut-être là que réside ma différence »

Ennemis rapprochés, d’Alan J. Pakula, qui n’est en revanche pas forcément un bon souvenir…

Effectivement, ce n’est pas un bon souvenir. Le film a été dur à faire et c’était un moment inconfortable pour moi. Je tentais, pour la première fois, un personnage étranger [un Irlandais de l’IRA, NDLR], j’ai dû apprendre à parler avec un accent et puis le film avait un contenu politique intéressant. Mais le tournage s’est mal passé, il y a eu de l’incompréhension de part et d’autre et j’ai perdu mes repères. J’ai appris, de cette expérience, à quel point le système hollywoodien pouvait corrompre un beau projet.

À l’inverse, quand vous acceptez Mr. & Mrs. Smith, c’est juste pour le fun?

J’aime les films distrayants et, tout simplement, le scénario m’a fait énormément rire. Ce couple qui n’a de cesse de vouloir se supprimer était une bonne idée et j’ai pensé que cela pouvait donner un bon film. Et puis bien sûr, désormais, c’est mon film préféré (rires)!

Je ne vois pas pourquoi (rires)! Quel cinéma préférez-vous en tant que spectateur?

Même si plus j’avance, plus je connais les trucs et les astuces du cinéma, je veux qu’un film me surprenne. Les acteurs qui prennent des risques, les metteurs en scène qui trouvent de nouvelles choses, voilà ce qui m’attire au cinéma. Quand je pense à There Will Be Blood, j’ai été fasciné par l’histoire de cet homme qui ne vit que par la haine. Je ne sais pas quelles étaient vraiment les intentions de Paul Thomas Anderson mais je trouve que c’est une merveille. C’est toujours la même chose, j’aime les gens qui repoussent les limites… Mais bon, vous allez finir par me faire passer pour un intello alors que j’aime toute sorte de films!

Mais en vous écoutant parler de cinéma, j’ai l’impression de voir un gosse dans un magasin de bonbons!

C’est vrai. Je suis fasciné par les metteurs en scène. Et les acteurs. Et les directeurs photo. J’adore tout ce côté créatif du cinéma. J’ai toujours été comme ça. Vous pourrez faire ce que vous voulez, mais si un film de Stanley Kubrick est projeté quelque part, j’y cours, toute affaire cessante! Parfois, je regarde même des films moyens ou ratés pour espérer y trouver quelque chose!

C’est aussi pour cela que vous aimez faire des voix dans les films d’animation. Bientôt dans Happy Feet 2?

On a fait les voix il y a un an déjà avec Matt Damon, et c’était un pur plaisir. Déjà, vous n’avez pas besoin d’être maquillé! Et puis c’est un exercice où l’on apprend beaucoup tout en étant en totale liberté. Surtout avec quelqu’un comme George Miller qui est quand même un grand monsieur.

Vous avez tourné avec Jean-Jacques Annaud dans Sept ans au Tibet. Il y a d’autres réalisateurs européens qui vous intéressent?

Le problème est qu’en tant que père de famille je ne vois plus trop autre chose que des films d’animation pour enfants! On essaie, de temps en temps, de découvrir des choses. D’ailleurs, j’ai vu Le ruban blanc, de Michael Haneke, qui m’a retourné. Ce film m’a poursuivi longtemps, et encore aujourd’hui…

Finalement, êtes-vous fier de votre parcours dans le cinéma?

Oh que oui! Je pense qu’en devenant père de famille, je suis en train d’évoluer dans mes choix. J’ai sûrement accepté certains rôles que je n’aurais pas dû accepter. Et la notion de qualité, de point de vue, est désormais vraiment mon moteur. Mais je suis heureux d’avoir vécu de telles expériences, de David Fincher à Terrence Malick qui ont un point de vue tellement brillant et original sur le cinéma. Cela change des effets spéciaux à outrance! Mais franchement, je me considère comme très chanceux et ce serait vraiment déplacé de me plaindre, vous ne trouvez pas?

Rencontre Fabrice Leclerc, à Los Angeles

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