Tim Burton s’expose à la cinémathèque française

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La cinémathèque française accueille l’exposition Tim Burton, créée au Moma de New York en 2009. Une plongée captivante dans l’imaginaire du génial cinéaste dont le Dark Shadows sortira début mai. Visite guidée.

TIM BURTON: L’EXPOSITION. JUSQU’AU 5/08 À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, 51 RUE DE BERCY, PARIS.

Voici tout juste 30 ans que Tim Burton réalisait Vincent, court hommage animé à Vincent Price, et rampe de lancement d’une filmographie d’exception, la vision singulière du cinéaste de Burbank trouvant paradoxalement à s’épanouir dans le giron des studios. De cette dimension visionnaire autant que toute personnelle, l’exposition qu’accueille la Cinémathèque française jusqu’à l’été rend parfaitement compte: l’itinéraire proposé ne se borne pas à parcourir la partie émergée du continent Burton, celle qui conduit de Edward Scissorhands à Alice in Wonderland en passant par Batman(s), Ed Wood et autre Big Fish, il remonte également aux sources de l’art de l’auteur de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, à travers notamment d’innombrables dessins, mais aussi ses premiers travaux filmés. Partant, c’est un peu comme si Tim Burton avant Tim Burton nous était conté, de quoi donner à ce parcours panoramique des contours hautement galvanisants.

En douterait-on d’ailleurs que les premières salles de l’exposition suffiraient à s’en convaincre. S’invitant dans l’univers burtonien par un couloir aux striures noires et blanches familières, le visiteur est accueilli par une musique ne l’étant pas moins, ritournelle horrifico-décalée composée par Danny Elfman pour un curieux carrousel créé pour l’occasion. Quelques jeux d’ombres et de lumières achèvent de conférer sa tonalité fantastique à l’ensemble; quant aux polaroïds hors-format que l’on découvre en guise de zakouskis, ils donnent une première mesure de l’imaginaire burtonien, vampires et autres loups-garous y côtoyant les Jack & Sally de The Nightmare Before Christmas, quand il ne s’agit pas d’une femme bleue en descendance directe de The Bride of Frankenstein.

Dans son passionnant livre d’entretiens avec Mark Salisbury (1), Tim Burton confie notamment: « J’aime beaucoup dessiner. En maternelle, tu ne fais que ça toute la journée. C’est génial! Et tous les dessins se ressemblent; pas un n’est meilleur que l’autre. Et puis, peu à peu, la société te lamine. Je me souviens qu’on devait suivre un cours à mon école d’art où on apprenait à dessiner d’après des modèles vivants; et c’était une lutte au quotidien, pour moi. Au lieu de t’encourager, de te laisser dessiner à ta manière, comme lorsque tu étais enfant, on t’obligeait à appliquer des règles. Cette situation m’a frustré énormément jusqu’au jour où un déclic s’est produit. J’étais en train de faire un croquis, et tout d’un coup, je me suis dit: « Et puis merde, peu importe que je sache dessiner ou pas. L’important, c’est que j’aime ça. » » Cette déclaration en forme de profession de foi ne fait pas que fournir le fil rouge implicite de l’exposition, qui place le dessin, son premier mode d’expression artistique, au c£ur du parcours créatif de Burton; elle donne aussi l’une des clés de son £uvre, celle d’un artiste aussi farouchement attaché à sa liberté que profondément original.

Artiste et ouvrier zombie

L’immersion dans le « burtonarium » en apporte la démonstration, galerie d’individus excentriques tels que les affectionne un démiurge qui raconte encore « aimer les personnages extrêmes mais qui n’ont pas conscience de leur étrangeté ». De fait, dessins d’enfants, d’hommes, de femmes, de nains, de clowns, de couples et autres créatures, qui couvrent plusieurs décennies, viennent abondamment illustrer le propos. Et soulignent, en plus de sa richesse, la cohérence de l’univers de Burton, qui a certes évolué, mais en restant fidèle à ses fondamentaux, tout en témoignant de son mélange d’ironie corrosive, de sensibilité enfantine, de poésie noire et d’humour macabre -certains croquis ne sont pas sans évoquer les Idées noires de Franquin. Au fil de l’accrochage, on passe ainsi de La Triste Fin de l’enfant huître à la remarquable série des Aliens; de celle, acide, consacrée à L’Usine à rêves à un portrait de Joey Ramone, là où les écrans proposent l’un, la websérie animée Stainboy (2000); l’autre, 1997, film en stop motion tourné à l’âge de 16 ans pour le lycée, quand il ne s’agit pas d’une pub pour Hollywood chewing-gums parodiant Blanche-Neige, ou d’un monumental clip pour The Killers citant Jason and the Argonauts.

Le parcours ne manque pas de sel, qui révèle encore comment le jeune rebelle de Burbank fut honoré par les pompiers de la municipalité, avant de voir une de ses compositions orner les camions-poubelles du coin. Si Burton est toujours resté un « outsider » anticonformiste, son talent n’en a pas moins été précocement reconnu. Du reste intègre-t-il les rangs du Cal Arts en 1976, avant de rejoindre l’écurie Disney à laquelle le destinait cette formation. Cette période, Burton la décrit à Salisbury comme atroce – « Ce qu’il y a de plus surprenant chez Disney, c’est qu’ils veulent que tu sois à la fois un artiste et un ouvrier zombie sans personnalité« , explique-t-il notamment. Logiquement, le volet de l’exposition consacré à son passage chez l’oncle Walt comprend donc quantité de dessins préparatoires n’ayant pas été retenus pour les projets auxquels il fut associé. C’est là toutefois que Burton sort définitivement de sa chrysalide, puisqu’il y réalise Hansel & Gretel, mais aussi Vincent et Frankenweenie, promptement mis au placard par le studio.

Qu’à cela ne tienne, l’avenir de Burton est ailleurs, et la dernière partie de l’exposition adopte le scénario classique d’un film à film, proposant des objets, dessins, lettre à Johnny Depp ou autres storyboards liés à chacun d’entre eux -manière de rappeler, une fois encore, la continuité esthétique et thématique de l’oeuvre. Du pull en angora de Ed Wood aux essais en stop motion pour Mars Attacks!, il y a là quantité de trésors, et jusqu’à la robe de Eva Green pour le prochain Dark Shadows, comme diverses esquisses pour le Frankenweenie attendu à l’automne. Est-il besoin de préciser que, burtonomaniaque ou simple cinéphile, cette exposition est un must ?

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

La BO de Dark Shadows

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(1) TIM BURTON. ENTRETIENS AVEC MARK SALISBURY, ÉDITIONS SONATINE, TRADUIT DE L’ANGLAIS, 350 PAGES, 2009.

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