Laurent Raphaël

Silence, on tourne!

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Ça ne sautait pas aux yeux, et encore moins aux oreilles, mais les films muets étaient nombreux cette année à Cannes. Ah bon? Personne n’a pourtant refait le coup de The artist, même si Bérénice Bejo super star et son mari de réalisateur, Michel Hazanavicius, rôdaient dans les parages.

On a bien entendu parler du noir et blanc charbonneux de Nebraska, road movie sur la jante de l’american dream qui a valu une palme vermeil à ce vieux routard de Bruce Dern, mais guère de films sans paroles -ce n’est en tout cas pas ce que les pneumatiques envoyés depuis la Croisette ont retenus. On ne rêve pourtant pas. Car il y a muet et muet. Muet comme une carpe, dans la droite ligne des Leo McCarey, Louis Delluc et autre Georges Méliès, avec pianiste, « cartons » et jeu hyper théâtral. Et muet comme une pie déguisée en carpe. Les dialogues au sens classique sont ici absents ou réduits à la portion congrue, non pour cause de budget raboté ou pour retrouver la saveur et la texture des films d’antan, à l’instar du très réussi Blancanieves de Pablo Berger dernièrement, mais pour focaliser l’attention du spectateur sur les autres cordes de l’arc cinématographique: l’image, les expressions, les bruits, les corps, la musique, le silence. Trois longs métrages montrés à Cannes ont pris ce parti plutôt radical. Car se passer de la voix à l’écran, c’est un peu comme manger sans couverts. Autrement dit, fuir la facilité. Sinon carrément se compliquer la tâche. Le premier, le plus évident, c’est le All I lost de Robert Redford. Dans cette dérive en solitaire sur l’Océan indien qui rappelle vaguement Le Vieil Homme et la Mer d’Hemingway, l’acteur est seul en scène du début à la fin, et surtout, il ne prononce pas un mot. Ce qui en fait techniquement un film muet. A sa façon, le remuant Only God Forgives du radical Nicolas Winding Refn joue la même partition. Muré dans le silence depuis que sa mère l’a châtré du langage, Ryan Gosling doit prononcer trois phrases en tout et pour tout. Par contre, il parle abondamment avec ses biceps, son sex-appeal, son regard de velours et ses jeans moulés… En tapissant sa nouvelle fresque amoureuse d’une voix off étouffante, Malick coupe lui aussi la chique à ses acteurs dans To the Wonder. Comme pour ne garder que leur essence. Et ainsi atteindre à une forme d’épure existentielle, voire de transcendance divine? La question est moins farfelue qu’il y paraît. La voix est ce qui nous définit le plus avec le physique. En gommant ce marqueur identitaire, on passe du singulier au pluriel. Ou du particulier au général, rendant du coup le message plus universel. Le « truc » n’est pas nouveau. Les caves du 7e art regorgent de chefs-d’oeuvre finalement assez chiches sur les dialogues quand on y pense. Et non des moindres. De Persona d’Ingmar Bergman à Deliverance de John Boorman en passant par The Deer Hunter de Michael Cimino ou même The Party de Blake Edwards, tous ces grands films jouaient en sourdine, laissant le soin aux autres fibres qui composent la trame du cinéma de faire affleurer l’émotion et de fouetter l’imagination. Rien n’a changé en fin de compte: less is toujours more.

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Par Laurent Raphaël

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