Rien à déclarer, l’interview de Dany Boon

© Belga

Après Bienvenue chez les Ch’tis, Dany Boon met en scène Rien à déclarer. Une comédie, évidemment. Qui dénonce le racisme, notamment. On ne se refait pas.

Le pull est en laine, les jambes sont croisées, la mine est réjouie. Dehors, il fait froid. Dany Boon, lui, est prêt pour répondre aux questions, heureux de s’exprimer sur ce qui l’énerve. Il n’est pas en colère, mais être libre de sa parole lui tient particulièrement à coeur.

A sa place, beaucoup de réalisateurs seraient stressés. On n’attire pas 20 millions de spectateurs avec un film (Bienvenue chez les Ch’tis, faut-il le rappeler ?) sans être attendu au tournant du coin du bois avec le suivant. Dany Boon, 44 ans, est, au contraire, très détendu. Pas même essoufflé, malgré un emploi du temps de ministre qui lui fait enchaîner des avant-premières de Rien à déclarer à travers toute la France. Une comédie pas bête qui met en scène une carpe et un lapin prêts à se bouffer le nez, en l’occurrence un douanier belge (Benoît Poelvoorde) et son collègue français (lui-même) au moment de la disparition des contrôles douaniers entre les deux pays, en 1993.

Dany Boon a la sérénité de ceux qui n’ont rien à se reprocher. Il ne fanfaronne pas, essaie de rester humble, conscient de la chance qu’il connaît depuis quelques années. Il loue donc à jamais le Nord, le public, sa mère, ses amisà Il n’en a pas marre ?

Le Vif/L’Express : Vous n’en avez pas marre qu’on vous parle de Bienvenue chez les Ch’tis ?

Dany Boon : Non, car c’est toujours chaleureux et affectueux. J’en aurai marre le jour où, après avoir réalisé plusieurs films, on m’en parlera encore. Comme il arrive à ces chanteurs dont on ne se souvient que d’un tube sorti il y a des dizaines d’années. J’ai eu cette crainte au début de ma carrière avec le sketch sur la déprime. Dans la rue, on me répétait tout le temps :  » Je vais bien, tout va bien.  » Heureusement, il y a eu ensuite le sketch sur la lecture ou celui sur le K-Way. J’espère qu’il en ira de même au cinéma. Que mes prochains films occulteront ceux du passé, et pas l’inverse.

Après les préjugés, dans Bienvenue chez les Ch’tis, vous vous attaquez au racisme dans Rien à déclarer. Vous n’en avez pas marre d’écrire des comédies sur le thème de l’acceptation de l’autre ?

Je ne le fais pas sciemment. Le point de départ du scénario, c’était le sort des douaniers au moment où ils n’ont plus de frontière à garder. Un sujet sur lequel personne ne s’est vraiment penché. J’ai ensuite développé un tandem à partir de ce que je connais : un Belge très patriote et belliqueux face à un Français considéré comme arrogant.

Mais s’il parle tout le temps français, on soupçonne le Belge d’être flamand…

Je n’ai pas voulu le préciser, même si j’en ai marre de ces quelques Flamands qui foutent la merde en voulant diviser la Belgique. Rien à déclarer ne traite pas de ce sujet-là, mais du racisme. Entre mon personnage et celui incarné par Benoît Poelvoorde, il n’y a pas de différence ethnique ou religieuse. On a la même culture, les mêmes influen-ces, le même environnement social. La seule chose qui nous sépare, c’est une frontière. Et je montre des exemples aussi bêtes qu’authentiques. Je connais une personne comme celle jouée par Bouli Lanners : parce que sa mère est flamande et son père wallon, il est considéré comme métis !

Vous-même êtes né d’un père kabyle et d’une mère ch’ti.

C’est vrai. Leur union a choqué une partie de la famille de ma mère, qui arrache encore les pages de journaux où j’apparais. Ce qui se passe de commentaires.

Vous n’en avez pas marre de ne plus vous appeler Daniel Hamidou ?

Je m’appelle toujours Daniel Hamidou !

Plus sur vos papiers !

Effectivement… Quand je suis arrivé à Paris, on me demandait sans cesse si j’étais de la famille d’Amidou, l’un des comédiens fétiches de Claude Lelouch. On croyait que j’étais pistonné ! Raison pour laquelle je suis devenu Dany Boon, un pseudo qui prête à rire et qui, surtout, rend hommage à l’un de mes héros d’enfance, Daniel Boone, l’explorateur américain. Aujourd’hui, tout le monde m’appelle Dany Boon. En adoptant ce patronyme, je n’ai pas le sentiment de renier quoi que ce soit. Je n’oublie rien de mes origines, ni que je suis devenu ce que je suis grâce aux institutions de mon pays, la France.

Vous n’en avez pas marre d’aller régulièrement aux Etats-Unis ?

J’en ai surtout marre de lire que je m’y suis installé pour ne pas payer mes impôts. C’est faux et c’est idiot. J’y vais uniquement pour travailler au calme et développer des projets.

Vous n’en avez pas marre de ce qu’on écrit sur ce que vous gagnez ? Il y aurait eu les 26 millions d’euros empochés grâce au succès des Ch’tis, information que vous avez démentie. Aujourd’hui, on parle de 7 millions d’euros gagnés sur Rien à déclarer…

Encore une fois, je démens. C’est moins. Je ne donnerai pas le montant parce que ce genre d’information est mal perçu en France, contrairement aux Etats-Unis, où c’est un atout professionnel. Ici, on me regarde d’un drôle d’air. C’est une question de culture. Voyez les footballeurs. Ils gagnent des fortunes et s’installent souvent à l’étranger pour des raisons fiscales sans que personne trouve rien à redire. Mais eux courent pendant deux plombes dans le froid alors que nous, les artistes, nous sommes juste bons pour jouer aux cons devant une caméra, avant d’aller nous prélasser dans une caravane de luxe entre deux prises ! Voilà comment nous sommes perçus. Allez faire comprendre qu’on gagne beaucoup d’argent !

Après avoir été l’auguste de Kad Merad, vous voilà le clown blanc de Benoît Poelvoorde. Vous n’en avez pas marre de fantasmer sur le modèle de Funès-Bourvil ?

C’est une belle référence, non ? En tout cas, votre rapprochement est flatteur. Plus qu’avec Max Pécas [réalisateur, notamment, d’On se calme et on boit frais à Saint-Tropez], à qui La Voix du Nord m’avait comparé à l’époque des Ch’tis. Nul n’est prophète en son pays !

Vous n’en avez pas marre de Benoît Poelvoorde ?

Comment pourrait-on en avoir marre d’un type comme lui ? J’ai pensé à lui en écrivant le scénario et je ne l’ai pas regretté. A la fin du tournage, nous étions tristes de nous quitter. D’ailleurs, j’en ai marre de moins le voir. C’est un génie, cultivé, généreux, et d’une fragilité bouleversante. Il est d’une drôlerie abyssale, contrebalancée par une douleur intérieure, qui parfois reprend le dessus. Je n’ai jamais vu un acteur pareil sur un plateau.

La plupart des journalistes étaient plutôt réservés après la projection de presse de Rien à déclarer. Vous n’en avez pas marre des critiques ?

Si, mais je n’y peux rien. La critique est un sport national français. En plus, je réalise des comédies dont l’une est devenue le plus gros succès du cinéma français. J’ai tout faux. Alors, j’essaie de ne pas lire ce qu’on écrit. Mais je ne résiste pas. Avant, à la moindre critique négative, j’appelais Raymond Devos [son mentor].  » Allô papa ! Au secours !  » Il me rassurait le plus simplement du monde :  » Ce sont des cons, tu es formidable !  » Aujourd’hui, je suis devenu mon propre père. Et puis j’ai appris à en rire. Quand Les Inrockuptibles écrivent, à propos de Bienvenue chez les Ch’tis :  » Nullissime ! Pourquoi parler d’un film qui n’en est pas un ? « , je prends ça comme de la pub.

En règle générale, la presse a été assez clémente avec Bienvenue chez les Ch’tis.

C’est vrai. Mais la tendance s’est inversée quand le film a dépassé les 10 millions d’entrées. La presse s’est mise à le trouver populiste, opportuniste, franchouillard…

Vous n’en avez pas marre de demander les filles en mariage dans vos films ?

Non. J’aime bien les histoires d’amour. C’est lié au fantasme de celle qu’ont connue mes parents.

Vous êtes assez fleur bleue, finalement…

Je suis romantique, oui. Ce qui, avec mon physique, est assez balaise.

Vous n’en avez pas marre de ne pas jouer des rôles dramatiques ?

Non. J’attends qu’ils viennent. Souvent, mon agent me parle de scénarios qui vont me bouleverser, avant de conclure :  » C’est pour toi. C’est ton Tchao Pantin.  » Si j’avais un plan de carrière, je sauterais dessus. Mais je n’en ai pas plus que je ne caresse de rêve américain.

De quoi en avez-vous vraiment marre ?

De ne plus voir mes amis disparus. Comme Dominique Pizzi [producteur de ses spectacles], Thierry Joly [coauteur de ses premiers sketchs], Raymond Devosà J’en ai vraiment marre de la mort. Des années de psychanalyse m’ont aidé à vivre avec, mais je n’arrive quand même pas à m’y faire. Notez qu’il y a pire : quand votre psychanalyste meurt !

Propos recueillis par Christophe Carrière

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content