Rencontre avec Matteo Garrone, réalisateur du nouveau Pinocchio

La version de Matteo Garrone propose une esthétique chargée et hyper expressive pensée à mi-chemin entre réalisme et surnaturel.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Matteo Garrone, le réalisateur transalpin de Gomorra et Dogman, s’égare quelque peu dans le labyrinthe du Pinocchio de Carlo Collodi. Généreux en interview, il se raconte sans langue de bois…

Ça se bouscule au portillon pour transposer à l’écran, encore et encore, l’inusable Pinocchio de Carlo Collodi. L’an prochain, une variation musicale et animée en stop motion réalisée par Guillermo del Toro (The Shape of Water) atterrira sur Netflix tandis que Robert Zemeckis (Forrest Gump) s’apprête à tourner sa propre adaptation en prise de vues réelles avec Tom Hanks pressenti en Geppetto. Mais pour l’heure, c’est au tour de la version foncièrement européenne, et revendiquée comme telle, de Matteo Garrone de prendre d’assaut les cinémas. Le réalisateur de Gomorra et Dogman a profité des avancées déterminantes en matière d’effets spéciaux pour se lancer dans un Pinocchio porté par des acteurs faits de chair et d’os mais retouchés digitalement pour correspondre à une esthétique chargée et hyper expressive pensée à mi-chemin entre réalisme et surnaturel. De passage à Berlin en février dernier, où le film a été présenté en séance spéciale, il remontait pour nous aux origines de ce projet: « Après Tale of Tales, en 2015, je voulais faire un autre film en lien avec l’univers des contes de fées. Alors j’ai lu le livre de Carlo Collodi pour la première fois de ma vie. Ça peut sembler étonnant, hein, pour un Italien (sourire). En fait, j’ai réalisé mon premier storyboard de Pinocchio quand j’avais seulement six ans, un peu à la manière d’un roman graphique. Je connaissais toute l’histoire sur le bout des doigts parce que ma mère me la racontait souvent. Mais donc il y a cinq ans, je me suis dit que, par curiosité, je voulais lire le livre, retourner à la source. Et en le lisant, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup d’éléments que j’avais oubliés ou que je ne connaissais simplement pas. L’histoire m’est apparue sous un jour nouveau. J’y ai vu une opportunité pour moi d’en faire quelque chose d’inattendu. »

Et le résultat, en effet, très éloigné notamment du classique Disney, ne manque pas de singularité. Pour le meilleur mais aussi pour le pire, serait-on tenté d’ajouter, le fameux conte moral prenant ici régulièrement des allures de peu digeste carnaval baroque. Très long pour un film à destination d’un public essentiellement familial (plus de deux heures…), le Pinocchio de Garrone évoque en outre un peu trop souvent un film à sketches qui manquerait de liant narratif. Un écueil certes parfois difficile à éviter en regard du matériau d’origine. « S’attaquer à une histoire aussi riche que celle-là, avec tellement de personnages, d’aventures et de niveaux de compréhension, est un exercice périlleux, concède le cinéaste. Pinocchio est une espèce de labyrinthe. Il est vite fait de s’y perdre. Et puis c’est une sorte de mirage aussi. Au départ, vous ne comprenez pas pourquoi tout le monde vous dit que vous allez vous casser les dents sur cette adaptation, parce que tout roule. Mais, peu à peu, en avançant dans le travail, tout semble se dérober à vous. Chaque fois que vous avez l’impression d’avoir attrapé quelque chose, cette chose disparaît. Et vous vous retrouvez seul dans le labyrinthe. Alors vous comprenez qu’il faut remettre cent fois votre ouvrage sur le métier, rester le plus modeste possible, le plus simple, le plus fidèle, et essayer une étape après l’autre d’arriver à quelque chose de concluant. »

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Boucler la boucle

D’un goût parfois douteux graphiquement parlant, l’ensemble étonne par sa noirceur et sa cruauté ponctuelles, mais déroute surtout par son sens consommé du grotesque. Ce qui n’a pas empêché Pinocchio d’être un grand succès populaire en Italie, où il est sorti à Noël. Un enthousiasme qui tient sans doute aussi beaucoup à la présence de Roberto Benigni en Geppetto dans le film. Garrone et lui se connaissent depuis plus de 30 ans mais n’avaient jamais vraiment collaboré par le passé. Amusé, le réalisateur se souvient: « Mon père était critique de théâtre. Il a été l’un des premiers à écrire sur le travail de Roberto et à le soutenir quand celui-ci est arrivé à Rome pour jouer. Mes parents se sont séparés quand je n’avais que deux ou trois ans. Je m’entendais bien avec mon père mais je le voyais peu. C’est seulement à la sortie de l’adolescence qu’on s’est rapprochés et que je me suis ouvert à l’art à travers lui. Parce qu’avant ça, tout ce qui m’intéressait c’était le tennis, que je pratiquais beaucoup à l’époque. Je ne pensais qu’à ça. Je rêvais de devenir un champion, c’était mon obsession (sourire) . C’est grâce à mon père que je me suis retrouvé à faire le figurant sur le plateau de l’ultime long métrage de Fellini, La voce della luna , dont Roberto tenait le rôle principal. J’y ai rencontré Roberto pour la première fois, à la toute fin des années 80. Je suis allé me présenter à lui, tout penaud (sourire). »

Pourquoi dès lors avoir attendu si longtemps avant de travailler ensemble? « Eh bien figurez-vous qu’à l’origine, j’avais écrit Dogman pour lui. Attention ça remonte, c’était en 2004. Mais Roberto a refusé. Et je dois dire que je le comprends, cette toute première version du scénario n’était pas très convaincante (sourire) . Ironiquement, quand, en 2018, Marcello Fonte a finalement remporté le Prix d’interprétation à Cannes pour Dogman , il l’a reçu des mains de Roberto, qui avait lui-même refusé le rôle quatorze ans plus tôt donc. C’est d’ailleurs à cette occasion que nous nous sommes retrouvés et que j’ai pu lui proposer le rôle de Geppetto dans Pinocchio . La boucle était bouclée (sourire) . »

Pinocchio. De Matteo Garrone. Avec Federico Ielapi, Roberto Benigni, Marine Vacth. 2h05. Sortie: 08/07. **(*)

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