Rencontre avec le réalisateur de Yalda, glaçant film iranien sur une émission de téléréalité bien réelle

Au jeu du pardon, le spectacle télévisuel ne peut cacher le sordide.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Yalda, drame fictionnel quasi procédural doublé d’une satire grinçante de l’univers des médias, le réalisateur iranien Massoud Bakhshi s’immisce dans les coulisses glaçantes d’une émission de téléréalité bien réelle. Rencontre.

Pour l’absolution, tapez 1. Pour la pendaison, tapez 2… À l’origine de Yalda (lire la critique), fiction dramatique mettant en scène une jeune femme condamnée à mort après avoir tué accidentellement son mari et dont l’hypothétique salut dépend de l’éventuel pardon que pourrait lui accorder la fille du défunt devant des millions de spectateurs, il y a une émission de téléréalité bien réelle. C’est l’un des programmes phares du mois du ramadan en Iran: un show où la vie et la mort d’un être se joue sous le feu des projecteurs, devant les caméras avides d’émotions extrêmes d’un grand tribunal populaire où la rigueur morale a fait place au sensationnalisme le plus impudique. Massoud Bakhshi (Une famille respectable), le réalisateur du film, explique: « À la base, le désir de tourner Yalda m’est venu de la vision de deux documentaires signés par des réalisatrices sur des femmes condamnées à mort. J’avais été tellement secoué par ces histoires que je me suis mis à écrire le récit de vie d’une femme condamnée après avoir tué son propre mari. La première mouture du scénario était assez classique. Rencontre entre les deux familles, mariage, accident… Les différentes étapes de ce destin tragique s’y succédaient de manière très linéaire. Mais un jour, un ami qui savait que je travaillais sur le sujet m’a conseillé de regarder ce show télévisé. C’est en découvrant ce programme que j’ai compris que je devais m’orienter vers quelque chose de plus radical. J’ai alors décidé de m’imposer une vraie contrainte narrative: en me glissant à l’intérieur du cadre de l’émission, en adoptant le format très restrictif d’un huis clos, le film allait gagner en intensité mais il allait aussi pouvoir porter un regard critique de l’intérieur. »

L’envers de l’écran

À l’arrivée, le film se déroule en effet en grande partie au siège de l’émission de télévision, ironiquement rebaptisée pour l’occasion Le Plaisir du pardon, avec une unité de temps et de lieu, pour un huis clos presque total. Cinéaste venu du documentaire, Massoud Bakhshi avait bien conscience des pièges que cela pouvait supposer. En reprenant à son compte l’intensité caractéristique du show d’origine, le film n’allait-il tout simplement pas en reproduire les dérives voyeuristes? « L’idée c’était vraiment de se fondre le plus subtilement possible à l’intérieur de la mise en scène de ce show télé. De placer le spectateur dans la même position que celui qui regarde ce programme. Et puis seulement de prendre ponctuellement ses distances, de revenir vers des formes et un regard de cinéma, pour créer une rupture avec le sensationnalisme télévisé. Il fallait bien sûr montrer le contrechamp, plus sombre, plus ambigu, de ce qu’on voit à l’intérieur du petit écran qui, lui, brille de lumière, n’est pas dans cette indécision morale. Il y a un glissement qui s’opère entre l’image et son envers. »

En rentrant directement dans le vif du sujet, sans réelles prémices, Yalda évite toute forme de pesanteur didactique pour privilégier une approche organique de son sujet. De la même manière, les personnages du film apparaissent comme des êtres de chair et de sang, pas comme de simples cartes à jouer d’un petit théâtre singeant les aspects les plus grotesques de la condition humaine. « L’histoire qui sous-tend le film est quand même très complexe, poursuit Massoud Bakhshi, avec de nombreux dilemmes moraux et des détails juridiques très précis. Mais c’est peut-être sa dimension psychologique qui m’intéressait le plus. Maryam, la condamnée, est une femme issue d’une famille pauvre, de chauffeurs. Son père est mort, et elle épouse un mari beaucoup plus âgé qui est aussi un père. Et qui meurt. Mona, la fille de ce dernier, vient d’un milieu plus aisé. Le film met en scène leur confrontation mais ces deux femmes ont aussi des choses en commun. Elles partagent notamment toutes les deux une recherche d’indépendance. Les rôles ne sont pas distribués de manière binaire. Les personnages sont, je crois, plus ambivalents qu’ils ne paraissent d’abord. L’une n’est pas un ange et l’autre pas un démon. C’est un peu plus nuancé que ça. On a beaucoup travaillé ça avec les actrices aux répétitions, en amont, en inventant même un passé aux personnages qu’on ne voit pas dans le film pour se rapprocher le plus possible de la vie réelle, en termes de complexité. J’avais très envie que quelque chose se joue sous la surface du film. Il fallait dépasser le côté très lisse du programme télévisé d’origine pour créer une vraie profondeur. Yalda est un objet multi-couches et j’espère que ce fond, que cette épaisseur, se sent à la vision du film. »

Soeurs et rivales à la fois, Maryam et Mona sont au fond, chacune à sa manière, victimes d’un système qui les pousse au bord de l’abîme. « Complètement. Elles sont victimes du fondement patriarcal de la société dans laquelle elles évoluent, des questions d’image et d’honneur qui dominent au sein des familles. Et puis aussi du désir très fort d’ascension sociale des classes populaires dans un système profondément inégalitaire. Il y a une forme d’ambition, d’avidité, qui écrase un peu tout. C’est quelque chose de très pervers. Nous vivons aujourd’hui dans un monde néo-libéral qui laisse de moins en moins de place à la morale. C’est une question très universelle qui, là, pour le coup, dépasse de loin le seul contexte iranien. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content