Reggaeton au cinéma: « Ce dont je ne me souviens pas ne s’est pas passé »

Ozuna, à droite. © DR
Gil Blondel
Gil Blondel alias Un Faux Graphiste

Gil Blondel, alias Un Faux Graphiste, continue son tour des salles obscures d’Amérique latine et se délecte d’un navet dominicain à la gloire d’une star du reggaeton: voici le Kinogringo #5.

Les épisodes de Kinogringo s’espacent dangereusement. Pour tout dire, je pensais qu’il serait plus facile de trouver un cinéma national et populaire en Amérique latine. Mais j’ai beau égrener les salles chiliennes, argentines, uruguayennes et colombiennes, je n’y trouve qu’une flopée de grosses productions américaines. Et quelques comédies françaises, dont une avec Alexandra Lamy en fauteuil roulant qui a le don de me déprimer davantage. J’aurais dû faire une chronique sur la musique. S’il y a bien un domaine dans laquelle les Latinos ne laissent pas les Yankees interférer, c’est l’exploitation des richesses minières. Pardon, c’est le reggaeton. Comment définir le reggaeton? Selon Wikipedia, il émerge dans les années 2000 aux Caraïbes et dérive du reggae et du hip-hop. N’étant pas musicologue et très fainéant, j’aurais du mal à le définir plus précisément. Il est aussi omniprésent en Amérique latine que diversifié. Pour que vous saisissiez l’essence du genre, le plus sage serait de vous montrer un tube que j’affectionne tout particulièrement, No me acuerdo de Thalía et Natti Natasha.

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Pour les non-hispanophones, laissez-moi vous traduire le refrain de cette magnifique ode à la murge: « Ce dont je ne me souviens pas ne s’est pas passé. » Enfilez-vous une bouteille de vodka et allez assassiner votre famille si ça vous démange. Vous pourrez toujours soutenir au juge que cela n’a pas eu lieu, vu que vous ne vous en souvenez plus. Même si le reggaeton a de nombreuses branches sous-jacentes, ce morceau est un bon exemple du genre. Il compile différents motifs culturels forts que l’on y retrouve régulièrement:

– La fête et l’alcool. Le reggaeton est avant tout une musique pour faire la fête. Et comme presque partout dans le monde, la fête ne va pas sans alcool. Les mariachis en ont d’ailleurs toujours fait l’éloge. Rien à voir avec les jérémiades du poète maudit face à son verre d’absinthe, ils prônent depuis longtemps une tôle joyeuse et décomplexée. Leurs descendants ont gardé en tête l’importance hygiénique de se la coller régulièrement, pour oublier un chagrin d’amour par exemple. Ce qui nous amène au deuxième point.

– L’amour et le sexe. La plupart des titres parlent d’amour, les musiciens latinos n’ont jamais eu peur de parler sentiments. Ça chuinte sans arrêt sur la mamacita qui a brisé leur corazón. Mais comme la fête ne va pas sans alcool, l’amour ne va pas sans sexe. Le titre Mi Cama de Karol G. et J. Balvin imite des grincements de lit fort suggestifs. Parlez-moi de musique concrète! Et ce n’est même pas de l’underground, c’est un tube international que j’ai entendu résonner devant des écoles maternelles. J’ai ainsi pu constater que les Latinos avaient un rapport beaucoup plus décomplexé au sexe. Dans les grandes villes colombiennes, il n’est pas rare de voir des vendeurs de Viagra passer entre les voitures aux feux rouges. ¡Caliente!

– Le chic et le bling-bling. Les Latinos adorent se saper. Vous avez vu comment Thalía sublime ce body en boule à facettes?! En fait, depuis qu’on voyage en Colombie, on se sent assez pouilleux face à la population. On porte les mêmes fringues depuis six mois et nos shorts Décathlon font pâle figure face à leurs chemises impeccablement repassées et leurs gourmettes dorées. Et ici, quand on a du pognon, on le montre sans fausse pudeur. Quand l’Européen cache ses millions sous une veste vintage usée, le Latino les proclame avec sa Rolex et ses lunettes serties de diamants. C’est un peu arrogant et un peu moins hypocrite.

– L’insouciance. Cela résume un peu tous les points que je viens de citer. L’artiste reggaeton ne se prend pas au sérieux et se laisse aller à n’importe quelle excentricité pour nous divertir. Ça brille, ça blague, ça claque. Quand en Europe, on a des débats barbants sur l’autotune, sur ce qui est commercial et ce qui ne l’est pas, ce qui est de bon goût et ce qui ne l’est pas, le reggaeton fait pleuvoir des marques de voitures sur un cul huilé tout en faisant péter la chorale virtuelle. Tout ça pour dire qu’on s’emmerde moins devant un clip de reggaeton que devant un clip d’Eddy de Pretto.

Reggaeton au cinéma:

Bref, j’ai appris à aimer le reggaeton et ça faisait longtemps que je voulais en parler. Mais comme c’est une chronique cinéma, j’ai dû attendre la bonne occasion. Ozuna, petit prince portoricain du reggaeton, a enfin fini par jouer dans un film. J’ai eu la chance d’aller l’apprécier au cinéma de Santa Marta, dans les Caraïbes colombiennes. Ça s’appelle Qué León, c’est réalisé par Frank Perozo et bonne chance pour le retrouver dans votre cinémathèque.

L’histoire

Nicole aime José Miguel, José Miguel aime Nicole. Et ça tombe bien, ils ont le même nom de famille: León. Ça en aurait inquiété plus d’un mais pas eux. Bien que partageant le même patronyme, les deux familles ne pourraient pas être plus différentes. Le père de José Miguel est garagiste, celui de Nicole riche entrepreneur. Les deux hommes ne peuvent pas se blairer et désapprouvent l’union. Ils vont tout faire pour séparer les jouvenceaux.

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Ce que le gringo en a pensé

Petit préambule: le cinéma de Santa Marta a eu la bonne idée de programmer un court-métrage avant le film. J’ai été incapable de retrouver sa trace sur Internet, mais vous pouvez me croire sur parole, je n’aurais jamais pu inventer un truc pareil. El Regalo raconte la rencontre d’un Colombien roux avec une petite Colombienne classique dans les rues de Bogotá. Il lui parle de ses grands-parents qui ont fui le nazisme, et elle lui répond qu’elle ne sait même pas qui est Hitler. Pour finir, il joue du ukulélé. Le réalisateur/scénariste/acteur principal a visiblement voulu nous parler de son trauma de joueur de ukulélé roux et blanc comme un cul en Colombie. Je ne sais pas si c’était le but, mais j’ai trouvé ça très drôle.

Bon, Qué León n’est clairement pas le chef-d’oeuvre qui va faire connaître mondialement le cinéma dominicain. Mais il faut l’aborder comme un clip de reggaeton: du pur divertissement. Ce film est très clairement destiné au public d’Ozuna. Il ressemble à ses chansons, avec un peu moins de bombasses en string pour ne pas trop perturber les jeunes filles en fleur. Les motifs culturels que j’ai cité en introduction restent donc valables.

Tout d’abord, comme dans un bon clip de reggaeton, ça picole sec. Ils ne sont jamais bourrés à proprement parler, mais ils ont toujours un verre en main, comme votre tonton alcoolique qui enchaîne les Duvel toute l’après-midi sans jamais flancher. Et vu qu’ils sont pompettes en permanence, ils sont aussi caliente en permanence. Ça reste bon enfant, mais tout le monde flirte joyeusement. L’apprenti garagiste avec la soeur de José Miguel, la tante de Nicole avec le parrain de Nicole, même les domestiques s’échangent des petites oeillades salaces. Comme si tout le monde était stimulé par les phéromones de l’amour interdit et voulait sa part du gâteau. Mais pour séduire, il faut aussi être sexy, ce qui nous amène au deuxième point.

Ozuna
Ozuna© DR

Ils sont évidemment tous bien sapés, même si beaucoup de blagues tournent autour du fait que ce plouc de papa garagiste est tout boudiné dans son nouveau maillot de bain. Pour le bling-bling, on pourra compter sur cette pourrie-gâtée de Nicole qui invite son chauffeur Uber d’amour dans sa villa avec piscine. Elle l’emmène aussi faire un tour en hélico. L’hélico décolle, la bande-son d’Ozuna passe, et ils délirent en faisant des selfies. En fait, le couple ne sert qu’à ça: montrer la dolce vita de deux jolis petits minois gavés de pognon. Ozuna a le charisme et la vitalité d’une huître gratinée, il est tout juste capable de déclamer mollement des niaiseries affligeantes sur son amour pour cette péteuse de Nicole. Nicole joue un peu mieux, à peine assez pour mettre en valeur son mollusque à dreadlocks. Mais peu importe, ils sont là pour nous faire rêver, montrer que la vie de la upper class dominicaine est accessible au commun des garagistes. Gros bémol à cet étalage de pognon, le budget du film n’a pas l’air d’être à la hauteur. C’est clair que c’est plus simple de financer un clip de trois minutes qu’un long-métrage. Beaucoup de scènes sont tournées dans les mêmes décors. On a un enchaînement permanent entre la villa et le garage, et on sent que le tour d’hélicoptère est LE gros atout bling-bling du film, vu qu’il dure des plombes et qu’il revient en flash-back. Ben oui, faut bien rentabiliser la location.

Et qu’est-ce qu’on fait quand on n’a pas beaucoup de pognon? Le placement de produit mon cochon! Et là, je tiens à décerner le Gringo d’Or du plus beau placement de produit. Dans la scène classique « j’ai un gros chagrin d’amour et je regarde dans le vide avec une musique tristounette », un client du garage qui attend devant la caisse de José Miguel finit par passer son smartphone sur l’appareil Visa pour payer. Vous l’avez saisi, la morale? Même si cette feignasse de garagiste est incapable d’encaisser une vente parce qu’il a le coeur brisé, Visa vous permet de le régler sans lui adresser la parole. Merci Visa!

Reggaeton au cinéma:
© DR

Heureusement, José Miguel et Nicole ne sont pas vraiment au centre du film. Les véritables protagonistes sont les deux Papa León. C’est eux qui s’occupent de l’humour. Ces deux fripouilles vont jusqu’à faire retirer l’ex de José Miguel du couvent pour briser le couple. Même si leur niveau humoristique reste inégal, ils me sont assez sympathiques. Surtout León blindé, qui m’a fait rigoler avec ses petites mimiques quand il essaye de parler anglais et français en réunion. Et pile à ce moment, León prolo fait livrer un cochon rôti accompagné de bananes plantains devant les actionnaires ébahis. Ah non, franchement on ne s’ennuie pas avec ces deux gugusses. Mais c’est tout de même assez étrange: dans une comédie romantique classique, les éléments comiques et romantiques sont interdépendants. C’est souvent les pérégrinations du couple qui permettent de créer des gags. Ici, il semblerait qu’ils n’aient pas réussi à mêler les deux. Ou même qu’ils aient consciencieusement refusé de le faire afin de ne pas entacher l’image glamour du couple. C’est dommage, car Ozuna pourrait être assez drôle s’il poussait son facteur Doc Gynéco au maximum.

Je préfère encore un navet national à un chef-d’oeuvre américain que je pourrais voir dans toutes les salles du monde.

Allez, comme on entre dans l’ère Copycomic, j’ai aussi ma petite trouvaille. Du chipotage, mais je voulais le signaler. Le film ressemble un peu à Mon beau père et moi, et une scène m’a l’air un chouïa pompée. Au milieu du film, León blindé amène José Miguel sur le yacht de l’ex de Nicole. Ce pauvre José Miguel y aperçoit trois photos du trader beau gosse faisant différentes activités trop fun avec Nicole. Exactement les mêmes photos que Gaylord contemple quand Jack l’amène chez Kevin, l’ex de Pamela, le trader-charpentier. J’encule un peu les mouches mais tout le monde rêve d’avoir son petit moment de délation, non? Si toutefois pompage il y a, il est raté. Alors que Gaylord est tracassé par ces photos, José Miguel reste dans les vapes et continue à débiter des niaiseries sur son amour pour Nicole. Encore un signe que le réalisateur n’a pas voulu tourner sa grande star en dérision. C’est qu’Ozuna n’est pas un petit monsieur, il est pote avec DJ Snake et Selena Gomez tout de même!

Bref, face à ce film je reste perplexe. C’était nul, mais j’ai quand même bien aimé. Parce que ça m’a évoqué les Caraïbes, sa population sympathique et bien sapée. Je préfère encore un navet national à un chef-d’oeuvre américain que je pourrais voir dans toutes les salles du monde. Il se peut que mon jugement sur le reggaeton et sur ce film soit empreint de l’ironie typique du snob qui se la joue fan de culture populaire. Mais en sortant de la salle dans mes vieux vêtements de gringo puant l’anti-moustique, je me suis dit que tous ces Caribéens au look impeccable devaient s’en contrecarrer de mon ironie. Si le reggaeton ne brille pas spécialement dans les salles obscures, il est et restera la bande-son d’un demi-continent.

Un Faux Livre, d’Un Faux Graphiste, deux tomes parus aux éditions Delcourt.

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