Ramen Shop, gastronomie fine

Ramen Shop, la cuisine comme moyen de réconciliation. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Eric Khoo, le réalisateur de Be With Me, inscrit entre Japon et Singapour une quête d’identité se doublant d’un voyage culinaire. Délicat.

La fiche technique de Ramen Shop, le nouveau film d’Eric Khoo, réalisateur singapourien découvert il y a une bonne dizaine d’années avec Be With Me, et dont l’on put ensuite apprécier Magic en compétition à Cannes, précise, à la rubrique genre, « drame culinaire ». On ne saurait mieux dire, le cinéaste y conjuguant, entre Japon et Singapour, art de la table, quête personnelle et perspective historique, sur les pas de Masato, jeune chef spécialisé dans les ramen né d’un père japonais et d’une mère singapourienne, et parti à la recherche de ses racines familiales. « Ce projet a vu le jour il y a quelques années, lorsqu’un ami producteur m’a demandé si nous pourrions envisager de tourner un film pour célébrer les 50 ans des relations diplomatiques entre le Japon et le Singapour, explique le réalisateur, rencontré lors de la Berlinale, où son film était présenté dans la section Culinary Cinema. Rapidement, il m’est apparu que la manière la plus évidente d’aborder ce sujet était la nourriture: je suis amateur de cuisine japonaise, et les Singapouriens sont très fiers de la leur… » La rencontre se fera autour de deux plats emblématiques: le bak kut teh singapourien et les ramen japonais…

La cuisine, c’est une seconde passion pour Khoo, cinéaste et gastronome patenté: « Plus je gagne en âge, plus je suis attentif à la nourriture, sourit-il. Mais avec le temps, beaucoup d’endroits où j’avais l’habitude d’aller manger à Singapour disparaissent. Les échoppes de rue sont menacées parce que les enfants ne reprennent pas le commerce de leurs parents, c’est un business très difficile, et avec elles, c’est une part de notre identité culturelle qui s’en va… » Au profit d’une autre cependant, mixte et reflet du métissage de la société locale. C’est du reste également de cela qu’il est question dans Ramen Shop, même si la quête d’identité de Masato y rouvre une page sombre de l’histoire de Singapour, l’occupation japonaise de l’île du sud-est asiatique, qui courut de 1942 à 1945. « Cela reste un sujet sensible pour l’ancienne génération. Le musée commémoratif ouvert l’an dernier avait d’abord été baptisé Syonan, du nom donné par les autorités japonaises à Singapour, et cela a suscité un tollé (il a entre-temps été rebaptisé War Museum, NDLR). Ce fut une période terrible: 50.000 Singapouriens ont été exécutés, et la question reste sensible pour les plus de 65 ans. Mais aujourd’hui, c’est l’ouverture: l’an dernier, quelque 400.000 Singapouriens se sont rendus au Japon. J’ai voulu présenter la cuisine comme un moyen de réconciliation. Je tenais à ce que les notions d’acceptation, de pardon et de réconciliation se trouvent au coeur du film. »

Saveur persistante

Il émane d’ailleurs de Ramen Shop, comme de l’ensemble des films d’Eric Khoo, un souverain sentiment de douceur, à même de balayer toute notion de ressentiment: « J’aime profondément mes personnages, souligne-t-il. Prenez celui de la grand-mère (fermement opposée au mariage mixte de sa fille, avec les conséquences dramatiques qu’explore le film): « Trouver la bonne comédienne était essentiel. Elle a été infirmière toute sa vie et n’a commencé à jouer que voici cinq ans environ, après avoir réalisé que c’était cela qu’elle voulait faire. Elle n’avait tourné que des courts métrages, dont celui de l’un de mes amis, et j’ai voulu la rencontrer. Je lui ai demandé comment elle sentait le scénario, en la bombardant de questions, et chacune de ses réponses correspondait exactement à ce que je souhaitais. Ainsi, quand je lui ai demandé comment elle réagirait si son petit-fils débarquait de la sorte, et qu’elle m’a répondu qu’elle devrait se sentir heureuse de pouvoir l’accueillir, mais que sa fierté l’en empêchait… » Ramen Shop adopte ainsi une ligne toute en nuances, convoquant aussi bien la déesse de la Miséricorde qu’un Rocket Ship, les mets amoureusement cuisinés, en plus d’aromatiser l’histoire, charriant leur lot de souvenirs et, partant, de mélancolie: « Je prépare toujours les nouilles comme le faisait ma mère, observe encore Eric Khoo. Je ne les réussis pas chaque fois, je m’en approche mais il manque quelque chose, et comme elle n’est plus là, je ne peux pas lui demander comment faire. Mais c’est magnifique… » Soit la recette d’un film modeste en apparence, mais à la saveur délicatement persistante.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content