Rafiki: « Nous espérions oeuvrer dans le sens de l’intégration, la commission en a décidé autrement »

Rafiki ou l'histoire d'amour frémissante et contrariée de deux jeunes filles confrontées aux tabous de la société kényane. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Wanuri Kahiu filme avec une énergie lumineuse la romance de deux jeunes filles de Nairobi se heurtant à un environnement homophobe. Rencontre avec la réalisatrice.

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Présenté en section Un Certain Regard lors du dernier festival de Cannes , Rafiki, de Wanuri Kahiu, y a fait l’événement à double titre: en sa qualité de premier film kenyan jamais sélectionné sur la Croisette, mais aussi pour avoir été interdit dans son pays d’origine. Pour ses débuts, la cinéaste formée à l’UCLA s’attaque à un tabou en effet, relatant la romance contrariée de deux jeunes filles de Nairobi (le titre du film, « amie » en swahili, est le mot employé quand on est engagé dans une relation dont on ne veut pas définir précisément la nature) se heurtant à un environnement homophobe. Suffisant pour susciter l’ire de la commission locale de classification des films qui en a décidé l’interdiction pure et simple, dès lors que la réalisatrice refusait de ponctuer son propos sur une note de repentance -à l’exact opposé du sentiment d’ensemble émanant d’une oeuvre lumineuse: « Nous avions la conviction que les spectateurs kenyans adultes avaient suffisamment de discernement et de maturité pour un tel film. Le public a accès à toutes sortes de contenus, au cinéma mais aussi via Netflix, et est tout à fait à même d’apprécier ce type de sujet. Nous espérions susciter des débats, et oeuvrer dans le sens de l’intégration, à l’opposé de toute idée de séparation ou d’ostracisme. La commission en a malheureusement décidé autrement… »

Coup de foudre

À défaut donc de sortie sur les écrans kenyans, Rafiki a trouvé à Cannes une caisse de résonance appréciable – « un motif de fierté pour ceux à qui le film était destiné, même s’ils ne peuvent pas le voir », se console la cinéaste. À l’origine de l’histoire, on trouve la nouvelle Jambula Tree, de l’écrivain ougandaise Monica Arac de Nyeko. « Le projet remonte à 2010-2011, lorsque mon producteur, Steven Markovitz, a souhaité adapter des oeuvres de littérature africaine contemporaine. De mon côté, je voulais m’atteler à une histoire d’amour. Jambula Tree rencontrait ce double désir: de toutes les histoires d’amour que j’ai lues, c’est celle qui avait le plus de résonance pour moi, du fait de sa délicatesse, de son innocence et de la lumière qui s’en dégageait. J’appréciais également qu’il s’agisse d’un récit d’apprentissage: ces filles ont 18 ans et tombent amoureuses comme si elles allaient se noyer. Avec aussi la notion que parfois, quand on choisit l’amour, on doit s’opposer à sa communauté… »

Rafiki:

Le récit, Wanuri Kahiu et sa co-scénariste, Jenna Cato-Bass, ont décidé de le transposer à Nairobi, dans le quartier de Slopes, ville dans la ville pour ainsi dire, mais aussi personnage à part entière du film: « C’est aussi une histoire d’amour sur Nairobi, qui fait partie de l’ADN des filles et de leur romance. » Soit donc Kena et Ziki, deux lycéennes issues de milieux différents et dont, circonstance aggravante, les pères respectifs sont des candidats rivaux aux prochaines élections. Mais qui, sur un simple échange de regards, vont voir leur horizon intime basculer -ce qu’on appelle communément un coup de foudre. Une histoire classique, à laquelle ses interprètes -remarquées l’une dans une soirée, l’autre lors d’une audition- apportent énergie et charisme, la musique, omniprésente (la cinéaste cite Orfeu Negro de Marcel Camus parmi ses inspirations), et une esthétique résolument pop donnant à l’ensemble un tour que l’on qualifierait d’allègre, s’il n’y avait donc ce contexte miné, dans un pays où l’homosexualité reste toujours criminalisée.

Pour autant, Wanuri Kahiu récuse toute aspiration politique: « Je ne suis ni une activiste, ni une cinéaste politique, je suis juste une cinéaste. Je suis d’ailleurs certaine qu’après Rafiki , je tournerai un film tout à fait différent, sans aucun rapport avec la politique. Si ce n’est que lorsqu’on crée des personnages qui sont vrais, et basés sur la réalité, il s’agit forcément de figures politiques: nous sommes tous politiques, étant nés dans une classe sociale, une ethnie, une confession déterminées. S’il reste avant tout un moyen d’expression artistique à mes yeux, le cinéma est aussi un outil très puissant, qui peut générer des débats. Je suis extrêmement reconnaissante pour l’attention dont a joui Rafiki , parce que le film rappelle que, qui que nous soyons au Kenya, nous sommes tous égaux, et disposons du droit à la liberté d’expression. » N’en déplaise à la commission de classification des films…

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