Quentin Tarantino: « j’étudie le cinéma, et je serai diplômé le jour où je mourrai! »

Quentin Tarantino © AFP
FocusVif.be Rédaction en ligne

Plus de vingt ans après sa révélation avec Reservoir Dogs, Quentin Tarantino a reçu vendredi dernier le prix Lumière 2013 à Lyon. L’occasion de revenir avec lui sur sa carrière. ses influences, ses modèles…

Si jeune, finalement, et déjà consacré. A 50 ans, Quentin Tarantino a reçu, à Lyon, le 18 octobre, le prix Lumière 2013, après, notamment, Clint Eastwood, Milos Forman et Ken Loach. Une récompense, sorte de « Nobel du cinéma », selon ses initiateurs, qui honore une carrière à la fois exigeante et populaire.

L’auteur de Pulp Fiction et de Django Unchained était présent dans la capitale des Gaules pendant la durée du festival Lumière (14-20 octobre) et y a consacré (presque) tout son temps à… voir des films. Ce cinéphile obsessionnel et intransigeant, enthousiaste et prosélyte, plus intuitif que théoricien, cultive une réflexion très personnelle sur le 7e art.

Vous avez déclaré aimer le cinéma depuis toujours, depuis même votre tendre enfance. Le 7e art a-t-il fait de vous l’homme que vous êtes aujourd’hui ?

Le cinéma a toujours été ma passion, une passion qui m’a nourri, plus que toute autre chose. Il m’a aussi éduqué. Je voulais apprendre. Enrichir mes idées sur le monde. Savoir ce qu’il se passe ailleurs. Car j’ai toujours pris le cinéma très au sérieux. Enfant, c’était à la fois mon plaisir favori et mon unique sujet de conversation. Je préférais voir Le shérif est en prison, de Mel Brooks, que d’aller à Disneyland. Je jouais avec mes GI Joe comme s’ils étaient les héros d’un film. Et, si je devais aller voir Les diamants sont éternels, je passais ma soirée, la veille, à imaginer le film.

Quand j’ai eu 16 ans, une salle d’art et d’essai s’est ouverte près de chez moi. J’y ai découvert le cinéma européen, les films de Lina Wertmüller ou de François Truffaut. Je suis sûr que je ne comprenais pas la complexité d’une oeuvre comme Film d’amour et d’anarchie, de Wertmüller, mais j’en ressentais la puissance.

Votre amour des genres, comme les films d’art martiaux ou le western spaghetti, était-il un moyen d’échapper à la norme et de la combattre ?

Ces genres m’ont toujours attiré. Ils m’excitaient terriblement et m’amusaient. Ils incarnaient surtout leur époque. J’ai vu autant de films de kung-fu en salle que possible, au point d’en être presque gavé, car, si certains étaient bons, beaucoup étaient mauvais! Mais, quand j’ai commencé à écrire ce type d’histoires, j’ai tenté d’imaginer que tout le cinéma était limité à ce genre-là, qu’aucune autre sorte de films n’existait.

Justement, quand vous avez commencé à écrire puis à réaliser des films, était-ce pour retrouver une part d’enfance à travers le cinéma que vous aimiez ?

Il s’est passé quelque chose d’étrange: enfant, j’ai grandi dans une époque, les années 1970, qui fut merveilleuse pour les films. Et puis je suis arrivé à l’âge adulte, dans les années 1980, l’une des pires décennies de toute l’histoire du cinéma! On oublie aujourd’hui à quel point les films d’alors étaient mauvais.

Dans les annu0026#xE9;es 80, les films que j’avais en tu0026#xEA;te n’existaient pas

L’ironie, c’est que je ne suis sans doute jamais tant allé au cinéma; c’était la seule chose que je pouvais me payer. Je commençais à avoir des idées sur ce que je voulais raconter, sans jamais voir à l’écran ce que j’avais envie de faire: les films que j’avais en tête n’existaient pas et je ne pouvais m’accrocher à rien.

Bien sûr, j’aimais Sergio Leone et Jean-Pierre Melville, mais je ne souhaitais pas les imiter. Parfois, un film surgissait, et je me disais: ah, ça, oui! Le remake d’A bout de souffle de Jim McBride, par exemple, est le film le plus proche de ce que j’avais en tête: il jouait avec la forme, les techniques, la musique, la bande dessinée, Richard Gere y interprétait un salopard… J’aimais ça.

Hollywood transforme en mythes l’histoire américaine, quitte à la déformer. Vous aimez reprendre ces mythes et les adapter à votre façon. Est-ce une manière de les déconstruire ?

Plutôt ma façon d’en donner une petite version personnelle et bizarre. Imaginez un enfant de 13 ans, qui adore la série Star Trek et qui décide d’écrire son propre épisode: il va mettre tout ce qu’il a toujours eu envie de voir dans la série, parce qu’il n’est pas aussi contraint que les scénaristes professionnels. C’est ainsi que j’aborde les genres que j’explore, c’est ainsi que Reservoir Dogs est né.

Mon inspiration vient toujours de cette envie-là. Django Unchained est un peu différent, car je suis parti sur trois axes bien précis: dénoncer le passé esclavagiste de l’Amérique, replacer le public du XXIe siècle au coeur de cette Amérique, et donner aux Noirs leur cow-boy. Un esclave qui devient cow-boy, un héros chevaleresque. Il tue les méchants et disparaît à l’horizon pour vivre d’autres aventures. J’aimais beaucoup cet aspect, car, après avoir plongé le spectateur au coeur de l’horreur, je voulais qu’à la fin il puisse applaudir non pas le spectacle de la violence, mais le héros.

On assiste aujourd’hui, dans les films venus des studios, à une infantilisation du cinéma. Quelle est votre position face à ce nouveau Hollywood ?

Je ne me sens pas vraiment comme faisant partie du système. Certes, je travaille avec les gens de Hollywood, je fais face aux mêmes pressions que les autres cinéastes, mais j’ai la chance de pouvoir réaliser ce que je veux. Et puis, si je n’aime pas certains films actuels, ils sont 15 000 fois meilleurs que tout ce qu’ont pu produire les années 1980! A mon âge, il est normal d’en avoir marre des super-héros, mais, croyez-moi, j’aurais adoré m’en gaver quand j’avais 20 ans! Et peut-être que dans quarante ans ces films-là nous paraîtront subversifs, quand nous vivrons dans une société au bord du chaos, où le besoin d’un super-héros messianique se fera sentir.

Vous avez lancé des acteurs peu connus, comme Christoph Waltz, et tourné avec des superstars, comme Brad Pitt. Que représente le star-système, pour vous? Est-il nécessaire ?

Rien n’est plus important pour moi que de trouver l’acteur adéquat pour mes personnages. Quand l’acteur idéal se trouve être une star comme Leonardo DiCaprio, c’est absolument parfait. Mais vous n’avez pas forcément besoin de star, si le rôle est suffisamment fort, car sa présence peut déséquilibrer un film.

L’industrie du cinu0026#xE9;ma a besoin de stars

Cela étant dit, l’industrie du cinéma, elle, a besoin de stars. C’est pour elles que les gens vont dans les salles. Le cinéma international des années 1980 et 1990 s’est écroulé à cause de leur disparition. En France, dans les années 1960 et 1970, vous aviez des acteurs magnifiques, aussi beaux que ceux de Hollywood, qui travaillaient autant pour les films commerciaux que pour les films d’auteur : Deneuve, Belmondo, Delon… Ou Claudia Cardinale en Italie…

Mais le cinéma a muté. Du coup, des tas de films de genre, qui existaient grâce aux stars, ont disparu. Or, pour qu’une industrie cinématographique soit vivante, tous les cinémas doivent être représentés! C’est pour cela que les trois seules industries qui ont alors prospéré ont été Hongkong, l’Inde et Hollywood: elles avaient encore des stars. Quand j’ai présenté Reservoir Dogs en Grande-Bretagne, le public n’avait pas vu de polar depuis une éternité et devait se contenter de films à la Laura Ashley!

Vous défendez des cinéastes contemporains méconnus et faites redécouvrir des films du passé. Vous considérez-vous comme une sorte d’archéologue du cinéma ?

Non, plutôt comme une sorte de chercheur universitaire. Quand je ne travaille pas sur un film, je suis constamment en train d’étudier un pan du cinéma. J’étudie pour ma maîtrise, et je serai diplômé le jour où je mourrai! Je m’intéresse à tout. La carrière de réalisateurs comme Jack Lee Thompson, Don Siegel ou Sergio Corbucci. Celle d’acteurs: Bette Davis ou Ralph Meeker. Les films de pays précis : les Philippines, l’Australie. Ceux d’une année spécifique: 1970. Je regarde tout ce que je peux, je prends des tas de notes, jusqu’à épuiser le sujet. Pour ma propre édification.

Le cinu0026#xE9;ma, c’est mon u0026#xE9;cole

J’écrirai peut-être un livre un jour, mais je ne suis pas pressé d’en arriver là. Je mets sous le microscope tout ce que font les autres cinéastes, ce qui est le meilleur moyen pour se mettre soi-même sous le microscope. Cette vie de chercheur est vraiment l’un des grands bonheurs de mon existence. Grâce au cinéma, mes connaissances se sont multipliées, je suis beaucoup plus ouvert d’esprit, mes goûts ont évolué. C’est mon école. Et, souvent, ces travaux me mènent, d’une manière ou d’une autre, à mon film suivant.

Vos films sont très écrits. Les mots sont-ils aussi importants que l’image ?

J’aime écrire, car je suis seul. J’écris mes scénarios comme s’il s’agissait de romans, comme s’ils n’avaient pas besoin de devenir des films pour exister. La littérature est importante pour moi, mais pas autant que le cinéma, sinon j’aurais davantage lu les grands romans! Je crois cependant que l’aspect littéraire de mes histoires est mon atout majeur: c’est le tronc autour duquel le film se construit. Mes dialogues sont la fondation sur laquelle toute la maison est bâtie. Ils sont aussi ce qui fait ma particularité. Mais les dialogues seuls ne suffisent pas, sinon j’écrirais des livres ou du théâtre. Les films doivent également fonctionner sur un plan visuel, narratif, et sonore. C’est ce qui fait du cinéma un art différent de tous les autres.

Chassez le naturel…

A la fin d’Inglourious Basterds, vous transformez littéralement l’Histoire. Est-ce une métaphore de ce que représente le cinéma pour vous : une réalité alternative ?

Oui. Mais, chez moi, c’est à la fois conscient et inconscient. Je sais bien qu’il y a, dans tous mes films, un contenu analytique, un message sous-jacent, un discours critique sur le cinéma. Pourtant, je ne travaille pas sur un projet en me disant : je veux dire ceci ou cela. J’essaie même d’éviter de trop penser au discours quand j’invente mes histoires. Lorsque, pour Inglourious Basterds, j’écrivais la scène où Zoller, le soldat nazi, et Shosanna discutent devant la salle de cinéma, je me souviens d’avoir posé mon stylo et d’être parti d’un grand éclat de rire, car, moi qui avais décidé d’écrire un film de guerre, voilà que je me mettais à faire une leçon sur le cinéma! Chassez le naturel…

La violence de vos films suscite chaque fois la controverse. Mais vous lui consacrez un regard très stylisé: cela vous permet-il alors de dire quelque chose sur elle ?

Prenons Django Unchained. Il y a deux sortes de violence dans ce film. Celle à laquelle les esclaves sont soumis, et qui n’a rien d’excitant; elle est juste atroce, et je voulais qu’elle fût atroce. Et puis celle, plus fantaisiste, pourrait-on dire, lorsque Django se venge, la violence devenant alors à la fois cathartique et excitante. Voilà une séquence que vous n’avez jamais vue auparavant, mais que vous avez toujours eu très envie de voir.

Le temps que vous prenez entre deux films pour nourrir votre cinéphilie est-il finalement autant un plaisir qu’une nécessité artistique ?

Je n’ai pas du tout l’impression de prendre mon temps, entre deux films! Inglourious Basterds et Django Unchained se sont succédé relativement vite. Mais il faut que vous compreniez: j’écris mes films, de A à Z, donc, chaque fois, je pars de zéro. Je suis responsable à 100 % du film, et rien dans ma vie ne se fait hors de lui. Mais ça va, j’aime ça! Ensuite, je fais le tour de la planète pour la promotion. Quand c’est terminé, j’ai besoin de récupérer en regardant d’autres films. Dans un sens, je retourne dans mon église. J’en ai physiquement et intellectuellement besoin. Enfin, je me retrouve devant une feuille blanche, et tout recommence.

Tous vos films sont-ils une déclaration d’amour au cinéma ?

Je le crois, oui. Absolument, chacun à sa manière.

Denis Rossano (L’Express)

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