Laurent Raphaël

Piétonnier bruxellois, 007 Noir: leurre de vérité

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Le piétonnier bruxellois aura permis de valider à grande échelle une théorie urbanistique: entre la gentrification et la cour des miracles, point de salut. » L’édito de Laurent Raphaël.

Vacances, j’oublie tout… Enfin, pas exactement. A l’heure de la « connectite » aiguë, même en prenant ses quartiers d’été en Papouasie, on finira bien par accrocher un Wifi plus ou moins asthmatique au détour d’un village ou dans le lobby aseptisé d’un resort. Et achever du même coup de se ruiner la santé mentale en s’intoxicant avec les nouvelles fâcheuses du pays ou du monde. Passons rapidement sur le piétonnier de Bruxelles pour ne pas donner l’impression de tirer sur l’ambulance. Ou répéter tout le mal qu’on pense, non du projet en tant que tel, mais de son atterrissage en mode catastrophe. Un sociologue débutant aurait pu déceler le potentiel explosif d’un no car’s land coincé entre deux zones, Anneessens d’un côté, De Brouckère de l’autre, aussi riantes et conviviales qu’un portier de nuit. Par quel abus de naïveté a-t-on pu penser que l’axe chic Sainte-Catherine-Sablon allait l’emporter sur la dorsale nord-sud, ou, pour le dire autrement, que la misère et la beaufitude déjà bien installés dans le coin n’allaient pas se répandre comme du mazout sur la chaussée libérée?

Au moins, cette expérience aura permis de valider à grande échelle une théorie urbanistique: entre la gentrification et la cour des miracles, point de salut. De Berlin à Paris en passant par Copenhague, les villes occidentales se déclinent désormais en deux teintes: soit un quartier est branché, cool et en voie d’être colonisé par les plus riches qui apprécient ce voisinage arty, soit il stagne ou s’embourbe dans le crado, le lépreux et le malfamé. Exit, sinon dans les discours bienpensants, l’utopie d’une vraie mixité sociale, verticale et horizontale. Chaque quartier tend à devenir un îlot démographiquement homogène, entouré non d’une frontière physique mais mentale et/ou économique.

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Pour espérer avoir une petite chance de voir pousser sur le bitume bruxellois du respect et de la générosité plutôt que des déchets et des incivilités, il aurait donc fallu changer d’abord le terreau sociologique, en attirant par exemple les artistes, vecteur naturel de renouveau et de pacification sociale, au lieu de laisser proliférer des marchands de kebabs et des commerces un peu chelous.

En parlant de leurre, une autre information nous a donné envie de mordre dans le premier palmier venu. La rumeur s’autoalimente depuis des années: le prochain Bond sera Noir. Sous-entendu: le jour où ce bastion wasp tombera, la cause des Noirs aura fait un grand… Bond en avant. Sauf que les symboles ne sont souvent que des paravents émotionnellement chargés qui servent in fine à faire diversion. Un peu comme une couche de peinture sur une poutre rongée par la mérule. Sinon l’Amérique d’Obama n’accumulerait pas autant de casseroles racistes fabriquées, entre autres, à Ferguson. Gagner une bataille sur le terrain de l’image est une chose, remporter la guerre contre le racisme et la méfiance ordinaires en est une autre.

Reste que les symboles servent de jalons. Ils fixent des balises sur ce qui est tolérable ou non. Aussi, quand on a appris que David Oyelowo -et non Idris Elba comme le prétendait radio couloir- se glissera dans le costume infroissable de 007, on s’est laissé envahir par cet élan d’amour humaniste un peu cul-cul que diffuse dans son sillage une nouvelle positive. Avant de constater que le récent interprète de Martin Luther King dans Selma ne prêtera en réalité que sa voix à l’agent secret dans l’audiobook du prochain volet de la saga… Sa voix! Bonjour le pétard mouillé! Les optimistes diront que c’est un premier pas. Les autres, dont nous sommes, y verront plutôt une mascarade. Les symboles sont comme des explosifs, il faut les manipuler avec précaution. Dans un monde idéal, on devrait s’en foutre que Bond soit Noir, Jaune ou Vert. Du moment qu’il déjoue les menaces avec élégance et une pointe d’effronterie. Mais dans la société du spectacle qui nous sert de cage, proposer à un acteur de couleur de ne prêter que sa voix revient à gommer son corps, sa peau, à le cantonner dans un second rôle, un rôle de doublure du Blanc.

Zut, le Wifi vient de planter. Les vacances vont enfin pouvoir commencer…

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