Nicolas Winding Refn: « Nous sommes la contre-culture »

Elle Fanning et Nicolas Winding Refn © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec The Neon Demon, Nicolas Winding Refn se réapproprie le cinéma d’horreur, travaillant l’obsession de la beauté dans un conte étrange et clinquant suivant une aspirante mannequin dans sa quête du succès. Fascinant…

Nicolas Winding Refn n’est pas précisément réputé pour sa modestie. Le genre à signer The Neon Demon d’un simple NWR, abréviation valant griffe, au même titre, par exemple, qu’un YSL. La comparaison n’est nullement fortuite: après le thriller dans Drive ou le film de vengeance dans Only God Forgives, le réalisateur danois revisite aujourd’hui le cinéma d’horreur, qu’il investit par le canal du monde de la mode. Travaillant l’obsession de la beauté, vertu cardinale de l’époque, ce nouvel opus suit en effet Jesse, une aspirante mannequin débarquant à Los Angeles pour y être bientôt absorbée par un horizon au clinquant vénéneux. Plus, toutefois, qu’un précis de la vacuité, il y a là un trip éminemment troublant, jeu de miroirs composant l’un des objets les plus fascinants que l’on ait pu apprécier cette année à Cannes.

Libérer la fille de seize ans en soi

Si le film confirme l’attachement de Refn au cinéma de genre, comme d’ailleurs à une approche toujours plus formaliste, il traduit aussi une évolution sensible dans la grammaire d’un auteur dont le cinéma gravitait jusqu’à présent dans des univers essentiellement, sinon exclusivement, masculins. « C’est juste, observe-t-il. Un de mes proches me faisait d’ailleurs remarquer que j’avais atteint avec Drive un degré de masculinité débordant d’érotisme au-delà duquel je ne pourrais jamais aller, tandis que Only God Forgives traitait plutôt d’émasculation. Il se situait à l’exact opposé, comme si l’on était passé de Transformer à Metal Machine Music de Lou Reed. Mais il s’agissait aussi d’y ramper à nouveau vers le ventre de la mère. Donc, pourquoi The Neon Demon? Pour avoir été désormais en mesure de renaître sous les traits d’une jeune fille de seize ans. J’ai toujours voulu faire un film sur la fille de seize ans en moi, sans savoir comment la libérer. Jusqu’au jour où j’ai eu l’idée de tourner un film d’horreur adolescent. »

Cette fille de seize ans, elle prend devant sa caméra les traits d’Elle Fanning, vue notamment dans le Somewhere de Sofia Coppola -une certaine superficialité en commun?-, mais aussi dans le Twixt du père de cette dernière, parmi d’autres. « Elle était mon seul et unique choix, insiste le cinéaste. Cela ne pouvait être qu’Elle Fanning, ou alors une inconnue, mais c’était elle que je voulais, pour la simple et bonne raison qu’elle est mieux qu’une mégastar, elle a un talent hors-norme. Elle a reçu de Dieu ce don qu’on appelle LA chose: Ryan Gosling l’a également, Mads Mikkelsen aussi, et c’est cette capacité unique à réunir en soi mystère, vulnérabilité, puissance, espace et curiosité. C’est un don inexplicable, inné, comme le fait d’être incroyablement beau. » À sa suite, le film s’invite dans ce qui ressemble à une version fantasmée de Los Angeles, tout en teintes glacées et textures de néon. Un choix, explique l’auteur, répondant à deux impératifs: « Une raison pratique, d’abord: c’est le seul endroit où ma femme acceptait de se rendre, il n’y a donc pas vraiment eu débat. Ensuite, un élément intéressant avec Los Angeles, c’est que le reste du monde converge vers elle. L.A. absorbe le tout pour ensuite le renvoyer vers l’extérieur. Hollywood ressemble au Magicien d’Oz, c’est le gardien de la porte ouvrant sur l’ensemble de notre culture. Musique, littérature, poésie, cinéma, sculpture, peinture, que sais-je encore, tout renvoie à L.A. parce que c’est là-bas que coule l’argent… »

Elle Fanning dans The Neon Demon de Nicolas Winding Refn.
Elle Fanning dans The Neon Demon de Nicolas Winding Refn.© DR

Hollywood, Refn confie d’ailleurs combien il le fascine: « Mais si j’aime la mythologie de Hollywood, cela ne signifie pas que j’aie envie d’y travailler », souligne l’auteur, jaloux de son indépendance. Si The Neon Demon balaie des obsessions toutes personnelles, le film apparaît en même temps étrangement familier, et l’on peut y voir une relecture d’un motif dont le cinéma a fait son miel: « Il s’intègre à un sous-genre classique, s’inscrivant dans la lignée de films comme A Star Is Born, Sunset Boulevard ou All About Eve, opine le cinéaste, ces contes de fées où la pureté est confrontée à la grande ville, comme c’était déjà le cas dans Sunrise de Murnau. Il y a là un canevas mélodramatique aussi excitant qu’enivrant. » Comme le Lynch de Mulholland Drive, auquel son film fait parfois penser, Nicolas Winding Refn accommode toutefois la convention narrative à sa manière. Si le réalisateur recourt à force effets miroirs, c’est comme pour mieux orchestrer un jeu de faux-semblants. Logique pour un film n’étant qu’apparences, forcément trompeuses. Jusqu’à la personnalité de sa protagoniste principale qui semble ainsi se dérober: « Est-elle à ce point innocente?, questionne Refn, malicieux. N’est-elle pas un fantôme? Ou une entité représentant le désir de chacun(e) des autres? » En quoi l’on pourrait dès lors la rapprocher du One-Eye qu’incarnait Mads Mikkelsen dans Valhalla Rising.

Au-delà, c’est vers l’abstraction que tend ce conte fantastique. Et cela, même si Refn y va de quelques concessions, plutôt bien senties d’ailleurs, au genre horrifique, qu’il assortit au besoin d’une touche transgressive. Cannibalisme et nécrophilie font ici bon ménage, mais là n’est pourtant pas l’essentiel, le film tendant vers un autre niveau de réalité, sentiment accentué par une mise en scène jouant de l’immobilité, tandis que les dialogues semblent n’exister qu’à travers les silences, la musique synthétique de Cliff Martinez, son complice depuis Drive, faisant le lien. « Le silence m’intéresse, parce que c’est une façon incroyablement efficace de mettre tout le monde mal à l’aise. Nous sommes tellement habitués à être encerclés de sons que leur absence nous rend presque paranoïaques. Et puis, moins l’on en dit, plus l’on y prête attention, il n’y a là qu’un mécanisme narratif normal. Mais plus fondamentalement, j’essaie toujours de trouver la façon la plus simple d’exprimer quelque chose, que ce soit par le dialogue ou par l’image. Je suis un adepte de la formule less is more. Quel que soit le médium, la simplicité reste le point de vue le plus fort. »

Les Sex Pistols du cinéma

Tendant au minimalisme, The Neon Demon traduit aussi un souci esthétique constant. On pense parfois à une installation, catwalk de lumières sur lequel défilent les personnages en suspension, et les détracteurs du cinéaste n’ont pas manqué de n’y voir qu’un bel objet creux, lui faisant un procès en évanescence. Refn, de toute évidence, n’en a cure, qui observe que son propos n’a jamais été de questionner la valeur octroyée à la beauté, fût-elle au coeur même de son film. « Je ne suis pas là pour critiquer ni pour faire de déclaration politique sur ce qui est bon ou mauvais. Peut-être cela fonctionnerait-il pour un public plus âgé, souhaitant se raccrocher à une grille de lecture classique. Mais les adolescents à qui je destine mes films ne veulent pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent penser, et ils sont beaucoup plus avancés que nous ne le sommes… » Du pur NWR, arrogant avec le sourire, et jusque dans le geste, l’ayant vu adopter, en compagnie d’Elle Fanning, des poses de boxeur tout au long du festival, manière sans doute de dire aux apôtres de la bienséance et du bon goût qu’il était prêt à en découdre. « Nous sommes la contre-culture, assène-t-il en guise de conclusion. Nous sommes les modernistes contre les classiques. Nous allons abattre les murs, démolir les traditions, parce que nous sommes les jeunes. Nous sommes Search and Destroy. Nous sommes les Sex Pistols du cinéma. Nous sommes la raison pour laquelle vous avez un sujet dont parler, sans quoi ce festival serait fort ennuyeux pour vous… » Son compère Alejandro Jodorowsky n’aurait pas dit mieux.

Nicolas Winding Refn en 4 films

Pusher (1996)

Le premier long métrage de Nicolas Winding Refn est une sacrée claque, s’emparant avec bonheur des codes du film de gangsters pour accompagner, une semaine durant, Frank, dealer engagé dans une fuite en avant sans issue. Soit un film sous haute énergie, le premier d’une trilogie survoltée imposant d’entrée de jeu le style et la maîtrise du metteur en scène, tout en révélant, parmi d’autres, l’impeccable Mads Mikkelsen sous les traits de Tonny, comparse bien allumé du personnage principal.

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Valhalla Rising (2009)

Au sortir de la trilogie Pusher, Nicolas Winding Refn se lance dans un projet de longue haleine, Valhalla Rising, dont l’atterrissage prendra trois ans (le réalisateur tournant Bronson dans l’intervalle). Soit un film d’aventures historiques retraçant l’odyssée initiatique de One-Eye (Mads Mikkelsen, encore), guerrier mutique embarquant pour un voyage au coeur des ténèbres, épopée violente, brutale et stylisée réinventant le film de Vikings en un trip halluciné. Magistral.

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Drive (2011)

Le film de la reconnaissance définitive pour l’enfant terrible du cinéma danois. Et le rôle consacrant Ryan Gosling star planétaire, l’acteur canadien en imposant, son blouson frappé d’un scorpion sur les épaules, garagiste-cascadeur de jour, pilote pour la mafia de nuit, et bientôt plongé dans les embrouilles jusqu’au cou. Soit un thriller électrique mené de main de maître, Refn y peaufinant un style qu’il a aussi éclatant que laconique, le prix de la mise en scène cannois à la clé. Cultissime.

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Only God Forgives (2013)

On prend les mêmes et on recommence, ou peu s’en faut, et le cinéaste emmène cette fois Ryan Gosling à Bangkok où, entraîneur de boxe doublé d’un dealer, il est aspiré dans une sombre histoire de vengeance. Mise en scène bluffante, esthétique soufflante, personnages énigmatiques, tension et plages de suspension, nappes de Cliff Martinez, il y a là tous les ingrédients du cinéma de Refn, mais le film ressemble à une autoparodie, et s’évapore dans les brumes de son non-scénario…

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