Matt Dillon en tueur en série: « J’ai hésité à accepter ce rôle »

Matt Dillon dans The House That Jack Built de Lars Von Trier. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans The House That Jack Built, Matt Dillon brille devant la caméra de Lars Von Trier sous les traits d’un tueur en série autosatisfait, et aussi habile à manier la digression philosophique que son fusil à lunette. Du Mal comme grand art…

Près de quatre décennies de présence ininterrompue à l’écran: Matt Dillon fait, pour ainsi dire, partie des meubles dans le cinéma américain. Icône générationnelle doublée d’un sex symbol à l’horizon des années 80 et 90, lorsqu’il alignait les films pour Francis Ford Coppola (The Outsiders, Rumble Fish), Gus Van Sant (Drugstore Cowboy, To Die For), Cameron Crowe (Singles), John McNaughton (Wild Things) et autres, le comédien originaire de New Rochelle a su aussi varier ses effets, In & Out, de Frank Oz, ou There’s Something About Mary, des frères Farrelly, venant par exemple témoigner de son talent pour la comédie. Un éclectisme en forme d’assurance longévité, et si son étoile y a brillé d’un éclat un peu moindre, les années 2000 l’ont néanmoins vu se multiplier devant la caméra de Paul Haggis (Crash), des frères Russo (You, Me and Dupree) ou de Night M. Shyamalan (la série télévisée Wayward Pines), liste loin d’être exhaustive. Non sans s’essayer à la mise en scène avec City of Ghosts que devrait suivre, dans quelques mois, El Gran Fellove, documentaire consacré à Francisco Fellove, Dillon étant un amateur éclairé de musique cubaine.

Sans filet de sécurité

Son actualité, c’est toutefois The House That Jack Built, le nouvel opus de Lars Von Trier -pas sa première expérience avec un réalisateur européen, puisqu’on le vit notamment en Henry Chinaski, l’alter ego de Charles Bukowski, dans Factotum, du Norvégien Bent Hamer, et qu’on le retrouvera prochainement à l’affiche de Honey in the Head, de l’Allemand Til Schweiger, et de Proxima, de la Française Alice Winocour. « Il va falloir que je songe à retourner aux États-Unis », sourit-il, alors qu’on le rejoint dans une villa des hauteurs de Cannes, où Zentropa, la maison de production de The House That Jack Built, a établi ses quartiers. Trouvant là un de ses emplois les plus marquants, Matt Dillon y campe Jack, un tueur en série autobaptisé « Mr. Sophistication », et retraçant, dans un mélange de forfanterie et de précision maniaque, son parcours criminel, érigé par ses soins au rang de grand art, divers sophismes à l’appui. « C’est un rôle dur, observe le comédien. Mais j’appréciais les films de Lars, Europa , le premier que j’ai vu, ou encore Breaking the Waves, Antichrist et Melancholia: il n’a pas son pareil pour s’emparer de sujets dangereux que son talent transforme en art. Lors de nos conversations, il m’a dit une chose fort importante à mes yeux: « J’assume la responsabilité de mes films. »Ils traduisent sa vision, et ne pourraient être tournés par d’autres. Les gens ne le comprennent pas toujours, il faut pourtant juger un film dans son contexte. Lars aime explorer des zones où l’on ne saurait se rendre… » Quitte, au besoin, à malmener le spectateur, et ne parlons même pas de la bienséance. La provocation n’est jamais fort éloignée et la vision de ce film est tout sauf anodine, qui génère un mélange de fascination et d’inconfort.

Matt Dillon:
Matt Dillon: « Le film reflète jusqu’à un certain point ce qui se passe sur cette planète. »

S’il s’inscrit dans la veine féconde des films de serial killers exploitée par d’autres, de The Silence of the Lambs à Zodiac, pour ne citer que les meilleurs, The House That Jack Built s’en écarte aussi résolument, adoptant le point de vue exclusif du sociopathe. « Il y a beaucoup de films mettant en scène des tueurs en série, mais la plupart impliquent un enquêteur, comme Jodie Foster par exemple, de sorte qu’une morale vient en contrebalancer la teneur. Un film comme celui-ci est beaucoup plus risqué, parce que dénué de filet de sécurité. Les gens confrontés à ce funeste destin dans la réalité n’ont pas d’issue morale à leur disposition. Je comprends que l’on puisse être dérangé par le propos, j’ai d’ailleurs hésité à accepter le rôle: je savais en avoir la capacité, mais est-ce que j’allais pouvoir m’accepter en train de jouer ce personnage? La découverte du résultat a représenté un soulagement: c’est Jack, ce n’est pas moi… » Afin de préparer le rôle et de se fondre au mieux dans ses habits de serial killer -en quoi il est plus que convaincant-, Matt Dillon a d’abord pensé éplucher la prose traitant de la question. Et de confier sa stupéfaction devant la somme de littérature disponible: « J’ai surfé sur Internet, et je n’en ai pas cru mes yeux, tant les livres traitant du sujet sont nombreux. Il y en avait un intitulé Cinquante tueurs en série dont vous n’avez jamais entendu parler , décliné en quatre volumes, on en arrivait donc à 200. Je n’ai en fin de compte lu aucun de ces ouvrages, privilégiant une approche plus clinique, me permettant de m’insinuer en lui. J’ai par contre lu un bouquin très intéressant, The Sociopath Next Door , de Martha Stout, une médecin ayant travaillé dans ce domaine. Il en ressort qu’une personne sur 25 a la faculté d’agir sans éprouver le moindre remords… »

Une vérité qui dérange

« Qualité » observée chez Jack, tueur dont rien, ou presque, ne saurait entamer l’équanimité. Et cela, qu’il coupe, enfant, les pattes d’un caneton avant de l’observer barboter pathétiquement, ou qu’il s’applique à créer une installation lui permettant de tuer plusieurs victimes d’une seule balle -le sommet de son oeuvre, à l’en croire. Pour autant, The House That Jack Built ne consiste pas en la seule accumulation, vaguement nauséeuse, des sinistres exploits de son protagoniste. Si Von Trier y explore diverses de ses obsessions, il expose aussi une réalité dont la facilité commanderait de détourner les yeux. « Il y a une face sombre à l’humanité, et le film reflète jusqu’à un certain point ce qui se passe sur cette planète. C’est une réalité bien présente, même si nous préférons ne pas la voir. Lars voulait l’explorer à sa façon. On peut se demander ce qui pousse quelqu’un à faire un film à ce propos, mais la violence n’y est pas gratuite, elle est graphique et réelle, ce qui peut s’avérer brutal et dérangeant. Souvent, dans les films hollywoodiens et dans le cinéma commercial, mais aussi à la télévision, on voit des corps exploser, il y a une célébration du sang et du gore qui ne nous touche plus, nous y sommes insensibles. Lars veut montrer autre chose. Et si vous êtes perturbés, c’est parce qu’il y a lieu de l’être. Je veux travailler avec des réalisateurs ayant leur propre voix et refusant les compromis. Des gens comme Francis Ford Coppola, Gus Van Sant ou Lars Von Trier savent ce qu’ils veulent, et font de chaque film une expérience. » C’est peu de le dire…

Matt Dillon en quatre films

  • Rumble Fish, de Francis Ford Coppola (1983)

Matt Dillon en tueur en série:

Retrouvant le réalisateur quelques mois après The Outsiders, Matt Dillon crève l’écran dans le film culte de Francis Ford Coppola, adaptation du roman de S.E. Hinton où il incarne Rusty James, jeune délinquant de Tulsa, Oklahoma, ayant grandi à l’ombre de son frère, le mythique Motorcycle Boy (Mickey Rourke). Lequel réapparaît après une longue absence, plus fantasmatique que jamais. Dans un noir et blanc de circonstance, Dillon impose un charme vaguement canaille, digne héritier d’un James Dean…

  • Drugstore Cowboy, de Gus Van Sant (1989)

Matt Dillon en tueur en série:
© DR

Adaptée du roman éponyme de James Fogle, l’histoire de Bobby, junkie écumant les pharmacies de Portland et environs avec sa petite bande, histoire de se fournir à la source. Porté par un Matt Dillon au charisme fébrile, le film qui impose Gus Van Sant sur la planète indé, le cinéaste y affirmant son attachement pour les « outsiders » en même temps que son style, définitivement cool. L’acteur et le réalisateur se retrouveront une demi-douzaine d’années plus tard pour To Die For, autre réussite incontestable.

  • There’s Something About Mary, de Bobby et Peter Farrelly (1998)

Matt Dillon en tueur en série:

Treize ans après l’avoir perdue de vue, Ted (Ben Stiller), un loser de première, décide d’engager un détective (Matt Dillon) afin de retrouver son amour de jeunesse, Mary (Cameron Diaz), partie vivre en Floride. Problème: le limier ne tarde pas à céder à son tour au charme -ravageur- de la jeune femme… Au sommet de leur humour déjanté, les frères Farrelly signent une comédie-culte où Dillon, fine moustache et garde-robe ringarde, campe avec aplomb un privé d’anthologie, peu scrupuleux et résolument foireux…

  • Crash, de Paul Haggis (2004)

Matt Dillon en tueur en série:

Scénariste pour Clint Eastwood (Million Dollar Baby), Paul Haggis signait, en 2004, un maître polar polyphonique, entrecroisant, dans les rues de Los Angeles, les destins de huit personnages pour livrer le portrait aiguisé d’une Amérique rongée par le racisme et la violence. Aux côtés de Sandra Bullock, Don Cheadle et autre Ryan Phillippe, Matt Dillon joue une partition sans fausse note, impeccable comme de coutume sous les traits d’un flic borné, « fumier raciste » bientôt rattrapé par les événements…

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