M, la preuve par deux

Double casquette pour Sara Forestier et révélation de Redouanne Harjane dans le M de la première. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Sara Forestier filme l’amour fou de deux êtres marginalisés, dans un M qu’elle commente avec passion.

Sara Forestier n’aime pas plus le train que l’ascenseur ou l’avion. C’est donc en voiture qu’elle est venue de Paris pour l’avant-première de son premier long métrage, M. Elle en sort en t-shirt, malgré le froid du début de soirée bruxellois. Directe et naturelle, sans fard au propre comme au figuré, l’actrice et désormais réalisatrice garde une dégaine adolescente et le regard curieux de tout. Spontanée en diable, elle doit être terrible quand on la hérisse. Mais quel bonheur lorsque, confiante, elle vous parle avec les mots du coeur…

« L’amour est un espace où on peut se révéler, à l’autre mais aussi à soi-même… à travers l’autre. C’est une des seules choses dans la vie qui permet de se transformer. Vivre une histoire d’amour peut être aussi révélateur qu’une psychanalyse, parce que l’inconscient y domine. On peut s’épanouir dans le travail mais il y aura toujours une part de conscience. En amour, c’est l’inconscient qui parle. Les vraies raisons d’être attiré par quelqu’un, on ne les connaît qu’après… Si tout le monde rêve du grand amour, c’est, je crois, parce qu’animalement, nous pressentons qu’il va nous transformer. » Sara Forestier est encore habitée par ce que fait partager son film, chronique à rebondissements d’une passion amoureuse liant une jeune femme cultivée mais affligée de bégaiement et un jeune casse-cou qui ne sait ni lire ni écrire. « Ces personnages, explique-t-elle, je les appellerais des « héros de l’intime », des personnages nobles, qui ont des faiblesses comme tout être humain mais qui ont en eux quelque chose de sacrificiel: ils préfèrent se faire du mal à eux-mêmes plutôt que d’en faire aux autres. Ils préfèrent aussi ne rien vivre que de vivre les choses faussement. Au début du film, leur vie est sur pause, la mort rôde… Lui va mourir dans une course de trop, et elle va passer à côté de sa vie. Ils sont limite masos… Il y a urgence à se rencontrer, à ce que leur histoire commence! »

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Comme une affaire charnelle

Il fallait du culot pour appeler son premier film M, en sachant que toute recherche vers lui sur Internet mènerait d’abord soit vers un chanteur français connu, soit vers le classique de Fritz Lang M le maudit… « Mon titre a plus d’une résonance, commente la réalisatrice: c’est M comme Mo, joué par Redouanne Harjane, c’est aussi « M le mot dit »… et « aime le maudit ». Mon film parle aussi de la stigmatisation, comme celui de Lang. En fait, il y a un milliard de trucs auxquels j’ai pensé. Des petites conneries d’artiste, quoi! » Sara sourit, ne regrette aucun des mots qui lui viennent en rafale. « Comme l’amour, le geste artistique passe beaucoup par l’inconscient, déclare-t-elle, et il suppose un certain lâcher-prise. Quand on peint, quand on écrit, le contrôle absolu est un leurre, il empêche la part instinctive de s’exprimer. C’est aussi vrai pour les acteurs. »

La réalisatriceForestier s’inscrit dans la ligne de Sara l’actrice: priorité à l’incarnation. « Ne jamais en rester au fantasme, toujours entrer dans la réalité, dans le concret! J’ai tout fait pour ça, au montage aussi, que j’ai fait moi-même. Il fallait que le film soit quelque chose d’organique, en chasser tout le cérébral pour ne garder que du ressenti, pour que le spectateur ne reste pas à distance, pour qu’il vive le film comme une affaire charnelle, comme on vit une histoire d’amour. Pour que les gens vivent ce que les personnages vivent, en même temps qu’eux. »

Sara Forestier prend ses distances par rapport à son métier de départ: « À quoi ça sert d’être un bon acteur? En fait à rien, sauf à pouvoir continuer de faire des films au lieu de vivre sa vie. Moi je sais que je vais arrêter bientôt d’être comédienne. Parce que ça abîme, en fait. J’arrive à un âge -la trentaine- où on commence à savoir qui on est, à prendre le recul suffisant pour pouvoir dire, par exemple, que ce métier est très mauvais pour la santé mentale. Car ce n’est pas la vraie vie. J’ai dû revoir mes derniers films, pour préparer une promo, sélectionner des extraits, et je me suis trouvée nulle! Sauf peut-être dans Suzanne »

Elle fera donc ses films à elle, aussi parce qu’en passant derrière la caméra, « on échappe à cette supposée obligation d’être désirée pour être choisie« . Et de conclure: « J’ai toujours été indépendante, depuis mes débuts, à treize ans, j’ai toujours écrit des histoires, dont celle de M il y a bien des années déjà. Être seulement actrice, c’est être livrée en pâture. Ce n’est pas vivable de dépendre uniquement du désir des autres. »

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