Les trucs et ficelles de Roger Corman, pape du cinéma pop

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Un anecdotique reboot de son inoxydable Death Race 2000 est aujourd’hui prétexte à taper la causette avec Roger Corman, producteur culte de l’underground fauché.

« Salut, c’est Roger. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. » À l’autre bout du fil: Roger Corman, 90 ans, le prince du drive-in, le roi de la série B, le pape du cinéma pop, plus de 50 films en tant que réalisateur à son actif, et plus de 400 (!) en qualité de producteur grippe-sou spécialisé dans le budget plancher. Un personnage culte s’il en est, ayant marqué de son empreinte plus de 60 années de cinéma d’exploitation US déviant et drogué. The Little Shop of Horrors, c’est lui. The Wild Angels, et la tirade libertaire de Peter Fonda reprise en intro du Loaded de Primal Scream, c’est encore lui. Le cycle Edgar Allan Poe avec Vincent Price (House of Usher, The Pit and the Pendulum, The Raven…), influence déterminante du Tim Burton de Sleepy Hollow, c’est toujours lui.

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Au sein de sa société de production Filmgroup, puis de sa fameuse New World Pictures, ce mentor au nez creux contribuera surtout à lancer la carrière d’une pléthore de futurs cadors du 7e art, qu’ils soient acteurs (Charles Bronson, Jack Nicholson, Dennis Hopper, Robert De Niro) ou réalisateurs (Francis Ford Coppola, Peter Bogdanovich, Monte Hellman, Joe Dante, Martin Scorsese, Jonathan Demme, James Cameron). « Un mélange de violence, de nudité et de commentaire social« : telle est la formule gagnante revendiquée par l’intéressé lui-même. Qui ajoute aussitôt, rigolard: « Enfin bon, s’agissant d’un certain nombre de mes films, vous pouvez encore chercher longtemps le commentaire social… » Façon de dire qu’on n’est pas là non plus pour se prendre la tête. Le sous-texte politique est pourtant bien la grande affaire de son cultissime Death Race 2000 en 1975, où David Carradine et un Sylvester Stallone encore débutant se livrent un duel à mort en fous du volant lancés sur les routes d’une Amérique malade au futur exsangue. Un grand petit film de série B convoqué aujourd’hui dans un reboot certes tout sauf essentiel, débarqué directement au rayon Blu-ray, mais prétexte à revisiter la légende en compagnie de maître Corman, toujours à la manoeuvre en tant que producteur.

En 1975, Death Race 2000 était un film visionnaire, anticipant le succès de la télé-réalité, du divertissement voyeuriste et extrême… Aujourd’hui, Death Race 2050 se présente à nouveau comme une critique à peine voilée de la société américaine, des dérives terroristes à l’idiocratie amorcée par l’ère Trump…

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Oui, nous avons délibérément conçu le film en ce sens. Nous nous sommes projetés en 2050, à une époque où les United States sont devenus les United Corporations of America, avec à leur tête un PDG. Et nous avons imaginé comme une blague ce Chairman, joué par Malcolm McDowell, avec une coiffure similaire à celle ô combien iconique de Trump. C’était un simple clin d’oeil, nous n’aurions jamais imaginé qu’il allait réellement devenir Président… Nous nous retrouvons du coup dans cette étrange position qui veut que notre film d’anticipation ne l’est plus tant que ça, tant il est raccord avec le contexte actuel. Notre futur a tout simplement été rattrapé par le présent.

Il y a beaucoup de références aux problèmes sociétaux actuels: la télé-poubelle, la peur du terrorisme…

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Oui, c’est tout à fait délibéré. Je me suis demandé quels sujets brûlants d’aujourd’hui pourraient toujours être d’actualité en 2050. Le plus probant m’a semblé être le terrorisme. Je suis donc parti du personnage de Tammy The Terrorist. Le nom sonnait bien et j’aimais l’idée que ce soit une femme, une Américaine avec une religion bien à elle. De là, j’ai construit d’autres personnages dans l’idée de produire à chaque fois un commentaire social, comme Jed Perfectus, un homme parfaitement élaboré, qui m’a été inspiré par ces recherches effectuées sur l’ADN humain afin de concevoir l’être le plus proche de la perfection qui soit. Ou cette voiture sans chauffeur qui se conduit elle-même. Chacun de ces personnages renvoie à une réalité d’aujourd’hui appelée à s’intensifier dans le futur.

Cela signifie qu’en tant que producteur, vous êtes très impliqué dès l’étape du script?

Oui, le vieil homme que je suis devenu ne manque jamais de se souvenir de son passé de cinéaste. C’est moi qui ai écrit le premier embryon du scénario de Death Race 2050. C’est comme cela que je fonctionne en général en tant que producteur: j’écris une brève note d’intention avec les grandes lignes directrices, pas plus de cinq pages, que je confie alors au scénariste du film. Lorsque celui-ci a écrit une première version de l’histoire, je la revois avec lui et le futur réalisateur. Ainsi nous travaillons en équipe dès le stade de l’écriture. Je n’ai cessé d’insister sur le fait qu’il s’agissait avant tout d’un film de bagnoles, avec toute l’excitation que le concept de course suppose, mais je tenais également à ce que le film soit politique, et humoristique, comme l’était l’épisode originel. J’ai toujours adoré l’idée d’écraser des piétons au fil de la course afin d’engranger des points (les femmes, les ados et les vieillards rapportent plus gros, NDLR). C’est une manière de dire qu’il ne faut pas prendre le film trop au sérieux. C’est un mix d’action, de satire et de comédie.

Pensez-vous que ce mix était déjà la clé du succès du film de 1975, qui est très rapidement devenu culte?

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Oui, je pense que c’est pour cela que le film a fonctionné et qu’il est toujours pertinent, plus de 40 ans après. Il devait à l’origine s’agir d’une simple course de voitures futuriste, et puis j’ai commencé à réfléchir à la question de la violence, à l’attrait que les gens peuvent avoir pour elle, dans un esprit proche des combats de gladiateurs dans le Colisée à l’époque romaine. Du pain et des jeux, comme ils disaient. Et on en est toujours là, à vrai dire: donner du divertissement en pâture aux classes sociales les moins élevées pour les maintenir à leur place. Le divertissement et la violence comme instruments de contrôle: je n’ai fait qu’adapter le concept des jeux du cirque à notre ère.

Au mitan des années 70, Death Race 2000 partageait un certain nombre de thématiques avec un film comme Rollerball, sorti quasiment en même temps. Beaucoup de films récents, comme la franchise The Hunger Games par exemple, apparaissent aujourd’hui comme des héritiers de l’esprit de ces films seventies…

Oui. C’est intéressant parce que plusieurs articles ont relevé que The Hunger Games s’inspirait fortement de Death Race 2000. Et il est vrai que l’esprit en est assez proche. Mais je ne pense pas que la franchise en soit directement dérivée. Ce sont des idées qui sont dans l’air depuis un moment déjà. Ils en ont tiré leur propre mythologie.

Vous produisez des films depuis plus de 60 ans: comment voyez-vous, de l’intérieur, l’évolution de l’industrie du cinéma américain?

Les lignes ont pas mal bougé, c’est un fait. Techniquement, grâce aux caméras digitales notamment, il est beaucoup plus facile, et abordable, de faire un film aujourd’hui qu’à l’époque où j’ai débuté. Du côté de la distribution, par contre, les choses sont beaucoup plus complexes. Anciennement, quasiment tous les films trouvaient le chemin des salles. Désormais, beaucoup de productions modestes sortent directement en DVD ou VOD, sans connaître les honneurs du grand écran. J’ai toujours pensé l’objet film comme une combinaison d’art et de business. C’était vrai hier, ça l’est toujours aujourd’hui, mais l’argent a désormais clairement pris l’ascendant sur l’aspect créatif. Or l’équilibre entre ces deux aspects me semble essentiel.

Oui mais les plateformes de streaming, justement, semblent avoir pris le relais, allant même aujourd’hui jusqu’à incarner, pour les commentateurs les plus optimistes en tout cas, une certaine idée de la démocratisation de la culture?

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Il est triste de constater que les films à petit ou moyen budget ne sortent plus au cinéma mais il est vrai que Netflix, Amazon ou Hulu offrent aujourd’hui la possibilité de diffuser ces films autrement, et d’être vus par un grand nombre. Donc oui, en un sens, l’équilibre n’est pas loin d’être rétabli grâce à ces plateformes.

Beaucoup de brillants réalisateurs ont appris à manier la caméra à vos côtés. Comment expliquez-vous qu’autant d’auteurs talentueux soient sortis de l' »école » Roger Corman?

Je tiens avant tout à dire que tous doivent leur succès à leur propre talent. S’ils ne m’avaient pas rencontré, je suis convaincu qu’ils auraient connu la même réussite. Je n’ai fait que leur offrir une opportunité, en leur apprenant deux ou trois trucs au passage.

Tous ces cinéastes tombent d’accord pour dire qu’ils ont appris avec vous à faire des films efficacement, rapidement, et avec trois bouts de ficelle…

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Oui, je n’avais pas d’autre choix. Parce que je ne disposais pour chaque film que d’un budget très limité. La meilleure manière de tourner vite et pas cher est de soigner l’étape de pré-production. Plus vous résolvez de problèmes en amont du tournage, moins de temps et d’argent celui-ci vous coûtera. Et cela est d’ailleurs vrai aussi bien pour un film de série B fauché que pour un énorme blockbuster. Selon moi, un réalisateur devrait toujours avoir l’entièreté de son film organisé sur papier et dans les moindres détails dès l’entame du tournage, quand bien même il déciderait de s’écarter de son plan initial en cours de route. Martin Scorsese était le plus impressionnant à ce petit jeu. Quand j’ai produit son deuxième long métrage, Boxcar Bertha, en 1972, je me suis rendu compte qu’il avait dessiné la totalité des plans qui composaient le film avant même d’avoir commencé à tourner. Ces types étaient doués, tout simplement, et de sacrés bosseurs. Les conditions de travail souvent difficiles les forçaient en outre à se montrer ingénieux, voire carrément roublards. Prenez Joe Dante. Bien avant de connaître le succès que l’on sait avec ses Gremlins, il a commencé comme monteur de bandes-annonces sous mon aile. Ce type vous aurait donné envie de voir le plus lamentable des navets. Et par n’importe quel moyen, encore bien! Il pouvait par exemple insérer un plan d’explosion d’hélicoptère dans le trailer d’un film qui n’en comportait aucun juste pour le rendre plus attractif. À vrai dire, il n’existe aucune loi stipulant que tout ce qui est montré dans la bande-annonce doit forcément se trouver dans le film (rire).

Il vous est arrivé de produire jusqu’à neuf films sur une même année et, comme réalisateur, vous êtes connu pour avoir tourné l’entièreté de The Little Shop of Horrors (1960) en deux jours et une nuit, ce qui lui a valu le statut particulièrement enviable de long métrage le plus rapidement mis en boîte de l’Histoire…

Oui, c’est vrai. The Little Shop of Horrors a débuté à la manière d’une blague, en fait. Il y avait ce décor de studio déjà existant et on m’a mis au défi d’y imaginer un film entier. Le challenge était de faire peur et de faire rire en même temps. Nous avons donc bricolé ce concept de comédie horrifique. Il faut savoir que les acteurs étaient embauchés via des contrats à la semaine. Donc ça ne coûtait pas plus cher d’engager un comédien pour une semaine que pour deux jours. Du coup, nous avons répété à fond le lundi, le mardi et le mercredi. Et tourné la totalité des plans, bien préparés, le jeudi et le vendredi dans ce décor quasi unique transformé en fleuristerie. C’est aussi simple que cela.

Death Race 2050. De G.J. Echterkamp. Avec Manu Bennett, Malcolm MacDowell, Marci Miller. 1h33. Dist: Universal. **(*)

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