Les liens étroits du téléphone avec le cinéma

Grace Kelly en fâcheuse posture dans Dial M for Murder, d'Alfred Hitchcock. © ISOPIX
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pendant tout l’été, Focus passe le 7e art au crible de certains de ses objets fétiches. Premier d’entre eux: le téléphone, décroché par Hitchcock, Wenders, Assayas, Spielberg et beaucoup d’autres…

Dial M for Murder, Denise Calls Up, Le Téléphone rose, Hanging Up, SMS, Le téléphone sonne toujours deux fois, La Mort en direct, Phone Call from a Stranger…: une filmographie sélective suffit à établir la connexion de longue date existant entre téléphone et 7e art. Un lien à ce point privilégié qu’il a généré un courant propre, les « telefoni bianchi », romances à l’eau de rose se nouant et se dénouant généralement au… téléphone, lesquelles devaient inonder le cinéma italien à la fin des années 30. L’invention de Graham Bell offre des possibilités narratives infinies il est vrai, dont les cinéastes ne se sont fait faute d’user (et abuser), si bien que l’annuaire ne serait pas de trop pour arrêter la liste exhaustive des films y recourant.

Films noirs

Sans surprise, Alfred Hitchcock compte parmi ceux qui ont su le mieux en tirer tout le potentiel. Avec son titre sans équivoque, Dial M for Murder (Le crime était presque parfait, 1954) fait du téléphone le noeud de l’intrigue, le meurtre d’une épouse adultère devant y coïncider avec le coup de fil que lui passera son mari, commanditaire trouvant là un alibi en béton. La perfection n’étant pas de ce monde, un incident viendra cependant gripper la belle mécanique, au vif soulagement des admirateurs de Grace Kelly. Que l’accessoire soit particulièrement prisé par le film noir, le polar et le film d’horreur tombe pratiquement sous le sens: de Klute (1971), d’Alan J. Pakula, à Scream (1996), de Wes Craven, sa sonnerie retentit comme une menace, imprimant un surcroît de tension et jusqu’à l’épouvante au scénario initial. John McTiernan fait, pour sa part, du téléphone le moteur de l’intrigue de Die Hard with a Vengeance (Une journée en enfer, 1995), un terroriste y orchestrant, d’une cabine à l’autre, un chantage mortel baladant Bruce Willis et Samuel L. Jackson aux quatre coins de New York. Chantage également dans Phone Booth (2002) de Joel Schumacher, thriller paranoïaque confinant un attaché de presse arrogant (Colin Farrell) dans une cabine de la 8e avenue sous la menace d’un tueur…

L’appel téléphonique peut aussi avoir d’autres effets: celui de Jeanne Moreau à Maurice Ronet, en ouverture du film, donne la mesure sensuelle d’Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle. Celui que Tom Hanks pense passer à sa maîtresse au début de The Bonfire of the Vanities (1991) de Brian De Palma, alors qu’il s’adresse en fait à sa femme, marque le commencement de ses soucis, etc. Avec De Palma, on pense forcément au split-screen, motif auquel les conversations téléphoniques se prêtent idéalement, et à ce titre moult fois utilisé, du délicieux Lucky Partners (1940), de Lewis Milestone, pour une scène pleine d’esprit entre Ronald Colman et Ginger Rogers, à The Thomas Crown Affair (1968) de Norman Jewison, où l’effet tient lieu de signature. Il sera porté à sa quintessence parodique dans OSS 117: Rio ne répond plus (2009), de Michel Hazanavicius, avec pas moins de douze communications composant un puzzle à l’écran.

Et téléphones roses

Autre créneau exploité par le cinéma, le téléphone rose, et pas seulement dans le film tourné en 1975 par Édouard Molinaro avec Mireille Darc. Jennifer Jason Leigh change les couches de son mouflet tout en donnant du « My panties are getting a little wet » et autres développements explicites à son interlocuteur dans Short Cuts (1993), adapté par Robert Altman de Raymond Carver. Theresa Randle fait commerce vocal de ses charmes dans Girl 6 (1996) de Spike Lee… Nastassja Kinski officie, pour sa part, dans un parloir de peep-show dans Paris, Texas, de Wim Wenders, Palme d’or en 1984. Le combiné téléphonique qui la relie à la voix d’Harry Dean Stanton la (re)connecte aussi à leur passé commun, manière peut-être de se relancer. C’est là assurément l’un des usages les plus inspirés de l’objet, au même titre que celui qu’en fait Sofia Coppola pour sortir provisoirement les soeurs Lisbon de leur isolement dans The Virgin Suicides (1999), au son de circonstance des Hello, It’s Me, de Todd Rundgren, ou autre So Far Away, de Carole King, que leur passent leurs amis. Deux variations parmi d’autres, comme celle faisant d’Adam Sandler, négociant complexé en déboucheurs de WC, un usager compulsif dans Punch-Drunk Love (2002) de Paul Thomas Anderson. Et l’on en passe, les déclinaisons étant innombrables, non sans avoir intégré les évolutions technologiques. Si la disparition des cabines téléphoniques rend désormais impossible la scène de Duel (1971) de Steven Spielberg, où le camion fonce sur Dennis Weaver tentant un appel à l’aide, comme celle des Oiseaux (1963) de Hitchcock, où Tippi Hedren s’y protège des volatiles, Buried (2010), de Rodrigo Cortés, a fait d’un portable le seul lien avec l’extérieur d’un Ryan Reynolds enterré dans un cercueil en Irak, tandis qu’Olivier Assayas jongle avec les textos par Kristen Stewart interposée pour une longue séquence de Personal Shopper (2016). Please hold the line…

OSS 117: Rio ne répond plus, de Michel Hazanavicius: la quintessence parodique du split-screen téléphonique.

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Jeanne Moreau en ligne, pour donner la mesure sensuelle d’Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle.

Les liens étroits du téléphone avec le cinéma

« What’s your favourite scary movie? »: l’horreur s’invite chez Drew Barrymore par téléphone interposé dans Scream, de Wes Craven.

Les liens étroits du téléphone avec le cinéma

Punch-Drunk Love, de Paul Thomas Anderson: Adam Sandler, négociant en déboucheurs pour WC, doublé d’un accro au téléphone.

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Jennifer Jason Leigh, dans Short Cuts, de Robert Altman: téléphone rose et couches-culottes…

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