Le Lac aux oies sauvages, plongée en eaux troubles

Un couple qui n'en est pas un se retrouve flics et truands à ses trousses.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le cinéaste chinois Diao Yinan, auteur de Black Coal, signe un polar d’un noir d’encre, autour d’un chef de gang rejoint par une baigneuse dans une cavale nocturne… Rencontre et critique.

Croisant les destins d’un héros romantique et d’une femme fatale, Le Lac aux oies sauvages, le quatrième long métrage de Diao Yinan, emprunte limpidement aux codes du film noir hollywoodien des années 40 et 50. Le cinéaste n’est cependant pas pour rien l’auteur de l’épatant Black Coal, Ours d’or à Berlin en 2014, et la trame de ce polar nocturne, c’est à la réalité de la Chine contemporaine qu’il l’adosse, et plus particulièrement au jianghu, le monde des marges et de la pègre. « Le film est une combinaison d’éléments de fiction et d’autres ancrés dans la réalité, explique-t-il. Le côté fictif n’est pas le seul fruit de mon imagination, il a été inspiré par des souvenirs de jeunesse, que j’ai amplifiés à des fins dramatiques, et par des éléments glanés dans des bulletins d’information. Comme, par exemple, cette conférence technique réunissant des gangs de voleurs de motos, où ils apprennent à opérer plus professionnellement. Ou encore la façon dont les malfrats chinois ont désormais compris comment détourner le système pour que, lorsqu’ils se font arrêter, la récompense revienne à leur famille. »

Sans même parler de cet environnement périurbain labyrinthique qui offre son cadre au film, zone de non-droit où pullulent trafics divers et bandes rivales contrôlant notamment le business des « baigneuses », ces prostituées énigmatiques arborant un chapeau blanc, dames du lac dont le ballet rythme la vie balnéaire. « Conséquence de l’accélération du développement de la Chine, de nombreuses mégalopoles y sont apparues, et avec elles, le phénomène nouveau de zones suburbaines négligées et sous-développées à la démographie particulière, où prolifèrent le crime et les problèmes sociaux. C’est un environnement très intéressant à explorer, parce qu’on y trouve encore l’expression de codes traditionnels: ces personnages évoluant aux marges de la société se raccrochent aussi à certaines valeurs morales qui ont été délaissées dans les grandes villes au nom de la course à la modernisation. »

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Aux frontières du réel

À l’instar de Black Coal avant lui, Le Lac aux oies sauvages dresse un état des lieux d’un noir d’encre de la société chinoise contemporaine. Ce qui n’a pas empêché le film de faire un carton au box-office local, totalisant quatre millions de spectateurs lors du week-end de sa sortie, il y a tout juste un mois. Mais si ce thriller produit une impression indélébile, c’est plus encore grâce à sa facture esthétique, et à un travail impressionnant sur le cadre, la lumière et les ombres. « Dong Jingsong, le directeur de la photographie, et moi, travaillons ensemble depuis mes débuts, poursuit Diao Yinan. Nous savons parfaitement comment nous fonctionnons l’un et l’autre, et nous partageons le même sens de l’humour. Pour ce film, nous avons consacré énormément de temps au repérage des décors des différentes scènes, explorant la région de Wuhan jusque dans ses moindres recoins afin de nous approprier cet espace et d’en exploiter toutes les possibilités pour produire l’effet souhaité.  »

Le Lac aux oies sauvages, plongée en eaux troubles

Le résultat est saisissant, saturant la nuit de lumières fluo, et de fulgurances pop -ainsi d’une inoubliable scène de zoo, ou d’une autre, orchestrée au son du Rasputin de Boney M. « Cette scène est tirée, pour l’essentiel, de la réalité, observe le réalisateur. Dans les petites villes chinoises, il n’est pas rare de voir les gens se rassembler spontanément, le soir venu, sur les places, pour s’y exercer à la danse synchronisée, en suivant des chorégraphies où ils évoluent tous à l’unisson. Bien souvent, les participants se baladent avec des chaussures à semelles lumineuses. Cette image m’avait fait forte impression, et j’ai veillé à l’intégrer au scénario. » Le reste est affaire de stylisation, art dont Diao Yinan est un maître incontesté: « J’ai toujours voulu imprimer ma marque personnelle d’auteur- réalisateur, et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’apposer sa signature aux différents stades du processus de mise en scène, du choix d’un langage visuel particulier jusqu’au montage. Le résultat est très subjectif, et n’appartient qu’à moi. Cette recherche constante de stylisation fait aussi que je laisse beaucoup de vides. Je ne peux m’encombrer des détails visant à établir un descriptif réaliste du background des personnages, j’en laisse le soin au spectateur, qui peut les interpréter comme il l’entend. » Histoire de l’aspirer plus sûrement dans une zone où réel et surréel se confondraient…

Le Lac aux oies sauvages

THRILLER. De Diao Yinan. Avec Hu Ge, Gwei Lun Mei, Liao Fan. 1h50. Sortie: 01/01. ***(*)

Le Lac aux oies sauvages, plongée en eaux troubles

Cinq ans après Black Coal, Ours d’or à Berlin en 2014, Diao Yinan poursuit dans une même veine d’un noir d’encre avec Le Lac aux oies sauvages. Situé à Wuhan, dans la province du Hubei, le film s’ouvre dans la nuit, sous une pluie battante, alors qu’un homme est rejoint par une jeune femme aux abords d’une gare de banlieue. Il s’appelle Zhou Zenong, et se cache après qu’un partage de territoires entre voleurs de motos a mal tourné et qu’il a tué un policier. Elle répond au nom de Liu Ai’ai, et est « baigneuse », un terme désignant une prostituée de station balnéaire. Et ce couple qui n’en est pas tout à fait un de se lancer dans une cavale éperdue, flics et truands à ses trousses, la chasse à l’homme se resserrant, jusqu’à épuisement, autour du lac aux oies sauvages, une zone de non-droit. La trame est classique, et renvoie au film noir, Diao Yinan la met en scène avec virtuosité, signant un objet de toute beauté qu’il double, en creux, d’un portrait blafard de la Chine contemporaine. Fascinant.

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