Tanguy Labrador Ruiz

Kinepolis, le cinéma miséricordieux: revoir Interstellar à moitié prix

« Tombé dans le néant après Interstellar? »: voilà le titre d’un communiqué de presse envoyé par Kinepolis et nous informant qu’une réduction de 40% est désormais attribuée aux spectateurs désirant aller voir Interstellar… pour la deuxième fois.

Le communiqué se poursuit de la manière suivante: « Les films de Christopher Nolan sont réputés pour leurs histoires complexes. Interstellar est un spectacle visuel qui laisse libre cours à l’interprétation. Le film, qui dure 3 heures, se situe tout à fait dans la lignée des précédents blockbusters de Nolan, à l’instar de Memento, Le Prestige et Inception. Chacun de ces films valent la peine d’être vus deux fois, si l’on veut comprendre l’histoire dans ses moindres détails. » Une introduction censée justifier cette action promotionnelle qui ne manquera pas d’augmenter le chiffre d’affaire de la société d’exploitation de salles de cinéma. Pourtant, celle-ci est loin d’être cohérente, lorsque on a vu la dernière réalisation de Nolan.

Tout d’abord, Interstellar n’est nullement une oeuvre qui laisse de la place à l’interprétation. Au contraire, dans ses pérégrinations spatio-temporelles, le film ne manque jamais de s’appuyer sur des théories scientifiques et de les mettre en scène de la manière la plus réaliste possible. Que ce soit lors du départ vers le trou noir, réalisé à l’aide du physicien américain Kip Thorne, ou lors des cruelles conséquences temporelles qui sont dictées par la théorie de la relativité d’Einstein, ou encore vers le fantasme scientifique réalisé par Cooper lorsque il parvient à remonter l’espace-temps, défiant alors toute science pour nous faire rêver et halluciner. A chaque fois, des théories sont mises en avant, des explications sont données, le film guide le spectateur et lui donne les clés nécessaires à la compréhension de l’histoire, et ce, sans tenter de l’égarer vers des suppositions oniriques ou hallucinées. Certes, il y a, bien entendu, de la place dans le film pour de la contemplation ou de la stupéfaction, mais certainement pas pour de l’interprétation. Ensuite, insister sur le fait que le film dure trois heures sembler suggérer que le spectateur moyen n’est pas capable de rester concentré plus d’une heure et demie ou deux heures, la durée que l’on retrouve habituellement au format du blockbuster. Une supposition un peu facile, et qui donne une idée de l’image que Kinepolis semble avoir de ses clients et de leurs capacités cognitives… Si on exclut le fait que Memento ne répond pas vraiment aux critères du blockbuster avec ses 9 millions $ de budget (contre 185 millions pour The Dark Knight et 165 millions pour Interstellar) et que Interstellar est loin d’être « dans la lignée » du Prestige ou même d‘Inception, on ne peut que buter sur le « si l’on veut comprendre histoire dans ces moindres détails », qui lui aussi, suggère franchement que le spectateur n’est pas apte à comprendre une oeuvre un tant soit peu réfléchie. Si on revient sur Le Prestige, dont l’histoire est on ne peut plus claire en comparaison de Memento et Inception, on frôle alors l’insulte.

Le plus inquiétant provient du fait qu’un film comme Interstellar soit considéré comme difficile à aborder et nécessitant deux visions pour être compris. Continuer à pratiquer ce genre de réflexions ne pourra que contribuer à un abaissement des standards scénaristiques et cinématographiques, et rendre la culture paresseuse, aussi bien du côté du public que des artistes.

Si ce genre de démarche marketing devient une habitude dans nos cinémas, on se demande quelle réduction sera accordée pour aller revoir le film lors d’un éventuel nouveau David Lynch façon Mulholland Drive ou un Satoshi Kon à la Perfect Blue… Toutefois, le concept pourrait devenir intéressant si il était proposé systématiquement: après tout, lorsque on a le plaisir d’être émerveillé par un film, il n’est pas rare de vouloir aller le revoir pour sa beauté et sa qualité. Et non pour se sentir moins bête. À bon entendeur…

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