Jean-Pierre Bacri, au nom du père: retour sur son parcours et sa méthode de travail

Jean-Pierre Bacri dans Avant l'aube, de Raphaël Jacoulot. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Jean-Pierre Bacri joue les pères de substitution dans Avant l’aube, le deuxième long métrage réussi de Raphaël Jacoulot. L’occasion de revenir sur le film, un parcours et une méthode de travail où il est avant tout affaire de famille(s) et de logique humaine.

Isabelle Adjani a dit un jour de lui qu’il avait « l’orgueil de sa modestie« . Une formule qui s’impose naturellement à notre esprit quand on rencontre Jean-Pierre Bacri, tout de simplicité certes, mais le verbe volontiers fier voire hautain, dans un hôtel luxueux sis à 2 pas de la Place Vendôme.

A l’affiche de Avant l’aube (lire notre critique), un vrai bon faux film de genre, il y incarne Jacques Couvreur, patron bourgeois d’un grand hôtel à la montagne et figure centrale d’une famille « troublée« , d’une lignée « abîmée« , selon les mots du réalisateur Raphaël Jacoulot. Si Couvreur entretient en effet des rapports difficiles avec son fils, comme avec son père d’ailleurs, l’arrivée dans son établissement de Frédéric, jeune paumé en mal de stabilité, va changer considérablement la donne, le posant bientôt en paternel de substitution aux yeux d’un garçon avec lequel il noue lui-même un lien autrement plus complice qu’avec son propre rejeton.

« Personnellement, je n’ai jamais eu ce genre de problème, analyse Bacri, mais cette idée était tellement bien décrite et racontée dans le scénario que ça m’a beaucoup parlé. Surtout couplé à cette métaphore du petit jeune, délinquant, qui monte de la plaine et qui voudrait s’élever. Mais qui arrive malheureusement dans ce clan bourgeois…  »

Dans sa manière d’orchestrer cette rencontre difficilement possible entre 2 mondes, jamais tout à fait noirs ou blancs, le film de Raphaël Jacoulot entretient d’ailleurs plus d’une correspondance, comme un air de famille donc, avec les scénarios signés par Bacri lui-même.  » Oui, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose de proche de moi, et c’est effectivement cette description un peu sociologique de la société dans laquelle on vit. Ça m’intéresse toujours quand quelqu’un propose un regard sur cette société, pour peu qu’il soit pertinent évidemment. »

Paysage humain

Au fond, le cinéma selon Bacri ne serait-il pas qu’une grande histoire de famille(s), lui qui, pour l’anecdote, a découvert très tôt le Septième art en Algérie grâce à un père facteur qui travaillait également comme ouvreur dans un cinéma? Et l’intéressé, ni très loquace ni forcément commode en interview, de commenter immédiatement: « Ça c’est un peu la légende. Mais ouais, mon père était caissier dans un cinéma le soir pour arrondir ses fins de mois, et j’y allais avec ma mère et ma s£ur.  »

Acteur remarqué au début des années 80 dans Le Grand Pardon d’Alexandre Arcady avant de s’illustrer dans Subway de Besson ou Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni, Bacri se révèle pleinement dès le début des années 90 dans le tandem qu’il forme, à la fois comme acteur et comme scénariste, avec sa compagne Agnès Jaoui. De film en film, de collaboration en collaboration, se constitue autour de lui une véritable famille de cinéma -Jaoui bien sûr, mais aussi Sam Karmann, Jean-Pierre Darroussin, Nicole Garcia, Chabat, Klapisch, etc.- avec laquelle il multiplie les projets. S’il tourne peu, à un rythme d’un film par an à peine -« Je trouverais 2 scénarios qui me plaisent la même année, je vous assure que je les ferais, c’est pas une posture, hein« -, il n’en continue pas moins d’enfanter, en les incarnant, des personnages avec qui il partage de nombreux gènes. Comme ce bourgeois bourru mais pas dénué de sensibilité de Avant l’aube.

« C’est-à-dire que je suis tout le contraire d’un acteur de composition. Vous ne me verrez jamais avec une perruque ou grossi de 11 kilos pour un rôle. En tant qu’interprète, je m’amuse beaucoup en tirant les personnages à moi, en me les appropriant. Je suis acteur mais je pourrais être autre chose. Il suffit donc que je cherche en moi ce qui est bourgeois, ou ce qui est avocat ou médecin, peu importe. Et je trouve toujours parce que ce sont des êtres humains. Et on en est tous des êtres humains. Je prépare donc mes personnages en cherchant la logique humaine. Et cette logique, je la puise en moi. On a tous la même matrice de sensations et de sentiments bruts. Après, c’est ce qu’on en fait qui nous distingue vous et moi. Je prends un exemple complètement aberrant: on a tous envie de coucher avec telle fille mais peu, heureusement, la violent. Mais si tout d’un coup je veux jouer un violeur, je sais où je vais le chercher. Et je vais franchir ce pas qu’en général on se refuse à franchir.  » Plus loin, il conclut: « L’observation humaine, c’est ce qui me plaît le plus. Le plus beau paysage, c’est le paysage humain.  »

Au nom du père, du fils et du bel esprit, donc. Une trinité qui, à défaut d’être sainte, n’en tombe pas moins à pic au moment d’évoquer son prochain projet: « Je termine d’écrire un scénario avec Agnès. On est à 2, 3 séquences de finir. A nouveau, je jouerai dedans, Agnès réalisera, et il s’agit d’une espèce de variation autour d’un thème: les croyances, les superstitions, la foi. Ce besoin qu’on a de croire en quelque chose, comme le grand amour, par exemple.  » Amen.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content