Good Time: « Robert Pattinson n’est pas du tout rentré dans le jeu de la célébrité »

Robert Pattinson, à tombeau ouvert dans les bas-fonds de Big Apple. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Good Time, les frères Josh et Benny Safdie expédient Robert Pattinson dans les bas-fonds new-yorkais, cadre d’une cavale électrique menée tambour battant au son de Oneohtrix Point Never. Soufflant…

Présenté en mai dernier en compétition à Cannes, Good Time, des frères Benny et Josh Safdie, y a fait l’effet d’une décharge d’adrénaline bienvenue. Originaires du Queens, les brothers ne sont plus tout à fait des inconnus, eux qui, en une dizaine d’années et une poignée de longs métrages fauchés –The Pleasure of Being Robbed, Lenny and the Kids et Mad Love in New York-, se sont imposés comme d’incontestables figures de proue du cinéma indépendant new-yorkais, descendants à l’arrache d’un Sidney Lumet, par exemple, et adoubés par un Jim Jarmusch confiant apprécier leur cinéma, tellement différent du sien. Si ce nouvel opus les a vus sortir d’un cadre financier trop étriqué et bénéficier par ailleurs du concours d’une star en la personne de Robert Pattinson, le film, halluciné, reste du pur Safdie, conduit à tombeau ouvert dans les bas-fonds de Big Apple, et suspendu fiévreusement à la frénésie de l’instant. Rencontrés au lendemain de la projection officielle, les deux frangins font souffler un même vent de fraîcheur sur la Croisette, s’exprimant d’une seule voix pour laisser libre cours à leur enthousiasme sur un débit à même de faire pâlir Martin Scorsese himself; bifurquant, hilares, à l’annonce que le blog conservateur Drudge Report, à l’opposé de leurs convictions comme ils se plaisent à le souligner, leur a consacré un écho –« this is surreal! »; reprenant ensuite la conversation de plus belle en quelque embardée sous contrôle relatif. En un mot comme en cent, passionnés.

Un parcours aventureux

Good Time constitue incontestablement un cap dans leur filmographie, par les moyens mis à leur disposition et, partant, son ampleur, comme du reste par son rayonnement prévisible, l’onde de choc ayant secoué la Croisette ne demandant qu’à se propager. « Nous avons obtenu pour Good Time un budget dix fois supérieur à celui dont nous disposons d’habitude, opine Benny Safdie, mais ça ne s’est pas avéré suffisant pour autant. Nous n’avons pas modifié notre façon de faire, mais nous avons tenu à maximaliser chaque élément. Le planning était extrêmement serré, et un technicien nous a dit, dès le premier jour, que c’était complètement dingue et que nous n’y arriverions jamais. Nous travaillons vite, c’est vrai, mais pas à ce point, et ça nous a valu des journées de 18 heures. Comme, en plus, je jouais dans le film, il arrivait que je ne dorme qu’une heure, et ça se ressent forcément. Peut-être qu’avec un peu plus de sommeil, le film aurait été meilleur. Quand je l’ai découvert, j’ai vu ce qu’il y avait à améliorer. Je sais où se situent les imperfections, mais je sais aussi quels enseignements je pourrai en tirer pour le prochain. On apprend de chaque expérience. » On ne peut du reste exclure qu’un rythme de tournage plus confortable aurait aussi conduit à sacrifier une part de l’énergie émanant de la pellicule. Laquelle semble, pour le coup, devoir embraser l’écran, scotchant littéralement le spectateur à son fauteuil. Si bien que sans révolutionner le cinéma, cette fugue nocturne sous haute tension est assurément l’un des films les plus stimulants qu’il ait été donné de voir récemment.

Josh (à gauche) et Benny Safdie
Josh (à gauche) et Benny Safdie© Larry Busacca

L’âme de Good Time, en dehors de New York bien sûr, que les frères Safdie filment comme peu d’autres –« on nous dit que nous dépeignons un New York qui n’existe plus, mais si nous le filmons et qu’il nous inspire, c’est qu’il n’a pas disparu, le tout étant de partir à sa recherche »-, c’est Connie, petite frappe du Queens lancée dans une course éperdue vers le néant après l’arrestation de son frère Nick (Benny Safdie lui-même), conséquence d’un braquage avorté. Un rôle confié à Robert Pattinson, mèches blondes, regard hagard et intensité sur le fil du rasoir. Après Cosmopolis et Maps to the Stars de David Cronenberg, Life de Anton Corbijn, Queen of the Desert de Werner Herzog ou encore The Lost City of Z de James Gray, l’acteur britannique confirme ainsi vouloir faire de l’après-Twilight un parcours éminemment aventureux, lui que l’on annonce encore chez Claire Denis pour High Life et Antonio Campos pour The Devil All the Time. « C’est lui qui nous a contactés, observent les réalisateurs en choeur. Il avait vu notre film précédent, et nous a dit vouloir être de notre prochain projet, quel qu’il soit. Nous travaillions à l’époque sur Uncle Gems, un film que nous allons finalement tourner en janvier, mais qui ne cessait d’être repoussé pour diverses raisons. Nous avions donc du temps devant nous et en avons profité pour dessiner ce rôle spécialement pour lui. Écrire en ayant un acteur à l’esprit change tout. Si Uncle Gems a été tellement difficile à monter, c’est parce que nous n’avions pas le moindre acteur en vue, nous l’avions écrit en pensant à une personne fictive et on n’arrivait pas à trouver un comédien qui corresponde. Nous allons maintenant pouvoir y revenir avec Jonah Hill. Quant à Rob, quand nous l’avons rencontré pour la première fois, il nous a vraiment surpris par son énergie frénétique. Il se sent comme quelqu’un ayant fait la guerre et souffrant de stress post-traumatique après son expérience de Twilight. Il n’est pas du tout rentré dans le jeu de la célébrité, il a toujours l’impression d’être en mouvement, et ça fonctionnait idéalement avec un personnage comme Connie. Et puis, personne n’avait encore capitalisé sur son incroyable énergie. » Raccord, en tout état de cause, avec celle du film, inscrit dans un présent qui est leur obsession, cadre exclusif dans lequel évoluent leurs personnages -l’action est ramassée sur sept heures-, et dont ils considèrent qu’il abolit le temps. Non sans imposer son tempo survolté au gré d’un scénario que les Safdie confessent avoir voulu complètement dingue, désirant réaliser un film ressemblant à un train fou ne devant jamais s’arrêter. Et cela, par-delà des inspirations allant de la série Cops au téléfilm The Executioner’s Song, réalisé au début des années 80 par Lawrence Schiller d’après le roman de Norman Mailer, avec Tommy Lee Jones dans le rôle de Gary Gilmore.

Robert Pattinson dans Good Time.
Robert Pattinson dans Good Time.© DR

Les curseurs au maximum

Le résultat est à la hauteur de leurs espérances, et Good Time tient de l’expérience viscérale, aspirant le spectateur pour ne guère relâcher son étreinte par la suite, tandis que défilent, au gré des allées et venues de Connie/ Pattinson, les Jennifer Jason Leigh, Buddy Duress, Barkhad Abdi et autre Taliah Websterpeuplant un univers d’ombres et de néons. Si le film produit un tel effet, il le doit aussi à sa cohérence, cette intégration verticale que souhaitaient les réalisateurs, du choix du premier rôle à celui de la lumière. Et de s’attarder sur les principes esthétiques ayant présidé à l’ensemble: « Nous avions envie de tourner un film en Techniscope depuis que nous avons vu Le Moment de la vérité, de Francesco Rosi, que nous a fait découvrir Sean Price Williams, notre chef-opérateur (également collaborateur régulier d’Alex Ross Perry, cinéaste indépendant américain issu, lui aussi, de la mouvance « mumblecore », NDLR), explique Josh. Et puis, nous avions envie de tourner un film pulp, quelque chose de vraiment dangereux, où nous prendrions un maximum de risques, en poussant tous les curseurs au maximum. » Ainsi, par exemple, d’une réflexion sur la lumière les ayant poussés à tourner avec une exposition minimale –« pour obtenir une plongée dans les ténèbres »– striée, pourtant, de jaillissements de couleurs. « L’idée est alors venue de mélanger ces dernières, à l’image de New York, une ville tellement métissée. Comme dans la scène de la cuisine où Rob est en orange et la fille en vert, les allers et retours libérant une émotion particulière. »

Émotion exacerbée encore par la musique du film, confiée à Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never, dont les nappes électro exercent un effet proprement hallucinogène. « Il est complètement obsessionnel, si bien qu’à un moment, on croyait que le processus d’écriture ne finirait jamais. Les albums qu’il a sortis à ses débuts, il y a une dizaine d’années, ressemblent aux scores de films qui n’existaient pas encore, il a une sensibilité extrêmement cinématographique. Nous n’avions jamais recouru auparavant à une bande-son spécifique: pour Mad Love in New York, nous avions acquis les droits de musiques auxquelles nous essayions de faire coller le film, mais ce n’était plus à l’ordre du jour, du fait de notre approche verticale. Il a été impliqué avant même le début du tournage et l’est resté tout au long du processus. » Si toutes ses compositions n’ont pas été utilisées, la musique n’en est pas moins omniprésente, allant jusqu’à saturer l’espace. « Good Time est un film exubérant, et nous tenions à ce qu’il en aille de même de sa bande-son. Le concept était de repousser les limites et de bousculer le spectateur, sans que ça ne semble devoir s’arrêter. C’est un film pop, fluorescent, dont la musique devait, en quelque sorte, représenter l’âme frénétique. Quand nous avons cartographié le film, il nous a semblé évident qu’à chaque virage émotionnel, on aurait de la musique, sans qu’elle soit manipulatrice pour autant. Elle pouvait même se situer à l’opposé de ce que l’on voyait, pour que cette collision crée une sensation inédite. » Le résultat est plus que concluant, pour une expérience sensorielle n’étant pas sans évoquer celle produite par la partition de Cliff Martinez pour The Neon Demon de Nicolas Winding Refn. Avant que la fureur ne décante sur The Pure and the Damned,morceau habité par le timbre d’Iggy Pop, et refermant le film sur une note idoine, plongée dans l’encre d’une nuit sans fin…

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