Critique

[Film de la semaine] Les Bonnes Manières, une révélation

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le plus inattendu des films fantastiques nous vient du Brésil et se conjugue au féminin pluriel.

Clara quitte sa banlieue pauvre de São Paulo pour les beaux quartiers où elle va passer une audition pour un emploi de nounou. Infirmière de formation, elle n’a ni les qualifications ni l’expérience exigée par Ana, la mère enceinte qui cherche une aide pour accueillir le bébé à venir. Pourtant quelque chose se passe entre les deux femmes, qui va pousser Ana à engager Clara, et cette dernière à s’attacher à sa jeune patronne. Une complicité va naître entre les deux femmes tandis que se prépare l’arrivée de l’enfant, et que Clara s’occupe des courses, des repas, du montage des meubles et de la peinture de la chambre du fils d’Ana. Une amitié se crée, par-delà les différences sociales et ethniques (Clara est noire, Ana est blanche). Et cette amitié pourrait bien mener à autre chose encore… Ainsi commence Les Bonnes Manières, à la manière d’un de ces films réalistes à sujet sociétal qu’affectionne le cinéma brésilien. La maternité, le gouffre entre les classes, l’amour saphique, la famille qui se choisit plus que se subit, figurent entre autres au menu, qui s’annoncerait émouvant et sensible mais bien classique si Ana ne se révélait pas somnambule et s’il ne passait pas d’étranges lueurs dans ses yeux, les nuits de pleine lune…

[Film de la semaine] Les Bonnes Manières, une révélation

Sous nos yeux aussi fascinés que surpris, le film entame la première d’une rare série de métamorphoses, passant du réalisme au fantastique et affichant une différence bien plus extrême que celle qui semblait devoir être son propos. Juliana Rojas et Marco Dutra, 36 et 38 ans et déjà co-auteurs d’un court métrage remarqué ( Travailler fatigue, en 2011), signent ensemble un premier long métrage aussi radical qu’inclassable. Prix spécial du jury au Festival de Locarno avant d’autres récompenses à Biarritz et Gérardmer, leur oeuvre très personnelle mais jamais difficile d’accès nous emmène vers le surnaturel et le film de monstre (le fils d’Ana, né dans des circonstances stupéfiantes, est tout sauf un enfant banal…) sans jamais que ce changement de genre ne fasse taire les résonances sociales et même politiques de sa première partie. L’humain reste au coeur de la démarche et génère une émotion intense jusqu’à la scène finale. Isabél Zuaa, dans le personnage de Clara, se révélant captivante de bout en bout malgré les défis imposés par son rôle. Si quelques maladresses émaillent çà et là un film un peu trop long, on les oublie vite pour s’émerveiller d’un Les Bonnes Manières unique en son genre… ou plutôt en ses genres. Cette multiplicité voulue puis assumée avec une folle énergie fait du film lui-même une espèce d’hybride, de monstre, face à une industrie du cinéma qui aime tout classer, enfermer dans de petites boîtes étiquetées. Il ose une utopie visuelle et surtout morale dont la fragilité ne l’empêche pas de nous hanter longtemps, très longtemps. Et profondément.

Les Bonnes Manières . Film fantastique De Juliana Rojas et Marco Dutra. Avec Isabél Zuaa, Marjorie Estiano, Miguel Lobo. 2 h 16. Sortie: 11/07. ****

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