Critique

Festival de Cannes: Quentin Dupieux à son meilleur en ouverture de la Quinzaine

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans Le Daim, Jean Dujardin et sa tuerie de nouveau blouson à franges 100% cervidé ont un grand projet.

On se souvient de l’ouverture d’anthologie de son Rubber en 2010, histoire siphonnée d’un pneu tueur doublée d’un réjouissant discours méta sur le cinéma. Dupieux y revendiquait son droit fondamental au « no reason« : à l’écran comme dans la vie, en effet, tout ne doit pas faire sens. Rejeton dégénéré de Jerry Seinfeld et son fameux « show about nothing« , Quentin Dupieux? En un sens, oui. Le rien, le vide: le parrain rigolard de l’électro frenchie, non-genre en soi où il officie sous l’alias Mr. Oizo (les tubes Flat Beat et Positif, parmi d’autres), en a fait le coeur même de son cinéma. Écrit à l’origine pour le géant américain Eric Wareheim (le pote d’Aziz Ansari dans la série Master of None), Le Daim, son nouveau film, présenté ce mercredi en ouverture de la Quinzaine cannoise, devait d’ailleurs se dérouler au sein de l’un de ses terrains de jeu fétiches: le désert US et ses grandes étendues stériles. À l’arrivée, c’est pourtant dans le décor de montagnes et de sapins des Pyrénées françaises, et avec Jean Dujardin, que Dupieux a bouclé son huitième long métrage. Mais l’esprit, toujours très minimal, qui préside à l’entreprise est le même: travailler par le vide, étirer la drôlerie, le malaise et l’étrangeté, procéder par strates successives d’agonies de temps où tout -et bien sûr son contraire (rien, donc)- est possible.

Plus sage et maîtrisé en apparence que ses prédécesseurs, Le Daim est moins un film fou qu’un film sur la folie: drôle, violente, extrême, mais aussi assez poignante. Avec Wareheim, Dupieux voulait d’un trip bouffon sur un gros type qui enfile un petit blouson. Emmené par Dujardin, formidable d’ambiguïté malade, la chose a mué en récit de fuite et, forcément, d’obsession. En mythomane à la dérive muni d’un caméscope numérique -cette fixette chère au réalisateur pour les films dans le film-, il rêve de devenir le dernier être sur Terre à porter un blouson, et va tout mettre en oeuvre pour y parvenir. Comme souvent chez Dupieux, les références abondent. Si le film, bourré de signes à décrypter, évoque immanquablement l’épisode de la moumoute tueuse des Simpsons, voire même la robe hantée du récent In Fabric de Peter Strickland, Dujardin y parodie également la scène du miroir de Taxi Driver, tandis qu’Adèle Haenel y remonte Pulp Fiction dans l’ordre chronologique pour s’apercevoir bien sûr à l’arrivée que le film n’est pas bon. Oeuvre sans doute la plus réaliste de son auteur, Le Daim est aussi en un sens son premier vrai film d’horreur, qui convoque par la bande les figures de la grande tradition slasher à la Halloween ou Friday the 13th. Si l’on pousse le bouchon un peu plus loin, que l’on se réfère à Herman Melville, Yannick Haenel ou The Deer Hunter, c’est également l’idée d’un daim de la vérité, qui révèle celui que l’on est vraiment.

Avec son sens inné du dialogue et de l’image, le réalisateur de Steak, Rubber, Wrong ou Réalité confirme ici en tout cas, si besoin en était encore, qu’il est bien un auteur majeur de l’époque, occupé, l’air de rien, à construire une oeuvre, une vraie, au ton et au style inimitables, traversée par des marottes et des thèmes récurrents (processus de contamination et rapport fétichisé à un objet inanimé qui devient un personnage en soi, entre autres). « Je me définis comme un réalisateur expérimental qui commence à maîtriser ses effets« , a lucidement déclaré le cinéaste sur la scène de la Quinzaine mercredi matin à l’issue de la toute première projection du film. Bientôt dans l’impasse créative, Quentin Dupieux? No reason.

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