En pleine pandémie d’idées et de théories contaminantes…

Jean-Paul Belmondo dans Peur sur la Ville (1975), d'Henri Verneuil © ISOPIX
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Peut-on encore apprécier un film douteux, un chef d’oeuvre douloureux et des chansons glauques sans y déceler quelque chose de complètement offensant et de potentiellement criminel? Oui, nous répond ce Crash Test S07E03! Mais attention à la pandémie d’idées contaminantes!

Cela devait bien faire 35 ans que je n’avais pas vu Peur sur la ville. J’en avais gardé le souvenir d’un film pop mais tendu, une sorte de Dirty Harry à la française. J’ai donc bien rigolé devant Netflix, mardi dernier, admettant hilare dès la première demi-heure de film que l’on est en fait drôlement plus proche du nanar de droite que des sommets du polar européen. Un nanar non sans bonnes idées, certes, dont celle de filmer Paris comme une ville oppressante et déshumanisée, sur une très bonne musique anxiogène d’Ennio Morricone qui participe beaucoup à ce sentiment d’étouffement. Mais pour le reste, Jean-Paul Belmondo n’a pas l’air de croire une seule seconde à son personnage de flic dur à cuire qui préfère passer par les balcons et les fenêtres plutôt que par les portes, comme ça, sans véritable raison autre que celle de faire des culbutes à la quarantaine, déjà plus singe bondissant qu’acteur habité, donc. Quant au réalisateur Henri Verneuil, il est manifeste qu’il a dû voir The French Connection à peu près 836 fois en prenant des notes avant de se lancer dans ce projet. Mais en pensant foutre Belmondo sur le toit du métro aérien plutôt que Gene Hackman fonçant derrière en bagnole, donc. Question de budget, sans doute…

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Bref, ce film qui tenait surtout pour moi du souvenir « hantologique » s’avère avec le recul de la grosse pignolade à laquelle j’ai encore moins cru que Belmondo. Non mais rendez-vous compte: un film où une infirmière de gauche craque soudainement pour un flic complètement abusif à côté de qui le Commissaire Vandersmissen passe pour le marchand de glace. Un film où une carrière dans la police ne déraille pas complètement après une fusillade en pleine heure de pointe dans une rame de métro bondée. Un film dont le héros ne dort pas, ne se nourrit que de whisky et de cacahouètes, fume des Gauloises à la chaîne mais est quand même capable de traverser à toute allure la moitié de Paris en passant par les toits. J’ai donc pouffé, ricané. Je me suis esclaffé plus d’une fois et je me suis même demandé comment j’ai pu aimer ça quand j’étais ado. Ça n’en fut pas moins une très plaisante expérience cinématographique. J’étais de fort bonne humeur, après ça. D’aussi bonne humeur qu’après un bon gros Schwarzenegger ou un Brice Willousse vintage où il saigne juste des pieds après avoir buté 188 terroristes allemands avec une passion franche pour la haute couture masculine.

Le lendemain, toujours sur Netflix, je me suis lancé dans la version de presque 4 heures de Once Upon a Time in America. Celui-là aussi, j’ai dû le voir ado mais je n’en avais curieusement aucun souvenir. Quelle claque! Quelle maîtrise! Quel chef d’oeuvre! Mais quelle tristesse aussi de soudainement me rendre compte de pensées drôlement plus parasites que devant Peur sur la Ville. J’étais en effet tranquille et peinard à savourer chaque seconde de ce film que voilà que je me surprends à me demander comment il a été possible de sexualiser à ce point Jennifer Connelly, pourtant seulement âgée de 13 ans à l’époque du tournage. Et ce premier viol dans la banque, aussi soudain que dur, était-ce vraiment nécessaire? Et ce deuxième viol, non mais quelle horreur! Et James Woods, waow, James Woods! Quel acteur formidable, quel rôle dingue! Là, il écrase De Niro, non? C’est vraiment inhumain comme il est bon, James Woods! Mais, tiens, James Woods… Est-ce qu’il était déjà à l’époque le même connard qu’il est aujourd’hui sur Twitter? Oui, mesdames et messieurs, mercredi soir, j’étais devant un des chefs-d’oeuvre incontestés du cinéma mondial de ces 40 dernières années, un film profondément dur, douloureux et émouvant et voilà que je pensais aux tweets de James Woods sur le Bataclan et Trump. Que je me demandais si ce n’était pas borderline de sexualiser une gamine de 13 ans alors qu’une bonne partie du film raconte des enfances justement déniaisées par la dureté de leurs conditions de vie. Que je trouvais les viols un peu gratuits alors qu’ils sont essentiels aux tourments du personnage qui les commet. Que je me disais que James Woods n’a vraiment pas l’air d’être un chic type… alors que son personnage dans le film est une ordure finie. Oui, ça m’a drôlement perturbé de soudainement me mettre à penser comme une contributrice au site Madmoizelle.

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Perturbation qui n’a fait qu’empirer le lendemain, alors que j’écoutais des chansons du groupe Pulp que je ne connaissais pas. Pulp est un groupe dont j’ai tous les albums et que j’écoute très régulièrement. Je considère même le chanteur Jarvis Cocker comme un de mes héros. Je dois toutefois bien avouer que je ne m’étais jusqu’ici jamais pleinement rendu compte d’une évidence pourtant flagrante: beaucoup de ses chansons parlent essentiellement de baise et de cul. Pas d’amour. De baise et de cul. Bien sûr, j’avais déjà capté que Cocker pouvait se montrer coquin mais sans plus, ayant toujours pensé qu’il écrivait et chantait surtout sur la vie quotidienne des classes moyennes anglaises et qu’il était donc plus proche d’un Alan Sillitoe en descente d’ecsta que d’une version blanche, grande et maigre de Barry White. Cette obsession sexuelle ne me choque pas. Je n’ai rien contre. En écoutant assez consterné les paroles de Can I Have My Balls Back, Please?, chanson qui m’était jusque-là totalement inconnue, m’est toutefois venue en tête l’idée bizarre que Jarvis Cocker, roi des freaks timides et sex-symbol ultime de toutes les geekettes des années 90, n’était peut-être en réalité juste qu’un mâle alpha bandard fou cisgenre. Le genre à ramasser les meufs seules et saoûles à la fermeture du Bar Italia pour profiter d’elles le temps de coïts sordides, avant de les virer de chez lui de façon humiliante, « dans cette lumière matinale aussi grise qu’un cendrier« . This is hardcore.

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Ce que tout cela démontre, je pense, c’est qu’il ne suffit que d’une moitié de semaine un peu fatiguée, un peu désoeuvrée, pour que s’insinuent en vous de ces idées de déconstructions des stéréotypes de la pop culture et autres grilles de lectures aussi post-modernes que fort discutables actuellement très à la mode. Au travers de ces prismes, un vieux nanar giscardien, bourrin, cabotin mais rigolo devient un méchant outil de propagande du Patriarcat prônant les pleins pouvoirs aux flics d’extrême droite. Un pur chef-d’oeuvre sur la corruption morale devrait être réécrit afin de garder intact le concept de l’innocence des enfants, éviter des viols pourtant déterminants et zapper James Woods du casting en revanche de tweets produits 30 ans plus tard. Des chansons glauques sur l’inhabilité relationnelle deviennent des confessions de prédateur sexuel. Je ne suis pourtant pas du tout client de ce genre de salades, de ce type de révisionnisme, de ce maccarthysme 2.0. Il faut donc croire qu’à force d’y être exposées sur les réseaux sociaux tous les jours et certaines soirées, ces théories, ces lectures et ces procès en sorcellerie possèdent un certain pouvoir contaminant, bien plus contaminant que les oeuvres dénoncées d’ailleurs. Quelques jours dans une petite gangue d’ennui entre deux deadlines et voilà que même moi, je me suis laissé prendre à un cheminement de pensée, certes parasite, où l’art, la mise en scène et la fiction, y compris chantée, peuvent être perçus comme sinon totalement criminels, du moins de nature à glorifier et à encourager les comportements problématiques. Revenu à mes esprits, je me permettrai donc de hurler que je trouve cela bien plus inquiétant que le Covid. « Bordel mais foutez-moi donc toutes ces couillonnades de demeuré.e.s en quarantaine, non, mais! » Tiens, voilà maintenant que j’aboie comme Belmondo dans Peur sur la Ville

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